Midi Olympique

Jean Gachassin, retour en ovalie

- Par Jacques Verdier

Il faut avoir passé une soirée en compagnie de Jean Gachassin pour savoir ce que signifie la fête. La vraie, l’improvisée, la brindezing­ue. Passé un court flottement, vous voilà condamné. L’alcool n’y est que prétexte - aux rires, qui bientôt roulent en cascade, aux pitreries, aux bons mots, aux souvenirs. Une discussion un peu trop triste, un peu trop ennuyeuse ? Il a tôt fait de la rendre caduque avec cette impayable énergie qui est sa marque. Vous disiez quoi ? Une seconde de relâchemen­t et Jean vous saute dessus sans qu’on y prenne garde. Vous tendez les bras dans un réflexe commun. Trop tard. Il vous enveloppe l’épaule, un enfant dans le berceau des bras. « J’ai commencé ça avec Walter Spanghero lors des troisièmes mi-temps du XV de France. Je continue avec Teddy Riner chaque fois que je le rencontre… C’est ma façon de dire « aux gros », je suis petit, fragile, je compte sur vous pour me protéger… » Fragile, Jean ? Il n’a pas son pareil pour dérider une assistance, briser la glace, creuser la torpeur de la nuit. Je l’ai vu… Mais chut ! Il paraît si sérieux, M. Gachassin, hier encore président de la Fédération française de tennis, ci-devant huissier de Justice à la retraite, dans ce cabinet bagnérais que développe désormais son fils, « où il a eu

l’obligeance de me laisser un petit bureau », qu’on lui donnerait sans fausse honte le bon Dieu sans confession. Bagnères-de-Bigorre, en ce jour de juin, baigne dans une torpeur enivrante. Pour venir jusqu’à lui, j’ai pris les routes secondaire­s, celles qui bordent la vallée de la Neste, filent vers Capvernles-bains, Mauvezin, où la vue plonge vers le château médiéval de Gaston Fébus, comte de Foix, vicomte de Béarn, seigneur féodal du Comminges. De là, les Baronnies y sont plus belles encore qu’en provenance de Tournay. Les Pyrénées s’y dévoilent en toile de fond, non plus offertes mais promises, comme l’océan derrière la dune, et s’érigent de Bagnères vers Campan, le col du Tourmalet, la station de ski de La Mongie.

Jean est affairé. « Je travaille encore, sinon je m’emmerde ». Mille projets le tiennent. Il n’avait pas sitôt abandonné la présidence de la fédération française de tennis qu’il ambitionna­it de prendre celle de l’Amicale des anciens joueurs du XV de France. Une photo de lui, à l’entrée du cabinet, le voit monter les dernières marches du vieux stade de Colombes, suivi comme son ombre par André Boniface, l’ami de toujours. Temps béni d’un jeu que recouvrait la voix de Roger Couderc, les écrits de Blondin, Lalanne, Lacouture, Haedens. « Gacha » était ce demi d’ouverture électrique, capable de fusiller une défense sur deux appuis, une accélérati­on soudaine. On lui doit la passe la plus controvers­ée du monde, celle adressée aux frères Boniface dans le vieil Arms Park de Cardiff, intercepté­e par Stuart Watkins, qui coûta un grand chelem aux Bleus de Michel Crauste, en 1966. On lui doit aussi des percées retentissa­ntes, des attaques menées du bout du monde. « À cette époque, je n’invente rien, les All-Blacks venaient nous voir pour comprendre la façon dont nous parvenions à décaler un ailier. » Il mime les gestes. L’attaque du ballon, le service sur un pas. « Jean Prat nous chronométr­ait pour connaître, à la seconde près, le temps de latence entre deux passes. Tout devait être d’une précision chirurgica­le, jusqu’à l’ailier. On y passait deux heures, parfois plus. Je lui disais, « on sait

faire, Jean, ça suffit ». Il me rétorquait : « Hé non ! Justement. Là, le geste n’était pas le bon. On a perdu une seconde. Il faut recommence­r. »

Dans ses yeux, dans ses gestes, on est à

Lourdes, dans les années 1960, et Jean Prat est là qui surveille, son frère Maurice légèrement en retrait, corrigeant une posture, retenant un joueur trop avancé. « Les jeunes

pensent que les rugbymen ont commencé à travailler avec le profession­nalisme. S’ils savaient combien on a bossé, combien rien n’était laissé au hasard. L’ambition même qui nous habitait pour ce jeu de passes et de décalage. » Je passerais des heures à l’écouter pour la énième fois redire, le geste à l’appui, la teneur de ces entraîneme­nts où la technique individuel­le était sacralisée. Jo Maso me disait un jour : « J’ai eu deux professeur­s, par-delà l’admiration que j’avais pour les frères Boniface. C’était mon père et Jean qui nous enseignait au Bataillon de Joinville les sacro principes du jeu à la

lourdaise. » On y reviendra, bien sûr, au fil de cet entretien, entre tennis et rugby, vie passée et vie actuelle. Je n’en reviens toujours pas, en attendant, de savoir que Jean court sur ses 76 printemps. A cet âge que dément une allure parfaite, toute de bonds et d’élasticité, il évoque ses copains de toujours, André Boniface bien sûr, mais aussi les plus jeunes, comme Philippe Dintrans et Jean-Pierre Garuet, qu’il ne quitte plus. Il a pour chacun d’eux, une parole tendre, un souvenir amusant. « Un jour je m’inquiétais auprès de « Garuche » de toutes ces mêlées désormais effondrées qui n’avaient pas cours à l’époque. Et JeanPierre, avec son air entre deux airs, me dit : « Avant, quand on tombait, on prenait le risque de ne jamais se relever… »

Il rit et nous rions à l’unisson. Il est lourd de vie, Jean ! Toujours prêt à s’enflammer, à rire, à déborder. Il a mille idées à la seconde. Mille souvenirs. C’est un bonheur de seulement l’écouter.

Roland Garros vient de se terminer. Vous regrettez d’avoir quitté la présidence de la Fédération française de tennis ? Non, sincèremen­t, non. Je vais avoir 76 ans, je ne me voyais pas être président à 80 ans. Je me moquais d’Albert Ferrasse, à l’époque, qui s’accrochait à son titre. Je n’aurais pas voulu être dans le même cas de figure. D’autant que les choses se sont plutôt mal passées ?

A la fin, effectivem­ent. J’ai eu des torts, j’en conviens. Celui, notamment, de croire à l’amitié, de faire confiance à des gens qui ne furent pas dignes de cette confiance. Mais je n’ai rien fait de répréhensi­ble, je puis vous l’assurer. C’est-à-dire ?

Il fallait gérer 380 personnes. Il m’était impossible de faire cela seul. Je voulais m’appuyer sur des directeurs. Je donnais les orientatio­ns. Nous faisions un point tous les quinze jours. J’avais débauché Gilbert Ysern, l’ancien président du R.C. Narbonne, en qui j’avais placé toute ma confiance. Mais il ne rêvait que de prendre ma place… Au bout d’un certain temps, il a tout fait pour me desservir, faisant courir les bruits les plus fantaisist­es sur mon compte. La justice s’en est mêlée. J’ai dû me séparer de ce monsieur. Que vous reprochait-on ?

Trois fois rien, vraiment. De porter un costume offert par mon ami Franck Mesnel, patron d’Eden Park, qui a dû prendre ma défense en spécifiant bien qu’il m’avait offert un costume en vingt ans par simple amitié. D’avoir vendu des places (je dis bien vendues et au prix coûtant, pas données) à des amis qui s’occupaient d’agences de voyages. D’avoir accepté, sans aucune rémunérati­on, de me rendre à des matchs du Tournoi, en compagnie de « Garuche » et de Philippe Dintrans, pour évoquer le match avec les clients de l’agence. J’étais probableme­nt d’une grande naïveté, mais je jure n’avoir jamais reçu un centime. Je fonctionna­is en la matière selon l’esprit du rugby, où l’on ne pense pas à mal, où les choses se font par solidarité. Tout est d’ailleurs parti d’une lettre anonyme… Vous n’aviez rien vu venir ?

L’essentiel pour moi était de mener à bien mes fonctions. D’avoir su gérer le dossier de Roland Garros qui n’allait pas sans dire au départ. D’avoir gagné tous les procès. Le reste participai­t de relations amicales. Il ne me serait jamais venu à l’idée que l’on puisse me le reprocher. Vous avez pourtant dû essuyer des perquisiti­ons ? Oui, jusqu’à mon domicile. On ne m’a rien épargné. Le dossier fut classé, puis relancé par quelques bonnes âmes qui voulaient ma peau à la tête de la FFT. On pensait que je touchais de l’argent par-derrière. J’espère avoir été entendu… Des regrets ?

C’était ma façon de gouverner. Je me suis trompé dans le choix de certaines personnes qui m’ont trahi. Je regrette de n’avoir pas senti plus tôt que ces gens, pourtant rémunérés jusqu’à 25 000 € mensuels, n’ambitionna­ient que de prendre ma place

et étaient prêts à toutes les turpitudes pour cela. L’esprit du rugby est-il différent de celui du tennis ?

Cela n’a rien à voir. D’où mes erreurs. Je venais du rugby et je pensais, très naïvement je le répète, que tous les sports fonctionna­ient ainsi, selon ces valeurs qui font le charme du rugby : la parole donnée, l’entraide, la solidarité. Comment expliquer ces différence­s ?

Le rugby est un sport collectif où l’on a besoin de l’autre, où la solidarité n’est pas un vain mot. Le tennis est un sport individuel où chacun est tourné sur lui-même. Avec la Coupe Davies, j’ai essayé de créer cet esprit d’équipe qui me manquait tant. Il faut savoir que chaque joueur alors, mangeait à part, avec son psy, ses kinés, son staff. Il n’y avait aucune passerelle entre les gens. J’ai demandé à ce que les repas se fassent en commun, que les hommes puissent entrer dans l’intimité de leurs partenaire­s. Guy Forget a bien compris mon message. On a partiellem­ent réussi. Le goût de la fête qui fait partie intégrante du rugby, qui est dans sa culture, les tennismen ont commencé à l’apprécier. Mais ce n’est pas dans l’ADN des sportifs individuel­s. Si vous aviez vingt ans, quel sport choisiriez-vous ? Le rugby sans aucune hésitation. J’aime la complicité, les copains, les plans de jeu que l’on ourdit ensemble. Et ce goût de l’amusement, cette modestie qui unit les joueurs de rugby. Vous ne craindriez pas l’évolution du jeu, la violence de l’engagement ? Je n’aurais peut-être plus le gabarit, j’en conviens. Et de vous à moi, je suis content que mon petit-fils ait arrêté de jouer. C’est terrible de dire ça, mais on ne mesure pas encore les conséquenc­es qu’auront les chocs sur les cerveaux et les squelettes des joueurs actuels. Il faudra un mort sur les terrains - comme ces accidents de voiture qui se produisent dans certains virages dont on refusait de signaler le danger - pour que l’on prenne les mesures qui s’imposent. Mais les dirigeants de ce sport se doivent de réagir et très vite. Il en va de la promotion de ce jeu, de sa survie à terme. Quels conseils leur donneriez-vous ?

Il faut retrouver le goût de l’espace, de la passe juste - aujourd’hui, franchemen­t, c’est Pinder ! une passe par terre, une autre dans les airs, une autre qui te fusille - il faut redonner au rugby, par des ajustement­s de la règle, l’une de ces composante­s éternelles : le sens de l’évitement.

C’est combatla fameuseet d’évitement, phrase c’estde Gareth devenu Edwardsun sport : basé« Le rugby uniquement­était un sur sportle de combat ». C’est cela même et je le déplore. Mais je me rassure en me Sud, disantdes chosesque l’on fort voit, intéressan­tes, aujourd’hui, qui dans nous l’hémisphère­laissent encore espérer. C’est moins le cas en France ?

L’enjeu tue le jeu. On va au plus simple. Sous couvert de stratégie, on ne prend aucun risque. Les entraîneur­s ont peur de perdre leur place, les joueurs n’osent plus, les présidents sont souvent des hommes qui n’ont aucune culture de ce jeu et ne savent pas. On ne parle plus que de finance, d’intérêts, de court terme. Certaines équipes essaient encore de jouer, soyons justes. Mais pour jouer vraiment il faut être deux. C’est une affaire d’état d’esprit. Hélas, on perd notre patrimoine dans cette affaire et le XV de France s’en ressent. Quels sont les joueurs actuels qui vous plaisent ?

J’aime beaucoup Baptiste Serin, le petit Dupont, TrinhDuc aussi dans sa capacité à allumer les attaques. Carter, évidemment. Paillaugue aussi. Gourdon. Voilà des joueurs chez qui je me reconnais. Des joueurs qui ont le goût d’entreprend­re. Et vous voilà donc devenu président de l’Amicale des anciens internatio­naux… Je me suis laissé tenter… Je dois dire qu’il n’a pas fallu beaucoup me pousser. Qu’espérez-vous faire au sein de cette amicale ? Je me désespère à l’idée que le rugby oublie ses racines, ne sache plus créer un lien entre passé et présent, ne cultive plus, comme en Nouvelle-Zélande, le culte des anciens. Aucune prétention dans ma démarche. Je voudrais juste que les anciens internatio­naux puissent de nouveau communique­r, auprès des écoles de rugby, des partenaire­s, des médias. Ils sont porteurs de la culture de ce sport, de son patrimoine et ont des choses à dire. Vous prêchez pour le devoir de mémoire.

Absolument. Le changement des règles par exemple ! Voilà bien un sujet sur lequel les anciens auraient une légitimité à plancher. Les Villepreux, Benazzi, Dintrans et compagnie qui composent cette amicale ont des choses à dire. J’enrage de voir que tous ou presque sont ignorés dans ce monde de l’immédiatet­é. Je voudrais encore, en accord avec la FFR - et je profite de l’occasion pour lancer une invitation à Bernard Laporte - que tous les membres de l’Amicale puissent se retrouver, au moins avant chaque match du Tournoi. Il nous faudra trouver des partenaire­s pour cela. Mais ce serait l’honneur de ce jeu et de sa fédération de permettre ces retrouvail­les. Je sais que vous avez inventé un haka très spécial pour l’occasion…

Oui, nous étions ensemble à Rio… C’est le haka français : Mamikiki, mankata, makawoua… C’est assez amusant. Et je suis sûr que l’on surprendra­it les All Blacks avec ce cri de joie.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Jean Gachassin dans les tribunes du Stade Marcel Cazenave de Bagnères. Au milieu, entouré de Jean-Pierre Rives et Serge Blanco; à droite, ex-président de la la Fédération française de tennis.
Jean Gachassin dans les tribunes du Stade Marcel Cazenave de Bagnères. Au milieu, entouré de Jean-Pierre Rives et Serge Blanco; à droite, ex-président de la la Fédération française de tennis.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France