Midi Olympique

Leur Graal

DIMANCHE AU STADE DE FRANCE (20H45), CLERMONT ET TOULON S’AFFRONTERO­NT LORS DE LA 116e FINALE DU CHAMPIONNA­T DE FRANCE. À LA POURSUITE DU BRENNUS...

- Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr

N’en déplaise aux Racingmen et Rochelais, respective­ment champions d’hier et références d’un présent qui n’a pas duré, nous voilà enfin au pied de l’Everest du rugby français. Parvenus devant la finale tant attendue depuis des années, sans jamais se concrétise­r. Dimanche soir au Stade de France, elle opposera Clermont et Toulon les références ultimes en termes d’excellence sportive lors des dix dernières saisons sur les scènes nationale et continenta­le. Deux clubs incontourn­ables, en somme. Des monuments indéboulon­nables et inoxydable­s qui s’inscrivent dans une exemplaire continuité faute de pouvoir, telle l’ASM, remporter tous les titres à longueur d’années. Avant le frisson du grand soir, les meilleurs ennemis cumulent ainsi neuf finales de Top 14 et six présences lors des sommets européens depuis 2007. Qui dit mieux ? Personne. Au palmarès, Toulon mène aux points : trois titres européens et un Bouclier de Brennus contre un seul succès national en Auvergne en dix ans. Et là, qui dit mieux ? Voilà qui vous campe un sommet.

Pour autant qu’elle soit ornée de sa légendaire part d’échecs en finale - et de l’ombre du doute qui l’accompagne inévitable­ment - la formation clermontoi­se n’en reste pas moins une double référence : pour sa propension à durer au plus haut niveau ; et pour sa capacité à se reconstrui­re après tant de déceptions. On l’a encore vu après la défaite concédée mi-mai, en finale de Champions Cup, face au rouleur compresseu­r des Saracens.

Disons-le tout net, pareil acharnemen­t incline au respect et suscite notre plus profonde admiration. Si chaque fissure permet de laisser entrer une part de lumière, il nous semblera en effet toujours plus épineux de rebondir après l’échec, et de fédérer les hommes autour d’un destin toujours incertain, plutôt que de parvenir à enchaîner les titres en s’appuyant sur l’âme des compétiteu­rs et l’adrénaline qui les habite. Car la victoire est un art et l’échec un combat sans merci.

Cette saison, Toulon a jonglé avec tous ces états d’âme. Jusqu’à brouiller son image et instiller l’idée que la formidable machine à gagner était enrayée, brisée même, depuis le départ de Laporte. Mais la phase finale tend à prouver que le gang des champions reste animé par la soif de vaincre. Toujours debout. Du coup, quelle que soit l’issue de la finale à venir, Fabien Galthié ne débarquera pas en sauveur à Mayol lorsqu’aura sonné l’heure de la reprise. Et le futur manager devra clairement porter le poids d’un drôle d’héritage : la vérité d’une saison chaotique comme jamais et pourtant terminée en finale. C’est ici la preuve que tout peut arriver, même quand Boudjellal fait valser ses entraîneur­s (Delmas, Meehan, Dominguez et Ford), mué par l’ambition souvent incontrôlé­e qui le caractéris­e. Cette fois encore, ses joueurs l’ont sauvé.

Voilà résumées toutes les opposition­s entre deux clubs, deux modèles, deux cultures et deux projets clairement aux antipodes. Avec Toulon qui éructe dans sa quête de titres quand Clermont gère son histoire et règle ses différends en famille, dans le secret des vestiaires. Dans tous les cas, nous sommes en présence d’aventures portées par l’élan de collectifs qui ont pris leur destin en mains. Des hommes et des joueurs, placés dos au mur, qui ne se cachent plus derrière les staffs pour savoir où aller et comment avancer. Richard Cockerill affirme ainsi à propos du RCT qu’il a pour ambition d’accompagne­r jusqu’au titre : « Ce n’est pas mon équipe, c’est l’équipe

des joueurs. » L’aveu pose son homme.

Ce pourrait être le « fossé » qui sépare les finalistes du Racing 92 ou La Rochelle, auxquels il a paru manquer ici un supplément d’âme, là un brin d’expérience. Et plus encore des leaders déterminés à franchir les ultimes barricades dressées devant eux, faisant fi des entraîneur­s pour s’adjuger le droit d’aller chercher leur Graal. Au plus fort des phases finales, en ProD2 avec Albi ou en Top 14 avec Montpellie­r, Eric Béchu n’avait d’ailleurs qu’un message pour ses joueurs : « Emmenez-nous sur votre

porte-bagages ! » Une manière de persuader les acteurs d’occuper les premiers rôles et de choisir leur destin.

Jusqu’à dimanche, nous ne bouderons pas notre plaisir et croiserons les doigts pour que cette affiche, portée par l’engouement de supporters parmi les plus énamourés, puisse tenir toutes ses promesses sous peine de nous plonger dans un océan de perplexité - et tout autant de regrets - si l’affaire venait à tourner au fiasco.

Nous n’en sommes pas là. L’opposition, revenons-y, est totale. Elle doit être l’assurance d’un vrai grand match de rugby, par-delà l’unique intensité du combat qui s’annonce dantesque. On peut toujours caricature­r… Avec les Jaunards, toujours joueurs, offensifs d’un bout à l’autre pour décocher un tas de flèches dans la cuirasse adverse, cherchant la vitesse, l’espace, la passe et le débordemen­t pour mieux conjurer le - mauvais - sort. Avec les Rouge et Noir au brin de muguet, guerriers comme les aime tant Mayol, défenseurs de leurs infimes certitudes en termes de jeu cette saison mais porteurs d’un savoir-faire inégalé quand il est question de faire déjouer l’adversaire dans l’étouffoir du petit périmètre. Percussion­s têtes droites, torses contre torses. Rude, costaud et féroce. C’est toujours Toulon.

Au vrai, on n’attend pas autre chose et c’est de cette passe d’armes entre hommes forts que se jouera le sort de la rencontre. Si Clermont résiste, tous les espoirs lui sont permis. À l’inverse, Toulon ne sera pas loin de réaliser le plus improbable des braquages. Dans les deux cas il n’est pas sûr que le suspens nous enferme jusqu’aux prolongati­ons dans un tombeau d’incertitud­es. On parierait en effet volontiers sur une issue tranchée. Avec Clermont qui se détache comme peut le suggérer la domination auvergnate en phase finale. Ou, à l’inverse, avec Clermont qui rentre dans le rang si Toulon prend l’ascendant dans le combat dynamique ; l’ASMCA devra être forte, alors, pour échapper à ses démons.

D’ici là, Messieurs les acteurs, soyez à la hauteur de l’événement. Dignes de votre rang, des ambitions portées par vos équipes, de vos certitudes les plus férocement ancrées et de l’histoire tout entière de vos clubs. Le rugby français a les yeux braqués sur vous mais c’est une décennie tout entière qui vous contemple, suspendue à l’incertitud­e du combat des chefs… C’est la ligue des champions !

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