Midi Olympique

« Je suis prêt à accepter mon destin »

VINCENT CLERC - AILIER DE TOULON ECARTÉ DES TERRAINS DEPUIS LE 8 JANVIER ET ALIGNÉ À TROIS REPRISES SEULEMENT AVEC LE RCT CETTE SAISON, L’INTERNATIO­NAL AUX 36 PRINTEMPS ET 67 SÉLECTIONS N’A PAS BAISSÉ LES BRAS ET ESPÈRE DÉCROCHER UN DERNIER CONTRAT AVEC T

- Propos recueillis à Toulon par Vincent NISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

Vincent, vous êtes éloigné des terrains depuis le 8 janvier en raison d’une rupture du tendon d’Achille. Où en êtesvous désormais ?

« Ma position est assez claire : c’est Toulon ou l’arrêt. Je ne me vois pas partir un an ailleurs. Ça n’aurait aucun sens. […] Autrement, je rentrerai vivre à Toulouse, probableme­nt, pour commencer mon après-carrière. » Vincent CLERC Ailier de Toulon

Cela fait 15 jours que j’ai le droit de recourir. J’ai fait quatre à cinq séances, depuis. Il me manque encore du volume musculaire pour être plus explosif. Mais il n’y a plus de douleur ou d’appréhensi­on. C’est rassurant. J’aurais peut-être l’opportunit­é de m’entraîner avec le groupe avant la fin de saison. C’est bien pour le moral, tout progresse bien. J’ai été rassuré par rapport à mon rétablisse­ment. J’ai remis les chaussures ce matin avec les espoirs. Je pense que je serai vraiment à 100 % d’ici trois semaines, un mois. Retrouver la vie de groupe rapidement est un objectif raisonnabl­e.

Seulement quatre mois pour reprendre la course, vous semblez être en avance sur les délais, non ?

Tout le monde me dit que c’est bien, effectivem­ent. Le but n’était pas de griller les étapes mais c’est vrai que les choses ont évolué dans le bon sens. J’ai mis beaucoup d’investisse­ment car, de toute manière, je ne sais pas faire autrement. Paradoxale­ment, peut-être que le fait de ne pas se fixer d’objectif m’a permis de revenir plus rapidement. Lors de mes précédente­s blessures, je m’étais toujours fixé une date de retour. Cette fois, c’est différent. D’ailleurs, je note que je me suis blessé trois fois dans ma carrière et toujours contre Clermont. En 2008, 2013 et l’an passé. Si je continue, je mettrai dans mon contrat que je ne peux pas jouer face à l’ASM.

Vos soucis avaient commencé l’été dernier avec un premier arrêt forcé… Que s’était-il passé ?

J’étais parti de Toulouse avec du stress et sans prendre de vacances. J’avais l’envie de prouver en arrivant à Toulon et je ne me suis pas économisé pendant l’intersaiso­n. Une petite inflammati­on s’est déclenchée. Je n’ai pas trop écouté. Et ça a fini par céder. Après, l’envie de revenir et la culpabilit­é de ne pas pouvoir jouer pour mon nouveau club m’ont fait reprendre trop tôt. Cette culpabilit­é, c’est ce qui a été le plus dur à gérer. Ce club m’avait donné une nouvelle chance et je ne pouvais rien lui prouver. Personne ne m’en a voulu dans le club. Mais pour moi, cela a été un poids que je ressens encore.

N’avez-vous pas eu l’envie de laisser tomber, quand votre corps a de nouveau cédé, en janvier ?

Sur les premiers jours, oui, il y a eu cette tentation de baisser les bras. J’étais abattu. Mais les longues discussion­s avec les chirurgien­s et le fait de savoir que je pouvais guérir de la blessure rapidement m’a relancé. Je me suis dit : « Ce serait vraiment trop bête de ne pas tenter cette chance. » Je me suis donc remis dans une démarche à même de me faire retrouver le haut niveau. Sans cette exigence, ça n’aurait servi à rien. Et à la limite, si je ne revenais pas, au moins je me soignais bien pour ma vie future.

Comment avez-vous traversé cette épreuve ?

Mentalemen­t, il y a eu plusieurs phases. Juste après la blessure ça a été très difficile. J’avais déjà fait trois mois d’efforts pour revenir et rechuter ainsi a été un gros coup dur. Cela a surtout été la faute à pas de chance. Cela n’a pas été évident à digérer. Heureuseme­nt, j’ai pu compter sur énormément de soutien de la part de ma famille, de mes amis et même de gens que je ne connaissai­s pas. Cela m’a beaucoup aidé à tenir. Je me suis dit :

« Peu importe ce qui va se passer, c’est ton dernier défi de bien te remettre. Peut-être que je rejouerai, peut-être que je ne rejouerais mais par respect pour Toulon, je me dois de tout donner. » Après, au quotidien, je n’ai pas trop réfléchi. J’ai surtout vécu au jour le jour. Je me suis concentré sur la progressio­n de la blessure sans me projeter sur ce que pourrait être l’avenir.

Vous veniez juste d’arriver dans un nouveau club. Vous avez aussi dû lutter contre l’isolement, non ?

J’ai eu la chance de tomber sur un super groupe. Humainemen­t, j’ai été vite intégré et, même quand j’ai été blessé, je n’ai jamais été mis à l’écart. Même si les rythmes étaient différents, je ne me suis jamais senti isolé. Il faut dire que je n’étais pas le seul à être à l’infirmerie : Matt Giteau, Jonathan Pelissié et Jean-Charles Orioli étaient à mes côtés… Cette période m’aura au moins permis de découvrir de supers mecs et de nouer des affinités en très peu de temps.

Un temps, votre nom a circulé pour intégrer l’encadremen­t. Qu’en a-t-il été, concrèteme­nt ?

Je ne connais pas le fin mot de l’histoire mais rien ne m’a été proposé directemen­t. De toute manière, je ne pouvais pas tout faire : gérer ma rééducatio­n et entraîner. Et puis, je venais tout juste d’arriver au club… Je ne suis pas sûr que cela aurait été une bonne idée.

Parlons de l’avenir. Votre contrat arrivera à son terme le 30 juin prochain. Et après ?

Je ne suis pas au point mort mais je ne sais pas de quoi mon avenir sera fait. Je ne sais pas s’il y a une possibilit­é de continuer à Toulon. Il y a bien évidemment aussi celle d’arrêter. Il y a beaucoup de questionne­ments et d’incertitud­es à l’heure actuelle.

Comment vivez-vous l’instant présent ?

À titre personnel, ça va. Désormais, dans ma tête, je suis prêt à arrêter comme à continuer. J’envisage toutes les options. Ce qui est le plus dur, c’est au niveau familial par rapport à toute la logistique, le fait de savoir où nous allons habiter… Il y aura des regrets sur cette saison mais je suis prêt à accepter mon destin quel qu’il soit.

Vous acceptez donc l’augure de la retraite sportive ?

Ça a mis du temps. Au départ, je me disais qu’il fallait absolument que je reprenne car il y avait la frustratio­n de la blessure. Maintenant, avec le recul, je me dis : « S’il est temps d’arrêter, je m’arrêterai. » Il y a une forte envie de revenir mais ce ne sera pas à tout prix. Simplement, aujourd’hui je fonctionne encore comme si j’allais continuer. Il faudra juste que la décision arrive assez rapidement vis-à-vis de ma famille.

Quelle est votre position, actuelleme­nt ?

Elle est assez claire : c’est Toulon ou l’arrêt. Je ne me vois pas partir un an ailleurs. Ça n’aurait pas de sens de changer. Je n’ai pas joué pendant un an au RCT. Alors, aller ailleurs pour repartir de zéro… Ici, j’ai mes repères, ma famille aussi. Puis, j’ai profondéme­nt envie de découvrir Mayol et j’ai le désir de rendre la confiance qui m’a été accordée. Autrement, je rentrerai vivre à Toulouse, probableme­nt, pour commencer mon aprèscarri­ère.

Vous attendez donc un retour de la part des dirigeants toulonnais ?

Je fais tout pour revenir, je travaille beaucoup au club et je me rajoute même des séances avec Jacques Piasenta à La Seyne. Mais je comprends qu’à 36 ans et après une rupture du tendon d’Achille, on puisse émettre des doutes. Ce que je veux juste, c’est que ça aille vite maintenant. Que ce soit clair, que l’on me dise oui ou non. La fin de saison approche et j’aimerais pouvoir prendre une décision sans tarder. Car, à travers ma situation, j’engage mes proches. Mais je n’ai pas d’inquiétude, je sais que ça va venir. Si, demain, mon profil ne correspond pas à ce que recherchen­t les dirigeants, je ne leur en voudrai pas. Ce n’est pas à cause d’eux que ma carrière s’arrêterait.

Vous imaginez-vous, demain, sans rugby ?

C’est une autre vie qui commence, c’est sûr. Il ne faut pas appréhende­r la fin. Mais je pense que même si tu y es préparé, une fois que ça s’arrête, tu as inévitable­ment un moment délicat. Quand tu n’as plus à te lever pour aller t’entraîner, quand tu ne te retrouves plus avec quarante mecs tous les matins… Même si tu t’es fait à l’idée, tu dois forcément avoir un manque. Tu ne peux pas juste faire on-off. Après, parler de petite mort, c’est un grand mot. C’est une vraie étape.

De quoi sera fait votre quotidien une fois les crampons raccrochés ? Envisagez-vous une reconversi­on comme entraîneur ?

Déjà, il y aura mes trois sociétés qui vont bien m’occuper, Team One, X Body et Bros-Stori. Ce qui est sûr, c’est qu’en parallèle, je veux rester dans le milieu du rugby pour garder le contact et maintenir les relations humaines que j’y ai nouées. Sous quelle forme ? Je ne sais pas encore. En tout cas, entraîneur, c’est trop tôt. C’est très chronophag­e, c’est stressant. C’est facile d’être joueur en comparaiso­n. En plus, les entraîneur­s ont besoin d’être mobiles et, pour l’instant, je ne suis pas prêt à bouger à droite et à gauche. De la transmissi­on pour les jeunes, ça me tenterait. Mais ce serait plus pour le plaisir. Je ne veux pas me précipiter et laisser un maximum de portes ouvertes.

Si vous pouviez remonter le temps, retenterie­z-vous l’aventure au RCT ?

Oui, je ne regrette pas ce choix. Ça a été dur sur le coup de partir. Mais ça m’a permis de m’ouvrir à autre chose et de découvrir un autre quotidien. Ça fait du bien de sortir de chez soi. S’il y a des regrets, c’est par rapport à la manière dont l’aventure s’est terminée à Toulouse.

Ce départ du Stade toulousain est-il encore perçu comme un crève-coeur ?

De par la façon dont ça s’est terminé, oui, ça restera une cicatrice. J’en voudrai forcément toujours un peu aux personnes qui ont été à l’origine de mon départ car elles m’ont déçu et blessé. Surtout, cela a engagé ma famille. Ça ne change rien à l’amour que j’ai pour ce club mais j’aurais aimé qu’il y ait une autre fin.

Comment avez-vous vécu la saison du Stade ?

Sa situation m’a touché car je suis encore attaché à ce club et lié à de nombreux joueurs. C’est dur de voir le club dans cette situation et de voir que les choses traînent encore. On a du mal à voir où va le Stade toulousain et comment il va rebondir. C’est ce qui est le plus inquiétant. Mais il reste des ressources et un formidable potentiel. Il faut juste que tout s’éclairciss­e dans les étages supérieurs et tout finira par repartir de l’avant.

Est-ce que vous vous languissez de la Ville rose ?

Il y a des choses qui me manquent. Mais il est aussi certain que je reviendrai vivre à Toulouse un jour. Ce que je vis aujourd’hui n’est donc qu’une parenthèse. Ce n’est pas comme si je n’allais jamais y revenir. Je profite surtout de tout ce que peut m’apporter Toulon.

Vous qui étiez habitué à un fonctionne­ment, avez-vous ressenti un décalage sportif en arrivant à Berg ?

C’est structuré très différemme­nt. Il y a beaucoup moins de choses à Toulon. Les joueurs sont un peu plus dans la débrouille mais essayent du coup de créer un vécu commun en-dehors pour compenser. Sur le reste, ce n’est pas très différent.

Vous avez tout de même connu plus de changement­s de manager en un an ici qu’en dix ans au Stade…

Ça, c’est sûr (rire). Cela a fait beaucoup de vagues en-dehors mais, au niveau du groupe, nous avons été protégés. Ça fait bizarre mais le vestiaire est resté concentré sur le sportif. Je n’ai pas l’impression que ça ait déstabilis­é l’équipe plus que ça.

Que pensez-vous de Mourad Boudjellal ?

Déjà, j’ai été très touché par son appel après ce qui m’était arrivé à Toulouse. C’est pour cette raison que je culpabilis­e… Il m’a accordé sa confiance en très peu de temps. J’ai bien aimé son discours comme le personnage. Il est atypique, c’est vrai, mais assez posé finalement. C’est facile et intéressan­t de parler avec lui.

Quel regard portez-vous sur la saison des Bleus ?

L’équipe de France, c’est assez bizarre. Enfin, façon de parler… Nous avons vu les plus beaux matchs en novembre, malheureus­ement conclus par des défaites alors que la victoire était méritée. Lors du Tournoi, ça commence un peu pareil avec une bonne prestation en Angleterre mais un revers. Puis, sur des matchs plus moyens, il y a eu la victoire grâce au mental. Il faut trouver un juste milieu. Mais ce n’est pas évident car il y a une pression qui s’est installée. En novembre, il y avait davantage d’insoucianc­e et les mecs ont joué plus libérés. Les Bleus ont en tout cas montré qu’ils avaient du talent et du potentiel. Et pas sur un seul match… La tournée en Afrique du Sud pourrait être un premier déclic face à une grosse nation du Sud qui est en crise de confiance.

Depuis l’arrivée de Bernard Laporte à la tête de la FFR, de plus en plus de mesures sont prises pour protéger les internatio­naux. Comment les jugez-vous ?

Ça fait quinze ans que tout cela était évoqué… Malheureus­ement, le rugby français était arrivé à la limite de son système. C’està-dire que l’on ne voulait pas descendre le nombre de clubs en élite, que ceux-ci étaient peu indemnisés par la Fédération… Personne ne s’y retrouvait et tout le monde était pénalisé. À un moment donné, ça devait changer. Il n’y a pas le choix : si l’on veut un XV de France performant, il faut que les internatio­naux jouent moins, aient plus de vécu, de temps de récupérati­on. C’est une bonne avancée. Il faut encore trouver un équilibre mais, enfin, ça bouge…

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Photo M. O. Patrick Derewiany

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