Midi Olympique

TRENTE ANS APRÈS...

LES BLEUS AVAIENT DISPUTÉ LA PREMIÈRE FINALE DE L’HISTOIRE DE LA COUPE DU MONDE FACE AUX ALL BLACKS, À AUCKLAND. UNE SEMAINE APRÈS UN EXPLOIT MÉMORABLE CONTRE LES AUSTRALIEN­S, SERGE BLANCO ET SES PARTENAIRE­S ÉTAIENT TOMBÉS DEVANT LA BANDE DE DAVID KIRK (2

- Par A.B., J. Fa. et S. V.

JEAN-PIERRE GARUET - PILIER DROIT « J’AI LEVÉ MON VERRE DE VIN ROUGE… »

Je me souviens d’un moment qui s’était déroulé lors du repas d’avant-match. À cette époque, nous partagions toujours une collation aux alentours de 11 heures. La finale était prévue pour 15 heures. À table, l’ambiance était tendue. On avait tous les estomacs serrés. Alors, je me suis levé, et j’ai levé mon verre de vin rouge et j’ai dit à tout le monde : « Tenez, au moins on pourra dire qu’on a joué une finale de Coupe du monde en ayant pris un canon de rouge tous ensemble ! » Je ne vous cache pas que l’ambiance était tellement tendue que nous avons eu du mal à boire chacun nos verres. Mais c’était comme ça. J’avais eu envie de faire un clin d’oeil à ce rugby cassoulet, car je sentais qu’il allait disparaîtr­e. À cette époque, j’étais déjà trentenair­e, et j’avais déjà fait l’essentiel de ma carrière. Je sentais que les choses commençaie­nt à changer. Et cela s’est vérifié ! Quelques années plus tard, le vin avait totalement disparu de ces petites choses d’avant-match. Attention, n’allez pas croire que nous jouions saouls, c’était loin d’être le cas. Je n’ai même jamais été un grand fêtard. Pour des amateurs, je me souviens même que nous avions été très appliqués lors de cette Coupe du monde. Mais le vin, cela faisait partie de ce rugby d’alors. Pour le reste, nous avions pris la mesure de l’évènement auquel nous participio­ns. C’était une grande première, c’était exceptionn­el. Mon geste était donc un clin d’oeil, un symbole. Pour l’anecdote, Denis Charvet avait amené avec lui une caméra, et avait filmé des scènes de vie tout au long de la compétitio­n. Nous n’avions jamais vu les images, jusqu’à il y a peu. Visionner ce film a été un moment très fort car nous avons revu des amis qui nous ont quittés depuis. Cela m’a fait très plaisir de les revoir.

PASCAL ONDARTS - PILIER GAUCHE « C’ÉTAIT MA PREMIÈRE DÉFAITE AVEC LE XV DE FRANCE »

On dit qu’il ne faut pas vivre avec les souvenirs mais cela en reste un très bon, au fond… Mais, si nous avions eu les soins d’aujourd’hui, je suis sûr et certain que nous aurions gagné cette finale face aux All Blacks. La demi-finale gagnée contre l’Australie avait laissé des traces et nous n’étions pas à 100 %. Moi-même, je ne l’étais pas. Lorieux ou Dubroca non plus. « Garuche » (surnom de Jean-Pierre Garuet, N.D.L.R.) avait son tendon d’Achille qui ne tenait qu’à un fil. On avait pourtant les hommes pour terminer champions du monde et battre la Nouvelle-Zélande chez elle, même si c’était dur de jouer là-bas. D’ailleurs, les NéoZélanda­is nous craignaien­t plus qu’on ne les craignait. On les avait battus à Nantes moins d’un an plus tôt et on alignait exactement la même équipe. Après le grand chelem 1987, nous étions partis à cette Coupe du monde pour gagner le maximum de matchs. On en a perdu un seul. C’était ma première défaite avec le XV de France. Je ne me suis incliné que deux fois en finale. Lors de cette Coupe du monde et en championna­t contre Toulon en 1992. C’est ce que je regrette le plus. En 87, on avait vraiment tout pour l’emporter. On a écrit une magnifique page avec cette équipe et on raflait tout jusqu’à cette finale perdue… Il faut dire aussi que l’arbitre ne nous avait pas aidés. La télévision n’était pas aussi omniprésen­te à l’époque et je me souviens des cinq mêlées devant leur ligne sur lesquelles on les avait labourés et même laminés. On les emportait à chaque fois et l’arbitre avait sifflé la mi-temps. On a pris un essai juste après et tout est devenu plus difficile. Ce n’était vraiment pas facile d’aller chercher des points sur cette finale. Cela nous a donné quelques regrets éternels.

DENIS CHARVET - CENTRE « DES MOTS À JAMAIS ANCRÉS DANS MON ESPRIT »

Ce qui est extraordin­aire, c’est que nous ne nous sommes quasiment pas échauffés alors que nous disputions une finale de Coupe du monde. Jacques Fouroux avait demandé aux remplaçant­s de sortir du vestiaire pour ne garder avec lui que les titulaires. Nous étions tous assis et il a parlé deux minutes à chacun d’entre nous. Ce n’était pas calculé, c’était spontané. Six mois avant lors de notre victoire à Nantes, il nous avait préparés à la guerre, là il avait misé sur l’émotion, sur les sentiments. Ce qui s’est passé dans ce vestiaire est gravé dans ma mémoire les mots que Jacques Fouroux m’a dit sont à jamais ancrés dans mon esprit. Je me suis fait la promesse de ne jamais les répéter. C’était un moment fort et nous en avions presque oublié que nous allions jouer une finale de Coupe du monde. Je me souviens que je rentre sur le terrain en courant pour m’échauffer, et si je me claque c’est pareil. Je ne me souviens pas d’une grande déception après le match. Elle est plus présente aujourd’hui d’être passé à côté de quelque chose d’exceptionn­el. Mais il aurait fallu que nous préparions cette finale comme le test-match de Nantes, quelques mois plus tôt, et je ne sais pas si nous avions les moyens ce jour-là d’être aussi agressifs pour rivaliser. Nous avions beaucoup de joueurs blessés ou touchés physiqueme­nt après deux mois de compétitio­n et nous n’étions pas arrivés à armes égales.

FRANCK MESNEL - OUVREUR « LES LARMES ME VIENNENT AUX YEUX »

Pour moi, le plus marquant, c’est ce qui s’est passé le lendemain de la finale. Il était environ 11 h 30 quand une dizaine de bagnoles ont débarqué devant le Takapuna Hôtel où nous séjournion­s. Et on a vu les Blacks avec leurs femmes et leurs enfants descendre des voitures pour venir passer un moment avec nous alors que franchemen­t ils avaient autre chose à faire. Ils ont donc déboulé sans nous prévenir, sans rien dire. Et on a passé un moment merveilleu­x. Certains sont restés déjeuner avec nous, d’autres ont improvisé un pique-nique. D’en parler, j’en ai encore des frissons… Les larmes me viennent aux yeux. Pour moi, c’est ça les Blacks. C’est l’humilité. Ils auraient pu parader dans les rues d’Auckland mais non, ils ont estimé qu’ils avaient ce truc à faire. En toute simplicité.

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Photo DR Il y a trente ans, les Français n’ont pu rien faire face aux Blacks. À l’instar de Serge Blanco avec pour soutien Pierre Berbizier, Denis Charvet et Philippe Sella face à l’ailier Néo-Zélandais, Craig Green.

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