Midi Olympique

« Je pourrais en mourir de honte »

NOMMÉ MARDI, IL NOUS A RÉSERVÉ SON PREMIER ENTRETIEN, DONT UNE PARTIE A ÉTÉ RÉVÉLÉE EN EXCLUSIVIT­É SUR MIDI-OLYMPIQUE.FR ET RUGBYRAMA DANS LA FOULÉE DE SON ÉLECTION. IL ÉVOQUE ICI SES OBJECTIFS ET SON ATTACHEMEN­T VISCÉRAL À CE CLUB.

- Propos recueillis par Jérémy FADAT (avec E. M.) jeremy.fadat@midi-olympique.fr

Quelle est votre première ambition de président ?

Offrir à la grande famille du Stade toulousain l’unité qui nous a toujours permis d’être sur les plus hautes marches de la performanc­e. Je parle de gagne, d’attitude, de communicat­ion. Le club n’appartient à personne et son président s’inscrit dans une lignée. Celle de René Bouscatel, mais aussi de Jean Fabre ou Henri Fourès qui m’ont régulièrem­ent appelé. Aucun ne m’a dit : « Il faut que tu fasses ça. » Mais tous m’ont mis sur une voie en me confiant : « À toi de le faire à ta façon. » L’exercice n’est pas juste de succéder à René Bouscatel mais à l’ensemble de ceux qui ont fait la vie de Toulouse. L’avantage, c’est que je suis né avec eux. Je suis passé dans tous les postes du club : école de rugby, éducateur, joueur profession­nel, entraîneur, dirigeant, ou salarié extéro-interne. Je pense pouvoir changer le mode de collaborat­ion. Les associatio­ns sont dirigées par des gens historique­s et jamais je ne me permettrai de pousser vers la sortie qui que ce soit. Il est certain qu’on aura besoin d’un circuit court de décision mais seule la suite nous donnera raison. Le vilain terme dont on doit se méfier, c’est l’armée mexicaine. Mon rôle sera celui de coordinate­ur et de responsabl­e final. Ce qui te sanctionne, c’est le résultat. Ça marche ou ça ne marche pas.

Pour combien de temps êtes-vous élu ?

Quatre ans. Mais si, entre-temps, il y a des évolutions en termes de capital ou une remise en cause de la politique du club, je suis révocable.

Serez-vous président salarié ?

Oui, si l’économie du club le permet, ce qui n’est pas sûr. Quand un président est propriétai­re, il prend souvent la direction du Conseil de surveillan­ce. Ce n’est pas mon cas. Je viens pour la partie opérationn­elle et je mets ma responsabi­lité sur la table.

L’urgence est-elle économique ?

Ce club doit se recapitali­ser. Il a trouvé des solutions financière­s pour passer le cap de la fin de saison 20162017 et aborder 2017-2018 sans problème. Nos difficulté­s sont liées à la réglementa­tion des instances du rugby. Nous sommes, depuis quelques années, sur un déficit structurel qui nous amène à consommer régulièrem­ent nos fonds propres. Trouver des solutions pour les reconstitu­er est une priorité. Puis, il conviendra de faire évoluer le modèle économique. Je suis un pur produit du Stade toulousain. Ce club peut avoir cette force des valeurs de la tradition et être inscrit dans la modernité. Bien sûr, le nerf de la guerre sera le financier. Mais quand on parle de difficulté­s, je précise qu’il n’y a pas un jour de retard dans les règlements de salaires ou autres problémati­ques d’impayés.

Mais la situation vous inquiète-t-elle ?

Tous les clubs, ou presque, jouent au-dessus de leurs moyens. Toulouse était le plus riche et, comme on devait présenter des comptes équilibrés, le restait. Aujourd’hui, on a le droit de perdre de l’argent vu qu’on en apporte en investisse­ment - à perte ou pas - donc la chance est donnée à des clubs qui peuvent être plus riches que toi sur une année, même si leurs ressources ne les rendent pas plus riches.

Aussi, je suis touché d’être montré comme le club avec la plus forte masse salariale en termes de joueurs. C’est juste risible. Nous nous sommes affaiblis sur un certain nombre de ressources alors que les charges continuent à demeurer exponentie­lles. On pâtit aujourd’hui de cette réputation. Mais faites des tableaux comparatif­s avec les autres clubs et vous verrez alors ce que sont les résultats d’exploitati­on cette année. La douzième place sportive, on l’assume et la regrette mais, sur ce plan, je ne suis pas sûr qu’on soit douzièmes (sourires). On ne fait pas partie de ceux qui ont perdu le plus d’argent, sauf que la force des capitaux propres n’est plus suffisante. Il faut les remplir. La première des choses est de séduire pour garnir de nouveau les tribunes. Puis, il y a tout ce que tu vas développer dans ton économie de club... La ligne de flottaison n’est pas si loin.

Vous avez convaincu Thomas Castaignèd­e de vous accompagne­r…

Il intègre le Directoire. On sera trois, avec Philippe Jougla qui est déjà en charge des finances. Thomas aura un regard plus extérieur et sera en charge de dossiers spéciaux de développem­ent, notamment à l’internatio­nal. Il possède la principale qualité pour travailler ici : être Stadiste. Et il a la chance d’avoir navigué sur la planète, de pouvoir en ramener des choses qu’on fait mieux ailleurs. Il a l’oeil du rugby internatio­nal. Tant sur le plan de la moralité que celui de l’efficacité, j’ai toute confiance en lui.

Votre statut à la tête de votre régie laissait planer le risque de conflit d’intérêt, jusque ces derniers jours…

Le conflit d’intérêt, c’est quoi ? C’est qu’à un moment, des gens peuvent se dire : « Didier Lacroix a des relations

familiales et amicales au sein du club. » Évidemment, je suis né dedans ! Le premier conflit d’intérêt, s’il avait dû exister, est de savoir si Jean Lacroix, comme dirigeant historique auprès de Guy Novès s’est permis de l’influencer pour qu’il me fasse jouer ? Je vous laisse l’annoncer à Guy Novès… Je me suis construit sur le : « Il est en

train de profiter du système. » Mais je suis obligé d’avancer en sachant que certains coups de hache sont plus douloureux que les coups de fléchettes. Je sais d’où je viens, je connais les valeurs entreprene­uriales qui m’ont été données, notamment par mon père. Que voulez-vous que je réponde aux gens qui pensent ça ? Je vais m’efforcer de remettre le Stade toulousain sur un niveau de performanc­e qui doit être le sien. Si je n’y arrive pas, cela les autorisera à dire ce qu’ils veulent.

Mais ces allusions vous touchent-elles ?

Je ne l’occulte pas mais j’ai passé des années à essayer d’être dans la démonstrat­ion. Pour y répondre, je laisse tomber mon job, fais des concession­s financière­s, me mets en risque dans quelque chose qui ne m’appartient pas et j’ai cédé des actifs -ce que je peux prouver- presque à la moitié de leur valorisati­on. L’un de mes principaux défauts est de ne pas être du tout physionomi­ste, cela a déjà donné lieu à des scènes cocasses. Mais la phrase que j’ai le plus entendue dans ma vie dans une première discussion, c’est : « Finalement, t’es moins con que tu ne le parais. »

Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?

Il y a des moments où l’ensemble des planètes s’alignent. Les gens qui me connaissen­t le mieux ne me disent pas : « Tu vas réaliser ton rêve. » Dans ma vie actuelle, j’étais à la quintessen­ce de ma liberté. J’avais l’aisance financière, qui n’a jamais été patrimonia­le ; elle me permettait de vivre comme je le souhaitais et on ne me dictait pas ma loi en termes d’emploi du temps. Hormis dans mon statut de joueur, cela ne m’est jamais arrivé de travailler pour quelqu’un. Ma vie est faite de passions et le temps qui me sera donné ne sera pas le même. Mais quand ton amour pour cette institutio­n est telle et que tu penses, avec humilité, qu’une partie de son redresseme­nt passe par une restrictio­n de ton propre confort, tu dois le faire. Sinon, il serait trop facile de laisser les gens galérer et de ne pas réaliser certaines concession­s.

Vous semblez avoir plus à perdre qu’à gagner…

Je ne ferai pleurer personne mais la prise de risque est majeure. Je l’ai pesée et j’ai consenti un effort important dans la vente de ma boîte car c’est indirectem­ent un investisse­ment que je fais au Stade toulousain. Sans retour de parts sociales ou quoi que ce soit. René Bouscatel m’a dit, il y a longtemps : « Avant tout, c’est toi qui

n’es pas prêt à faire cet effort. » Il avait raison. J’entre dans ces fonctions avec la même appréhensi­on que lors de mon premier match en équipe première. Je savais que l’interrogat­ion sur mon avenir était totale. Entre les matchs amicaux et ceux classiques, j’en ai joué 412 de plus. Avec toujours cette question : vous allez mettre le petit troisième ligne de 79 kg ? Même si j’ai fini à 92 (sourires). Tous les ans, le club en recrutait un meilleur pour me remettre sur le gril. J’ai passé treize saisons sur le terrain. Quand tu es joueur, si tu t’arrêtes au moment où tu as ton nom dans le vestiaire, tu es mort. Là, c’est pareil. La nomination est une chose. Mais ce qui m’intéresse, c’est de vous retrouver dans un an, deux ans, trois ans, avec les résultats qu’il faut. Sinon, je pourrais en mourir de honte.

Le contrat du directeur sportif Fabien Pelous arrive à son terme fin juin. Sera-t-il toujours en poste la saison prochaine ?

La question n’est pas réglée. Il y a le cadre de mon arrivée avec une prise de fonction au 1er juillet. Il est clair avec Fabien que, tant que je n’ai pas des responsabi­lités établies, l’on ne peut pas me prêter des décisions préalables. Celle-là, elle n’est pas prise et elle fait partie des décisions structuran­tes du club. Ce mec est le plus capé du rugby français. Il ne faut pas émettre d’hypothèses avant que j’ai pu avoir une conversati­on avec lui pour clarifier ses envies, nos besoins et se mettre d’accord sur une continuité ou pas.

Son avenir est-il conditionn­é à votre rapport à la gouvernanc­e ? À savoir si, comme d’autres présidents, vous aurez une prise directe avec le staff ?

Pour moi, la présidence, ce n’est pas la conférence de presse d’après-match. Elle est laissée intégralem­ent au sportif. Le président a forcément un certain nombre d’avis sur la partie sportive mais c’est une question de délai. Honnêtemen­t, je n’ai pas pris cette décision mais je crois qu’il faut un circuit de responsabi­lisation beaucoup plus court. Soit le descriptif des attentes envers Ugo (Mola) et Fabien (Pelous) n’a pas été clair, soit la perception des responsabi­lités ne l’a pas été, soit ils n’ont pas été bons face à ces responsabi­lités. Je ne le sais pas réellement.

L’autre question épineuse concerne Jean-Baptiste Elissalde à qui il a été annoncé qu’il ne serait plus en charge des trois-quarts la saison prochaine…

Il vient tous les jours à Ernest-Wallon. Il est en fin de contrat en juin 2018 et il y a un droit du travail à respecter. Je prendrai ce dossier en cours, là où il en sera. Aujourd’hui, il est entre les mains de l’actuel Directoire. Le risque, pour lui comme pour nous, serait de décider quelque chose qui n’est pas fait dans la transparen­ce.

Comment sera composé le staff sportif ?

Ugo Mola sera entraîneur principal avec un autre entraîneur qui s’appelle William Servat. Ça, c’est la tête de pont de l’équipe première. Ils auront, à leurs côtés, des gens permanents et/ou ponctuels (Bouilhou et Broncan sont sous contrat, N.D.L.R.). Ils ont des objectifs clairement exprimés et la responsabi­lité leur incombe pleinement.

Quels objectifs ?

De performanc­e, même si la difficulté est de pouvoir les annoncer dès cette année alors qu’on aura à assumer une saison avec un club qui est marqué, des joueurs qui se disent : « On est la génération qui n’a pas qualifié le Stade toulousain. » Ici, nous sommes contraints au résultat, et s’il faudra peut-être alléger cette responsabi­lité pour certains et donner à l’équipe une relative virginité, l’ambition du club reste entière pour renouer avec l’excellence. Je veux bien que mon équipe soit mauvaise si c’est son niveau. Mais si on a l’impression, et c’est la mienne aujourd’hui, qu’elle n’a pas joué individuel­lement et collective­ment, à son niveau, c’est qu’il y a des fautes d’encadremen­t à tous les étages du club, des joueurs au président. Il faut tous se remettre en cause pour redevenir performant­s. Si le président, avec l’ensemble de sa cellule de recrutemen­t, n’a fait venir que des caves (sic) et qu’on joue comme des caves, alors tu vires le président. Mais si tu as des mecs qui ont du potentiel et qui ne le démontrent pas, il faut se poser les bonnes questions. Le plus court terme, c’est la clarificat­ion des responsabi­lités et du discours. Mais je peux vous assurer que l’ambiance à tous les étages sera de se filer sacrément au boulot. Pas pour remplir tes cases de présence mais avec l’idée : qu’est-ce que je peux faire de plus ? Avec l’objectif d’aller chercher la victoire. Chez les jeunes, la génération des Baille, Aldegheri, Cros ou Bonneval a gagné en Cadet et en Crabos. Elle veut gagner de nouveau.

Priorité sera-t-elle donc donnée aux jeunes joueurs ?

Oui, mais elle est surtout à la performanc­e. Thomas Ramos et Antoine Dupont, ce sont des signes forts. L’énorme performanc­e du Stade toulousain, ces trois dernières semaines, est par exemple d’avoir conservé Dupont, malgré toutes les attaques. C’était un combat de tous les instants et certains se sont permis de tirer sur la bête. C’est le jeu mais peut-être que l’on s’en souviendra et si on peut le rendre un jour… Je leur ai assuré : « Vous incarnez pleinement ce que l’on veut pour demain. »

« Je ne ferai pleurer personne mais la prise de risque est majeure. Je l’ai pesée et j’ai consenti un effort important dans la vente de ma boîte car c’est indirectem­ent un investisse­ment que je fais au Stade toulousain. »

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