LUMIÈRE AUSTRALE
Je me souviens d’une réception à Pretoria, en mai 1995, quand l’Afrique du Sud organisait la troisième Coupe du monde. L’ancien premier ministre Frederik De Klerk m’avait confié : « En scolaires, j’ai joué au rugby. Troisième ligne évidemment. » Steve Tshwete, ministre des sports de Nelson Mandela, avait renchéri : « J’ai toujours joué flanker. Sur le côté fermé. J’étais un joueur dur, un plaqueur méchant. » Un parfait résumé du rugby sudafricain.
Justement, samedi à 17 heures, dans une lumière australe sublime et déclinante, le xv de France défiera les Springboks au Lotus Versfeld de Pretoria. Débuter une tournée par un test-match à 1523 mètres d’altitude est toujours une gageure. Explications de Pierre Berbizier, qui avait installé à Pretoria son camp de base en 1995 : « La raréfaction de l’air crée une atmosphère sèche, on y respire différemment. En outre, le jeu au pied peut se trouver profondément modifié. Le stade est typiquement sud-africain avec ses tribunes hautes et proches du terrain. On a l’impression d’être dans une arène dont on ne peut s’échapper, sinon par le combat. » Le rugby, même professionnel, n’est pas tout dans la vie et j’espère que l’équipe de France prendra le temps de déambuler parmi les jacarandas, les roses et les magnolias ; le temps aussi d’un braaivleis (de braaï : griller et vleis : viande), barbecue local avec ses filets d’impala ou de phacochère, accompagnés de cèpes du Transvaal, de sauvignons blancs et de pinots noirs ; le temps enfin de prendre conscience de toute l’ambiguïté de cette capitale administrative qui fut longtemps celle d’une impitoyable répression, ville dont l’écrivain sudafricain Breyten Breytenbach écrivait qu’elle était « le mal absolu ».
Durban, où se déroulera le deuxième test le samedi 17 juin, est indienne et cosmopolite, victorienne, californienne, musulmane et bouddhiste. C’est un autre monde où les Français découvriront l’aube rouge sur l’océan indien. Les plus courageux partiront peutêtre sur les traces du Mahatmat Ghandi qui a vécu vingt et un ans à Durban. J’avais eu le privilège en 1995, de rencontrer Éla, petite-fille de Gandhi, persécutée puis élue députée après que son fils ait été tué par un « commando de la mort ». À Durban, les 35 joueurs français se demanderont sans doute pourquoi les Bleus y ont fait aussi souvent match nul, en 1993 (20-20), en 2005 (30-30), sans oublier le 19 juin 1971 (8-8), célèbre pour la plus longue bagarre du rugby international.
Le 24 juin, l’Eden Park de Johannesburg, à 1650 mètres d’altitude, ce sera encore autre chose. C’est là que l’équipe de Lucien Mias, le 16 août 1958, a vaincu les Springboks (59) dans une série de test-match. C’est l’an 1 du rugby français. C’est là que l’équipe entraînée par Pierre Berbizier a renouvelé l’exploit le 3 juillet 1993 (17-18). L’histoire portera les Français. Il leur restera alors à trouver un numéro de « Drum », revue mythique du jazz sud-africain ou un enregistrement des Mango Groove, groupe vedette des années 90, qui s’appuyait sur les sonorités des townships. Et à apprendre que le Pam Brink Stadium de Springs, construit spécialement pour battre le XV de France, n’avait plus jamais accueilli de test-match après la victoire de Michel Crauste et ses hommes (6-8). C’était le 25 juillet 1964, l’année où Nelson Mandela fut emprisonné à Robben Island. Le matricule 466/64 y resta 18 ans.