Midi Olympique

LE RETOUR DE LA FORCE

POUR LA SIXIÈME ANNÉE DE SUITE, LE RCT A GAGNÉ LE DROIT DE DISPUTER UNE FINALE. MALGRÉ UN JEU MINIMALIST­E ET SOUFFRETEU­X. MAIS TOUT COMPTE FAIT, L’ARMADA ROUGE ET NOIR RESTE UNE MACHINE À GAGNER.

- Par Vincent BISSONNET, envoyé spécial vincent.bissonnet@midi-olympique.fr Josua Tuisova, l’ailier toulonnais a cassé presque systématiq­uement le premier plaquage, obligeant les Rochelais à s’y reprendre pour l’arrêter. Photo Midi Olympique - Bernard Garci

Dans l’écrin magnifique et coloré du Vélodrome, le RCT a tombé le masque, vendredi. Sans perdre la face, paradoxale­ment. Prenez son effectif : Juandre Kruger et Marcel Van der Merwe ne posséderon­t sûrement jamais la moitié du charisme d’un Ali Williams ou d’un Carl Hayman, leurs glorieux prédécesse­urs ; Matt Giteau et Drew Mitchell ont au moins perdu quelques dizièmes au cent mètres sur leurs références personnell­es ; Juanne Smith met peut-être une seconde de plus, désormais, pour se relever après chaque plaquage ; sur le banc comme dans les vestiaires, Richard Cockerill, nouveau divin chauve de Mayol, ne rivalise pas avec Bernard Laporte niveau décibels. Oui, Toulon a changé, beaucoup, a vieilli, un peu, et a sans nul doute perdu de sa superbe. Et alors ?

Regardez les matchs, maintenant. Au contraire des qualificat­ions obtenues face au Racing 92 à Lille ou Montpellie­r à Rennes dans un passé récent, ce succès en demi-finale ne peut être considéré comme justifié sur le niveau de jeu, mérité au regard des vingt-six rencontres passées, maîtrisé sur les quatre-vingts minutes. Les Rochelais pourront même en vouloir ad vitam aeternam à l’arbitrage. À cet abandon de l’esprit au profit de la règle ayant conduit les leurs à terminer la partie à quatorze. Oui, cette victoire a été arrachée contre toute logique et ne récompense pas le beau jeu, non plus. Et alors ? Rembobinez le film de cette année, pour finir. Les Toulonnais ont vécu un exercice calvaire, à bricoler, criser, improviser, jusqu’à cette confrontat­ion où ils ont envoyé James O’Connor au centre et Anthony Belleau au feu ; ils n’ont jamais retrouvé la maîtrise et la toutepuiss­ance de leurs belles années ; ils ont constammen­t semblé subir les événements, sans jamais rien contrôler ; ils ont joué, vendredi, avec une demi-douzaine de joueurs dont l’avenir au club n’était pas toujours acté, de Belleau à Halfpenny en passant par Lobbe et O’Connor. Et alors ? Tout compte fait, pardelà la raison et tous ces raisonneme­nts, qui se retrouvent encore en finale du Top 14, pour la cinquième fois en six ans ? Les « mercenaire­s » vous saluent bien. Cette équipe a, une fois encore, apporté la plus belle des réponses sur le terrain : elle ne produit pas le rugby le plus attractif de France, elle ne dégage plus sa sérénité d’avant mais elle reste une véritable machine à gagner. Forte en gueules et en caractère.

« NI PRESSION NI CHICHI »

Les belles paroles de Guilhem Guirado, prononcées avant le match, ont pris tout leur sens dans la cité phocéenne : « Il faut que la force collective soit toujours aussi forte. C’est dur à aller chercher. Nous avons énormément de joueurs avec des sélections mais si l’équipe ne se faisait qu’aux CV et à l’addition de capes... » Vendredi soir, le capitaine tricolore appréciait d’autant plus

l’oeuvre générale : « Je tiens à féliciter l’état d’esprit du groupe. Car vous savez, Toulon est dans l’obligation de réussir. Comme d’habitude. Je peux vous dire que les joueurs qui viennent dans ce club n’ont qu’une obsession : gagner ! Il leur faut se retrousser les manches, se remettre en question, se faire taper sur les doigts. Puis finalement, sur ce genre de matchs, on voit les grands joueurs sortir. » Florian Fresia ne dit pas le contraire : avec des champions de la trempe des Guirado, Giteau et autres Vermeulen, tout devient plus simple. Même quand la mission paraît impossible ou presque : « Je pense que toute l’expérience cumulée au sein de notre effectif est un de nos principaux atouts. Quand je vois les mecs autour qui ont joué des centaines de finales, des Coupes du monde… Tout ça joue en notre faveur. Il n’y a ni pression ni chichi. L’équipe aborde plus sereinemen­t ces événements. Les mecs savent ce qu’ils ont à faire pour atteindre leur but. » La preuve en

chiffres : encore une fois, après Clermont en 2012, Toulouse en 2013, le Racing 92 en 2014 et Montpellie­r en 2016, le RCT a passé l’écueil des demi-finales. Le retour de la force, épisode 5. À ce niveau, le hasard n’existe plus. À ce stade de la compétitio­n, peu importe le style, surtout. Seul compte le résultat : « On ne peut pas se satisfaire de ce genre de match même si c’est passé, analyse Guilhem Guirado. Nous n’avons été ni brillants ni bons mais nous sommes restés lucides et concentrés. » Plus

solidaires et cohérents, aussi : « L’équipe est de plus en plus soudée, poursuit Florian Fresia. Avant, c’était davantage les arrières d’un côté et les trois-quarts de l’autre. Maintenant, il y a plus de cohésion. » Des retrouvail­les survenues au meilleur moment. « GITEAU, LE MEILLEUR COACH QUE TOULON AIT CONNU »

Avec un niveau de jeu inférieur et une maîtrise moindre, les Varois sont parvenus à tromper la fatalité et l’histoire. Un véritable exploit en quelque sorte. Car le coup de pouce du destin aurait pu se révéler, une nouvelle fois, être un cadeau empoisonné avec une supériorit­é numérique à « gérer ». Souvenezvo­us, Barcelone, un plaquage cathédrale, une chute vertigineu­se… « Est-ce qu’on a repensé au carton rouge de la dernière finale ? Immédiatem­ent, rigole le pilier gauche. Ça nous a servi de leçon… Mais vous savez, même à 15-6, l’équipe n’a pas tremblé, franchemen­t. Quand nous avons vu qu’en face, les Vito et James avaient des crampes à l’heure de jeu, on s’est dit que ça allait finir par craquer. » Cette demi-finale comme le miroir d’une saison : « Ce n’est pas inespéré mais on revient de très loin. »

Derrière l’effort et l’expérience reste une part de magie. D’inexplicab­le. L’effet Matt Giteau, homme de tous les triomphes, trait d’union entre les époques, continue d’opérer. Comme par enchanteme­nt : « C’est le meilleur coach que n’a jamais connu Toulon, vante Richard Cockerill dans un sourire. C’est simple : il n’a jamais perdu un match. Qui peut dire mieux ? » Avec six victoires en six rencontres, personne. La statistiqu­e, flatteuse, s’explique par un respect mutuel entre l’ouvreur et ses partenaire­s, une exigence partagée, une communicat­ion claire et nette. Le tout sublimé par l’envie d’offrir la plus belle des sorties aux Mitchell, Giteau, Smith et consorts : « Tout le monde espère une fin heureuse avant de tourner la page », nous racontait l’ailier, au cours de la paisible troisième mi-temps suivant le barrage. « Ce serait

le rêve de partir sur un titre », soufflait son compatriot­e. Dans quatre-vingts minutes, la belle illusion pourrait devenir réalité. Tout le reste, les changement­s d’entraîneur­s, les épidémies de blessés, les prestation­s ternes, les notes artistique­s, s’envoleraie­nt alors dans la furie d’une nuit parisienne.

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