STRETTLE DONNE LES CLÉS
RÉPONDRE AU JEU DE PRESSION DES SARACENS PAR DE L’OCCUPATION, CONTRÔLER SES ÉMOTIONS ET NE PAS VERSER DANS DU HOURRA RUGBY…
Pour y avoir passé cinq saisons, David Strettle connaît mieux que personne les Saracens, qu’il retrouvera ce samedi en finale (18 heures à Murrayfield). Ce n’est d’ailleurs que par un concours de circonstances qu’il a quitté la banlieue nord de Londres, il y a bientôt deux ans. « J’ai vécu cinq années fabuleuses aux Saracens. Quand j’en suis parti, je n’en avais jamais émis le souhait. Et j’étais sous contrat. C’est simplement que Clermont cherchait un ailier, à la dernière minute, et qu’ils sont venus vers moi. Cette opportunité de vie, d’exil, m’a fait envie. Si Clermont ne m’avait pas sollicité, je serais encore aux Saracens aujourd’hui. Et j’y serais très heureux. »
« J’AI DONNÉ DES CLÉS À AZÉMA »
Avec les Sarries, il a vécu de l’intérieur la révolution McCall, l’entraîneur nord-irlandais débarqué à l’Allianz Park en 2010 et qui a, depuis, construit une identité de rugby propre à ce club : celui du pragmatisme froid, rigoriste mais inébranlable. Et il prévient. « C’est l’équipe la plus consistante de Premiership et d’Europe, justement parce qu’ils ne pensent le rugby que de manière logique. »
Les détails de ce plan de jeu et les manières de le battre, Strettle les a confiés à Franck Azéma dès la qualification acquise pour la finale. « Évidemment que Franck m’a sollicité et que je lui ai donné des clés. Je connais leurs forces, nombreuses, mais aussi leurs petites faiblesses. Il aurait été stupide de notre part de ne pas profiter de mon passé chez les Saracens. » Ces faiblesses quelles sont-elles ? Étonnamment, Strettle a accepté de les évoquer, quand la tradition des avant-matchs est plutôt à la langue de bois. L’ailier anglais prend le contre-pied. « Il faut rentrer sur le terrain avec cette idée : nous ne sommes pas sûrs de gagner mais si nous faisons les bons choix, au bon moment, nous aurons nos chances. C’est simple, non ? » À voir.
SOIGNER LE MAL PAR LE MAL
« On met souvent Owen Farrell en avant mais le centre de décision de leur jeu, c’est en fait la charnière dans son ensemble. On ne parle jamais assez de Richard Wigglesworth. Dans le schéma de jeu des Saracens, son jeu au pied de pression est une arme fabuleuse. La programmation de leur jeu est aussi efficace que simple : ils sont très précis sur la conquête, appliquent du jeu au pied de pression et sont très organisés défensivement, à la retombée, pour étouffer l’adversaire. Pour l’équipe en face, la tentation à la récupération du ballon est de le relancer, de mettre de la vitesse. Mais de par mon expérience, il faut faire tout l’inverse. Ceux qui ont battu les Sarries l’ont fait en les prenant à leur propre jeu : dans la dimension physique, le jeu au pied d’occupation puis la pression défensive. Ça peut donner des matchs ennuyeux, mais c’est le seul moyen de les battre. Ceux qui ont essayé de les déstabiliser par un rugby enflammé ont tous échoué. Si vous vous grisez, vous êtes mort. Je sais que c’est difficile à entendre pour un Français mais il n’y a rien de honteux à mettre en place un rugby d’occupation et de contres. Il faudra être patient, attendre que des opportunités se présentent. Elles ne seront pas nombreuses mais celles qui viendront, il faudra les saisir. Et c’est là que nous avons de réelles chances : quand des opportunités se présentent, il faut basculer et se livrer à 100 % dans la démarche offensive. À ce jeu, Clermont est plus fort, va plus vite que les Saracens. Il faut juste choisir le bon moment pour ne pas trop s’exposer. »
« SI LES DEUX ÉQUIPES JOUENT À 100 %, CLERMONT GAGNE »
« Quand on joue à Clermont, comme ailleurs en France, on joue sur les émotions. Ça peut amener des choses fantastiques à la performance, mais aussi des parts d’ombre. Les Saracens ne sont pas soumis à ce grand huit émotionnel. Pour eux, le rugby n’est qu’une succession de décisions logiques. Il y a de la passion, mais elle n’influence jamais la prise de décision. Pour nous, l’important, ce sera la gestion des émotions. Pour une raison simple : contre les grandes équipes, et les Saracens en sont évidemment une, la clé est toujours le choix des zones de jeu. Vous ne pouvez pas faire n’importe quoi et attaquer de partout, spécialement quand il y a un pied comme celui de Farrell en face. Chaque erreur que vous faites, il vous punit. Il faut donc être froid dans sa prise de décision, pour attaquer les ballons qui le méritent et privilégier le jeu d’occupation quand cela s’impose. Pour y parvenir, il faut être froid. Donc contrôler ses émotions. »
Pour l’ailier Anglais, l’équation paraît même simple, presque mathématique. « Justement parce que moi, je suis Anglais. Je suis moins émotif que les Français ! (il éclate de rire) Je vois les choses de manière pragmatique, logique : le meilleur niveau de Clermont est supérieur au meilleur niveau des Saracens. En clair, si les deux équipes jouent à 100 %, Clermont gagne. Dans cette équation, il y a un paramètre stable : pour cette finale, les Saracens joueront à leur meilleur niveau. Et il y a un paramètre variable, incertain, justement dû à ces émotions sont très fortes dans le rugby français : à quel niveau jouera Clermont ? ». Réponse samedi, aux alentours de 20 heures (heure française). Photo Midi Olympique