COEUR DE LIONS
Très prochainement va commencer la tournée des Lions britanniques en Nouvelle-Zélande. En alternance, depuis 1891, tous les 4 ans, cette sélection « britannico-irlandaise », rend visite aux nations du Sud. En 1977 lors de ce même évènement je fus invité par l’ex IRB à participer à une « conférence sur le jeu ». J’en ai profité pour suivre dix matchs dont deux tests. Le Gallois John Dawes, manager de cette équipe avait été mon adversaire quand je jouais en équipe de France. Il m’ouvrit les portes des terrains d’entraînement et des vestiaires. Une position privilégiée pour comprendre l’esprit et la dynamique qui animait ce collectif multiculturel.
Aujourd’hui ce « tour 2017 » est captivant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il va opposer ce qui se fait actuellement de mieux dans le rugby contemporain. Des Néo-Zélandais qui, assurés et rassurés par leur rugby, en imposent au monde. En face, une sélection composée de joueurs exceptionnels. Pas si simple de créer l’esprit utile au sein d’une telle sélection en apportant tous les ingrédients pour faire coexister des joueurs de cultures quand même distinctes. Ce n’est pas un mince exploit que, par le rugby, on puisse résoudre les conflits et contradictions culturelles locales bien implantées dans chacune des quatre nations. L’histoire des Lions a permis de développer toutes générations confondues, un patrimoine intellectuel que joueurs et staff partagent. Une dynamique de motivation qui permet chaque fois « hic et nunc » de remettre l’histoire en mouvement. Tout est en place pour dépasser ce qui a déjà été fait, ce qui demande, de savoir préserver les valeurs d’hier pour rendre le « demain » possible. Si les joueurs sont tant accrochés à cette sélection, c’est qu’ils connaissent le coût du challenge qui leur est proposé. Les motivations bien conscientes ne peuvent pas être celles issues de circonstances. Arriver à maintenir pendant plus d’un mois la cohésion collective, c’est forcément amener ce groupe composite à, entrer dans une autre aire culturelle, à l’accepter avec altruisme, sans traîner des pieds. Cette représentation collective de l’engagement est un facteur déterminant pour accéder à des résultats. L’enjeu n’est pas neutre. il s’agit bien de gagner la série des tests, pour, au-delà des résultats, affirmer la supériorité du rugby d’un hémisphère sur l’autre et… en conséquence peser sur l’évolution du jeu. On ne peut oublier comment les tournées des Lions en 1971 en NouvelleZélande et en 1974 en Afrique-du-Sud ont conduit à une évolution significative du jeu. Les résultats et la qualité du rugby produit avaient marqué les esprits. La notion de jeu en continuité y a pris tout son sens, appréhendant le jeu du futur ce qui logiquement impulsa des priorités concernant le mode de formation des plus jeunes jusqu’au plus haut niveau. L’efficacité de ces productions aurait pu être classée comme symboliques et passagères. Mais traduites par plus d’essais, plus de points, plus de vitesse, plus d’initiatives, plus de liberté donc de créativité, enfin… plus de victoires et de spectacle, elles faisaient sens. Cet autre fonctionnement a mis en lumière, des artistes capables de sortir d’une vision simpliste et organique. Edwards, Bennett, Gibson, Mc Bride, Irvine pour n’en citer qu’eux, ce sont, le plaisir pris aidant, brillamment épanouis. Notons que les Gallois de cette époque imposaient cette vision du rugby sur la scène européenne. En 71 ils étaient majoritaires dans le groupe. Ils imprégnèrent fortement la pensée collective sur la manière de penser et vivre le jeu rendant ainsi possible cette mutation vers le jeu de mouvement.
UN CONTEXTE PROPICE À UNE TOUCHE NOVATRICE
Je suis convaincu, à deux ans du prochain mondial que le contexte est propice pour que cette tournée apporte au rugby une touche novatrice. Les forces qui vont s’affronter représentent au nord et au sud le meilleur du rugby. Les ambitions vont être au top. Les Lions vont pouvoir s’appuyer sur les Anglais. Ils seront les plus représentés. Logique, ils dominent l’Europe des six nations et des clubs (la finale des Saracens illustre cette force). La qualité des joueurs dans les deux camps, devrait autoriser le choix d’un rugby ambitieux.
C’est avec curiosité que j’attends ces dix matchs qui ont tous valeur de test. Les meilleurs acteurs en scène induisent l’idée de faire émerger des solutions nouvelles pour enrichir le jeu actuel. Je pense entre autres à des propositions collectives pour répondre aux problèmes par la densité du premier barrage défensif, là justement où les affrontements individuels montrent leurs limites. De même le jeu de contre-attaque profond où toute la richesse des possibles pour créer plus d’incertitude n’est pas, à ce jour, suffisamment exploitée.
Enfin, ce type d’évènement d’excellence permet de soumettre les règles à leurs limites. Cet évènement, pourrait être porteur de changements ou d’aménagements. Cette quête d’un spectacle toujours plus attractif pour le public et plus incitatif pour les joueurs est incontournable. À cette occasion, Lions et NéoZélandais sont de fait conviés à inventer l’avenir du rugby.