Midi Olympique

EDDIE JONES DÉCRYPTE LE CHOC

LE WEEK-END DERNIER, LE PATRON DU XV DE LA ROSE NOUS A REÇUS AU MUSEUM HÔTEL DE WELLINGTON. DU CHOC ENTRE LES LIONS ET LES ALL BLACKS À LA TOURNÉE DES BLEUS EN AFRIQUE DU SUD, EDDIE JONES BALAIE LES SUJETS D’ACTUALITÉ AVEC LA FACONDE QUI EST SOUVENT LA SI

- Propos recueillis par Marc DUZAN, envoyé spécial marc.duzan@midi-olympique.fr

Quel doit être le plan de jeu des Lions face aux champions du monde, à l’Eden Park ?

Vous ne pouvez pas battre les All Blacks en jouant comme eux. Je vais vous donner un exemple. (il se saisit de notre téléphone et le place à côté du sien) Quand Samsung fait des portables qui collent à son identité, ça va. Quand Samsung essaie de copier l’Iphone d’Apple, c’est un échec retentissa­nt.

Dès lors, comment est-il possible de battre les All Blacks quand ils ne sont pas réduits à quatorze au bout de vingt-cinq minutes ?

Vous devez être vous-mêmes, comme les Lions le sont depuis le début de cette tournée : il faut d’abord être dur à l’impact, agressif et voire plus, s’appuyer sur un jeu au pied précis pour les faire reculer et, après ça, chasser en meute leur triangle d’attaque. Si contre les All Blacks, vous voulez conserver la balle pendant quinze temps de jeu et balayer le terrain d’un côté puis de l’autre, ils finiront toujours par récupérer le ballon et placer un contre de trente, cinquante ou cent mètres.

Cela semble plutôt simple…

Cela n’a rien de simple. Mais une équipe souhaitant battre la Nouvelle-Zélande doit imposer son propre tempo : à Wellington, les Lions (Sam Warburton et Sean O’Brien en particulie­r) ont ralenti les libération­s adverses et ainsi permis à leur défense de se replacer. Ce fut vital.

Est-ce ainsi que les Lions vont s’y prendre pour tenter de remporter le dernier test ?

Je pense que Johnny Sexton va davantage jouer au pied que la semaine dernière. Il voudra tester les All Blacks en montant des chandelles : Israel Dagg n’a pas beaucoup joué arrière cette saison et n’a donc que très peu souvent été confronté à ce genre de situation ; Jordie Barrett, aussi talentueux soit-il, est extrêmemen­t jeune (20 ans) et devra montrer qu’il peut répondre à la pression que lui imposeront les Lions sous les ballons hauts ; quant à Julian Savea, il a toujours préféré avoir les pieds solidement vissés à la terre… La conquête aérienne s’annonce donc très intéressan­te.

Vous avez beaucoup fait parler de vous à Wellington… Pourquoi avoir rencontré Steve Hansen avant le deuxième test ?

Par pure amitié ! Je connais Steve depuis 1998. Il y a presque vingt ans que nos équipes respective­s se croisent et s’affrontent, en Super Rugby comme en test-match.

Vous a-t-il demandé des conseils concernant les tactiques des Lions ?

Non. Parce qu’il savait très bien que je ne trahirai aucun secret…

Seriez-vous intéressé pour entraîner les Lions un jour ?

Non. Mais je serais peut-être intéressé pour, un jour, entraîner la France. Qui sait ! (rires)

Quelle est la plus grande force des All Blacks, selon vous ?

Leurs courses sont droites et toutes exécutées à pleine vitesse. Avec leur corps, les All Blacks frappent d’abord le défenseur adverse et cherchent ensuite le soutien axial. Lors du premier test, les Lions ont au contraire utilisé des courses obliques et se sont fait punir par les plaquages adverses. La course droite, c’est de l’école de rugby.

Quoi d’autre ?

L’organisati­on néo-zélandaise est intéressan­te. Ils jouent en 2-4-2. Le talonneur est placé avec un troisième ligne sur le couloir de droite. Les deux autres flankers sont positionné­s dans le couloir de gauche. Quant aux piliers et aux deuxième ligne, ils sont postés au centre du terrain. Ça leur évite de balayer la pelouse d’un côté à l’autre. Ils sont trop lourds pour ça. Ils exploserai­ent.

Changeons de sujet. Comment avez-vous vécu la dernière tournée du XV de la Rose en Argentine ?

C’était fantastiqu­e. Onze nouveaux capés et quelques revanchard­s qui l’emportent deux fois contre des Pumas au grand complet ? Vous m’auriez annoncé ça, il y a six mois, je vous aurais probableme­nt traité de dingue… (rires)

L’opinion publique anglaise vous avait demandé de laisser au repos George Ford, Dylan Hartley et Mike Brown, très touchés de n’avoir pas été retenus dans le squad des Lions britanniqu­es et irlandais. Pourquoi les avez-vous finalement sélectionn­és avec le XV de la Rose ?

Je n’ai pas l’habitude d’écouter ceux qui croient connaître mieux que moi les sentiments de mes joueurs. Pour Mike (Brown), Dylan (Hartley), Joe (Launchbury), Chris (Robshaw) ou George (Ford), l’Argentine était une opportunit­é magnifique d’oublier la déception propre à la tournée des Lions et de passer à autre chose. Pour ça, rien ne valait le terrain.

Est-ce tout ?

Mes jeunes avaient aussi besoin d’expérience pour les encadrer, en Argentine. Là-bas, les mecs que je viens de vous citer ont tous rempli leurs rôles de leaders à merveille.

Il s’est dit, en France, que les Bleus étaient particuliè­rement fatigués au moment de se rendre en Afrique du Sud. Dans quel état se trouvaient vos joueurs en Argentine ?

En fin de saison, tout est lié au mental de l’athlète. Au mois de juin, la limite que se donnent les rugbymen européens est uniquement dictée par leurs têtes. Mes joueurs étaient fatigués après le premier test, à San Juan. Très fatigués. Mais ils n’en ont jamais fait état.

La fatigue ne peut pas constituer une excuse, alors ?

On peut la vaincre. Quelqu’un qui fait un marathon ne finit pas les dix derniers kilomètres sur sa seule fraîcheur physique : il termine parce que son cerveau le lui exige. Regardez, les Lions sont eux aussi en fin de saison. Mais la portée historique d’une victoire en Nouvelle-Zélande va encore les pousser à se transcende­r.

Avez-vous regardé les matchs de l’équipe de France en Afrique du Sud ?

Oui. La France a énormément progressé depuis deux ans et je reste convaincu que les Bleus sont toujours dans la bonne direction. En Afrique du Sud, leur déterminat­ion a juste un peu flanché au bout d’une heure, laissant aux Springboks l’opportunit­é de boucler les matchs. Mais je n’ai pas trouvé le XV de France dépassé par les évènements. Pour moi, les scores étaient même assez lourds.

Les observateu­rs, en France, disent le jeu du Top 14 trop lent et finalement incapable de préparer les joueurs au très haut niveau. Êtes-vous d’accord avec ce point de vue ?

Où que l’on vive, on déprécie toujours le championna­t que l’on côtoie au quotidien. D’un côté, vous avez le Super 18, rapide, spectacula­ire mais dépourvu de combat, inconsista­nt en défense et peu fiable en conquête. De l’autre, le Premiershi­p et le Top 14, très forts sur les bases, ultra-structurés mais parfois un peu lents. Aucun championna­t n’est parfait ! Aucun championna­t ne prépare au niveau internatio­nal ! Parce que rien ne ressemble plus à un test-match qu’un autre test-match !

Expliquez-vous…

(il se lève, pose un pichet d’un côté de la table et un verre à l’opposé) Voyez ce verre : c’est le Super Rugby, un chaos perpétuel où l’on se fait beaucoup de passes à très grande vitesse. Prenez ce pichet : c’est l’Europe, des packs lourds, massifs, de grosses défenses et du jeu au pied d’occupation. Lorsque je me place à mi-chemin, je suis dans l’univers d’un match internatio­nal.

D’accord…

Vous ne voulez pas me croire mais lors de leur premier test contre les Lions (à Auckland, 30 à 15), les All Blacks ont joué à l’européenne, en marquant leurs adversaire­s dans le combat d’avants. S’ils ont gagné ce soir-là, ce n’est pas parce que Sonny Bill Williams a fait des choses extraordin­aires, c’est parce que leur cinq de devant a été royal. Pour exister en test-match, il faut savoir s’affranchir de son championna­t domestique et s’adapter à l’adversaire en ralentissa­nt le tempo ou, au contraire, en l’accentuant.

Le Top 14 et le Premiershi­p sont-ils différents ?

Non, ils se ressemblen­t énormément. Je n’ai pas souvenir qu’une équipe de Top 14 se soit, cette année, fait détruire par une formation du Premiershi­p.

Dès lors, pourquoi votre équipe gagne-t-elle quand les Bleus enchaînent les défaites ?

Je ne sais pas. Je peux uniquement parler de l’Angleterre.

Pensez-vous qu’il serait opportun de changer de sélectionn­eur en France, aujourd’hui ?

Il faut trois ans pour changer le visage d’une sélection. La première année, vous entraînez l’équipe du coach précédent. La deuxième, vous avez à dispositio­n 60 % des joueurs dont vous avez besoin pour servir votre projet de jeu. La troisième, vous avez entre les mains 100 % des joueurs espérés et tout va mieux.

Dès lors ?

Tout coach doit être jugé à la troisième année de son mandat. Laissez donc à Guy Novès le temps de travailler. C’est un bon entraîneur. Ses résultats à Toulouse l’ont prouvé.

« La portée historique d’une victoire en Nouvelle-Zélande va les pousser à se transcende­r. » Eddie JONES, sélectionn­eur de l’Angleterre

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