L’internationale
Les Anglo-Saxons les avaient appelés « project players ». Les bébés éprouvettes du rugby mondial étaient nés en Afrique du Sud, aux Samoa, aux Fidji ou en Nouvelle-Zélande. Ils étaient jeunes et, pour la plupart, faciles à convaincre. Une fois sous contrat, ces diamants bruts de la « rugby nation » rejoignaient alors leur pays d’adoption, étaient aussitôt placés dans un club ou une province pour être, trois ans durant, choyés, façonnés et polis par leur nouvelle fédération. Lorsque l’échéance des trente-six mois arrivait à son terme, les « project players » investissaient alors les rangs de l’équipe nationale. Ces dernières années, les Irlandais étaient passés maîtres dans l’art du grand détournement. Et si le Baby Black Jared Payne avait débarqué des Crusaders en 2011 à tout juste 25 ans, c’était avant tout pour succéder un jour à Brian O’Driscoll, retraité trois ans plus tard. Pour le plus grand bonheur de Joe Schmidt, l’ancien capitaine des Baby Boks CJ Stander avait été recruté par le Munster à 22 ans, couvé le temps qu’il fallait par l’Irfu puis propulsé chez les Diables Verts, lesquels en firent l’un des meilleurs joueurs d’Europe. Oh, pensez, les Irlandais ne sont pas les seuls à avoir usé et abusé de la permissivité ambiante. Lorsque l’Écosse en a eu assez de souffrir en mêlée, elle a usé du même procédé en faisant signer le droitier des Cheetahs WP Nel. En Italie, la Fir a cru un temps trouver en Kelly Haimona le Diego Dominguez Kiwi. L’Angleterre s’est offert, avec le Fidjien Nathan Hugues, un numéro 8 plus qu’honnête pour les jours où Billy Vunipola abuse un peu trop du fish & chips. Tout blancs, les Bleus ? La blague. Au moment même où Uini Atonio ou, plus récemment, Paul Willemse, posaient le pied en France, les jours qui les séparaient de la quille étaient religieusement scrutés par les sélectionneurs successifs. En faisant passer la durée d’éligibilité de trois à cinq ans, World Rugby a décidé le 10 mai dernier d’en finir avec les bébés éprouvettes du rugby mondial, le cynisme et l’hypocrisie qui avaient transformé le « 6 Nations » en « Nations Unies ». Dès 2020, les pays pauvres ne seront plus spoliés par les nations mères. L’équilibre est rétabli.
C’est le grand soir, ou presque…