MIND GAMES *
LE PATRON DES ALL BLACKS ET LE BOSS DES LIONS N’ONT PAS LEUR PAREIL POUR LANCER UN MATCH. ET AVEC EUX, LES JEUX D’ESPRIT SONT SANS LIMITE…
Steve Hansen et Warren Gatland ont beau se détester, ils partagent sans le savoir -ou plutôt sans l’assumer- un nombre incalculable de similitudes : un humour corrosif, un sens évident de la punch-line, un regard mi-inquisiteur mi-désabusé et, par-dessus tout, les protubérances stomacales propres aux hédonistes. À ce sujet, permettez-nous de penser que les rondeurs de Gatland sont pardonnables : le Supremo des Lions est un ancien talonneur et, à 25 ans, il pesait déjà 110 kg. Les formes de Steve Hansen, elles, sont en revanche plus surprenantes et, concernant l’ancien trois-quarts centre de La Rochelle, on dirait volontiers que la fin de carrière mit aussi chez lui un terme brutal à toute forme d’activité physique, depuis largement supplantée par les croissants qui squattent les conférences de presse des All Blacks, viennoiseries au sujet desquelles le très austère Joe Locke (le patron de la comm’ néo-zélandaise) a l’habitude de confesser : « Servez-vous vite ! Shag (Steve Hansen) est en chemin ! »
L’origine de l’inimitié entre deux des techniciens les plus « successfull » de la planète rugby est évidente : Warren Gatland court après le poste de sélectionneur des All Blacks depuis une bonne dizaine d’années et, si le sélectionneur gallois pensait son heure proche avec le départ annoncé de Steve Hansen en 2019, Shag a depuis adoubé son actuel bras droit, l’impavide Ian Foster. Entre les deux coachs kiwis, le désamour est d’ailleurs à peine dissimulé. On se souvient même qu’en 2012, au soir d’une large victoire néo-zélandaise au Millennium (33-10), Hansen s’était étonné face caméras de cette stratégie galloise visant à bouder les tirs au but en début de match pour défier les Blacks sur pénaltouches. « C’était une folie », avait ce soir-là assuré Shag. Et lorsque les journalistes gallois lui avaient demandé pourquoi Gatland avait opté pour un tel plan de jeu, le patron des Tout Noir avait alors répondu : « Vous le demanderez vous-mêmes au Messie. Il arrive d’un instant à l’autre. »
TRICHEURS, LES ALL BLACKS ?
Comme attendu, « Gats » et « Shag » ont donc lancé les hostilités cette semaine, peu avant le premier test. À la façon de deux boxeurs qui se cherchent par le verbe puis les mots au jour de la pesée, les deux Kiwis ont haussé le ton à l’approche du choc. Hansen, dans l’un des borborygmes qui lui sont si familiers, a dégainé le premier et lâché au sujet du « game plan » des Lions : « Nos invités font tant de mystères… J’ai pourtant l’impression que mon homologue essaie juste de nous faire croire que sa manche cache autre chose que son bras. » Dans les cordes, Warren Gatland a aussitôt rétorqué que la dernière performance de ses félins face aux Maoris avait « passablement inquiété » Steve Hansen, dont les traits d’ironie masquaient une incompressible angoisse. Dans la foulée, « Gats » déplaçait le combat de coqs sur un terrain plus large -mais tout aussi fertilecelui de l’arbitrage : « Depuis le début de notre tournée, j’ai pu remarquer que les All Blacks se rendaient coupables d’obstructions sur nos défenseurs et nos attaquants. C’est tellement bien fait, tellement subtil, que l’arbitre ne peut le pointer du doigt. Mais nous avons recensé une bonne dizaine d’actions de ce genre. En début de semaine, nous avons d’ailleurs transmis le DVD à monsieur Jaco Peyper (l’arbitre du premier test) ». À Auckland, Warren Gatland fit aussi remarquer que le seul match perdu par les champions du monde l’an passé (à Chicago contre l’Irlande) avait vu les coéquipiers de Beauden Barrett sanctionnés maintes fois pour ce genre d’« interférences ». Cette fois-ci, Steve Hansen n’a pas jugé bon de répondre, réservant probablement son uppercut au crépuscule du premier test. Et si le clash de l’Eden Park consacre une nouvelle victoire néo-zélandaise, le retour de flamme risque d’être particulièrement violent…
* Jeux d’esprit