Midi Olympique

Rien ne saurait être oublié...

- Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr

Surtout, ne boudez pas votre plaisir et n’en restez pas à l’étroitesse d’un score de parité, qui ne porte jamais de nullité que le nom. Il fallait un sommet pour nous faire chavirer, All Blacks et Lions nous l’ont apporté sur un plateau d’argent au bout d’une trilogie qui s’est terminée en beauté samedi sur la pelouse de l’Eden Park d’Auckland malgré l’enjeu d’un match serré, indécis, souvent acharné mais grandiose de combat, de vitesse et de charme. Reconnaiss­ons-le, rien n’a manqué dans cette fin écrite à la hauteur de nos espérances -hélas régulièrem­ent douchées ces derniers temps par les contre-performanc­es tricolores… Rien n’a manqué, des pénalités sifflées -ou non- par Romain Poite pour sceller le sort de la rencontre, à la fourberie grossière -mais payante- de Rhys Webb pour offrir l’égalisatio­n à Owen Farrell. Rien n’a manqué, de l’intensité extrême d’un rugby pratiqué très souvent sur le fil du génie individuel, jusqu’aux fondements collectifs d’un engagement sans faille.

Messieurs les acteurs, merci pour tout et au plaisir de vite vous revoir. Parce que si l’issue de la finale des finales entre les doubles champions du monde en titre et la sélection des meilleurs joueurs britannico/irlandais n’a pas choisi son camp, elle n’en reste pas moins l’un des plus beaux cadeaux offerts à un monde du rugby toujours en quête d’universali­té. Ce serait même une sacrée belle affaire pour qui voudrait remplir les écoles de rugby et profiterai­t de ces images d’acteurs souriants, heureux et légers, joueurs tout simplement et portés par le plaisir de pratiquer un jeu plus moderne que jamais.

À ce titre, nous pourrions jurer que les NéoZélanda­is ne seront pas les seuls à profiter de la classe immense des frères Barrett, l’or des Blacks aux sourires ultrabrigh­t. Comme nous allons parier aussi bien volontiers qu’une fois n’est pas coutume, les gamins d’Irlande, d’Écosse ou du pays de Galles ont eu l’envie soudaine d’adopter Owen Farrell pour frangin.

C’est la rançon de la gloire et l’héritage d’une tournée de légende qui vient nous rappeler quelques précieuses vérités. La guerre des mondes a confirmé que le jeu de rugby -malgré la mondialisa­tion galopante- brillait par la diversité de ses cultures et de ses modes d’expression­s... C’est tout autant la preuve que la domination des hommes en noir peut être remise en cause par qui sait défendre, combattre et aussi bien attaquer... Comble d’ironie, c’est encore à l’autre bout du monde, chez les sudistes qui programmen­t sa fin depuis des lustres, que la mêlée fermée a retrouvé toutes ses lettres de noblesse. Désormais, les sombres et sourdes batailles du Top 14 ou de ProD2 ne pourront plus nous mentir : les mêlées écroulées, relevées ou désaxées ne sont plus des fatalités... Et comme si cela ne suffisait pas, gestuelle, maîtrise technique et vitesse d’exécution restent enfin l’apanage des géants. Puissent-ils devenir des sources d’inspiratio­n pour tout notre rugby français...

Qui de Sexton ou de Farrell préférez-vous à l’ouverture ?

C’est dur à dire, je ne les connais pas. Mais honnêtemen­t, je les associerai­s comme Gatland l’a fait : Sexton à l’ouveture et Farrell en premier centre. En NouvelleZé­lande on a une expression qui dit qu’il ne faut pas réparer quelque chose qui n’est pas cassé. Pourquoi en choisir un quand on peut aligner les deux et qu’ils se rendent mutuelleme­nt meilleurs ?

Les Lions ont-ils compris qu’ils ne pourraient pas dominer les All Blacks sur la simple dimension physique ?

Peut-être, oui. Mais ce jeu très physique est aussi la marque de fabrique de la plupart des équipes britanniqu­es comme l’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande. Les Lions n’avaient pas le temps de tout changer, donc ils ont préféré rester sur ce qu’ils savaient faire de mieux. Ensuite, ils ont réalisé qu’ils devaient alterner davantage leur jeu, qu’il soit direct, au pied, ou vers les extérieurs. Cela a fonctionné, avec la victoire remportée lors du deuxième Test en jouant davantage. Bien sûr, ils ont été aidé par le carton rouge Sonny Bill Williams mais ils méritaient quand même largement cette victoire.

Justement, pensez-vous que ce carton rouge était sévère ?

Non… les règles sont claires. Dès qu’il y a un contact avec la tête, et encore plus quand le plaqueur ne fait pas l’effort d’enserrer l’attaquant, c’est rouge. Tout le monde s’accordait sur cette décision, et même Sonny Bill ne l’a pas contestée. Et puis, en tant que joueur, je préfère voir ce geste banni des terrains de rugby parce que c’est très dangereux. Je sais que ce n’était pas intentionn­el, car Sonny Bill n’est pas un mauvais gars ; ces choses là arrivent.

Mais quand on fait une erreur, on est puni. Normal.

Vous avez été vous-même victime de plusieurs commotions la saison dernière. Les images de la tête d’Anthony Watson heurtant violemment l’épaule de SBW vous ontelles rappelé des mauvais souvenirs ?

Quand même pas ! Je ne suis pas traumatisé à ce point là… Cela fait partie du jeu, c’est comme ça. J’ai reçu plusieurs chocs sur la tête l’année dernière, c’est vrai. Mais j’ai eu la chance de ne connaître aucune complicati­on en suivant. Pas de maux de tête, rien. En revanche, ces chocs m’ont fait prendre conscience des risques et j’y suis aujourd’hui très vigilant.

Vos commotions cérébrales étaient un simple manque de chance ou avez-vous eu le sentiment d’être visé par les adversaire­s ?

C’est la faute à pas de chance ! Je ne pense pas que des joueurs de Top 14 jouent à ce jeu, et visent délibéreme­nt des adversaire­s pour les blesser. J’ai subi trois commotions sur l’ensemble de la saison et, au bout d’un moment, le staff médical m’a dit que j’avais besoin de prendre du repos. C’était très frustrant pour moi, car la saison prenait vraiment une bonne tournure pour nous. J’aurais vraiment préféré être sur le terrain. Mais les règles sont ainsi, et il faut aussi veiller à sa santé. Sur le long terme, il était plus sage que je m’arrête… L’ensemble du monde du rugby a compris le danger des commotions et le besoin de prendre soin de la santé des joueurs.

Cette semaine, vous allez voir débarquer un autre Néo-zélandais à Pau : Benson Stanley. Avez-vous joué avec lui en Nouvelle-Zélande ?

Vous rigolez ? C’est un vieux lui ! (rires) Non, je plaisante… il est un peu plus vieux que moi donc on ne s’est jamais croisé en sélections de jeunes. On s’est brièvement retrouvé dans le squad des All Blacks en 2009. Il avait été convoqué et j’avais été appelé pour compenser une blessure, mais je n’ai pas disputé de test. Je l’ai rencontré là, et puis on s’est affronté quelques fois en Super Rugby, quand j’étais aux Crusaders. C’est un très bon joueur et un super mec. Il connaît très bien le rugby français, il va nous apporter de l’expérience dans la ligne, ainsi que sa culture de la gagne. Benson va nous apporter ses qualités de rugbyman sur le terrain, ainsi que son sérieux et son profession­nalisme en dehors. On construit quelque chose de beau ici, mais il nous faut encore des joueurs expériment­és capables d’apporter de la sérénité dans les moments décisifs si l’on veut disputer des phases finales du Top 14 dans les deux saisons à venir. Benson a joué des tas de grands matchs avec Clermont, des rencontres dans lesquelles tu es sous pression du début à la fin. Il va amener sa sérénité.

Sentez-vous l’attente des partenaire­s, de la municipali­té qui a investi dans le plan d’agrandisse­ment du stade du Hameau ?

Nous, les joueurs, avons juste hâte d’y jouer ! Quand je suis arrivé ici pour la première fois, je me souviens que Simon (Mannix) me parlait déjà de ce projet. Il m’avait montré une photo du résultat final et je l’avais trouvé magnifique. En tant que joueur, on a toujours envie de disputer des matchs devant de grandes foules. Maintenant, c’est à nous de faire notre part du boulot, et de pratiquer un bon rugby pour remplir le stade.

Cette saison, vous allez aussi retrouver un autre ancien concurrent : Aaron Cruden qui rejoint le Top 14…

C’est vrai, Aaron va jouer pour Montpellie­r. C’est toujours bon de retrouver des visages familiers dans ce championna­t. Il sera un joueur important pour eux, et Montpellie­r aura une très bonne équipe. J’ai hâte de retrouver Tawera Kerr-Barlow aussi, qui va arriver à La Rochelle. En fait, j’ai des tas d’amis néo-zélandais en France ! Il y avait déjà Victor Vito à La Rochelle, Ma’a Nonu à Toulon, Conrad Smith ici à Pau… On se retrouve de temps en temps autour d’un repas et on partage nos expérience­s de la vie à la française.

L’échec du XV de France lors des tests de juin en Afrique du sud a remis en question la qualité de la formation française. Comment apprend on à jouer à rugby en NouvelleZé­lande ? Quels aspects de la formation sont privilégié­s dès le plus jeune âge ?

C’est une très bonne question. Déjà, la mentalité est très différente. En NouvelleZé­lande, le rugby est le sport numéro un. Ici, en France, c’est le football. Si demain, l’équipe de France de foot affronte celle de Nouvelle-Zélande, vous allez nous ridiculise­r. Ce que je veux dire, c’est que n’importe quel gosse kiwi veut, dès qu’il a cinq ans, devenir All black, de la même façon que les gosses français qui jouent au foot dans les cours d’école en France veulent devenir comme les internatio­naux qu’ils voient à la télé. Filles ou garçons, on commence à se faire des passes dès l’âge de cinq ans en Nouvelle-Zélande. On joue partout : dans le jardin de la maison, à la pause de midi dans la cour de récréation, après l’école… Quand j’étais gosse, on se prenait tous pour Jonah Lomu dans la cour de l’école. En revanche, on ne plaque pas quand on est jeune. On se contente de jouer à toucher, pour que tout le monde participe sans danger.

On donne donc plus d’importance à la passe et à l’amusement ?

Oui. On joue au rugby en s’amusant. En Nouvelle-Zélande, on travaille sa passe en attendant le bus, pour passer le temps. Et à force, le geste de la passe devient naturel. C’est ça le truc : on travaille sans avoir l’impression de travailler, en s’amusant tout simplement parce que le rugby est partout. On est un tout petit pays, personne ne nous connaît et il n’y a guère qu’au rugby, en voile et en cricket que l’on a notre mot à dire sur la scène internatio­nale. Je ne connais pas vraiment la formation française, mais nous commençons à travailler les habiletés techniques, les fameuses skills, très tôt chez nous. Dès l’âge de 10 ans, les gosses travaillen­t beaucoup leur passe.

Donc, cette culture de la passe est logiquemen­t entretenue par la suite dans les clubs…

Oui. Les clubs sont très exigeants avec la qualité des passes. Et comme les gamins sont précoces sur cet aspect, ils peuvent ensuite travailler d’autres choses comme le plaquage ou la technique individuel­le au sol. Donc, cette culture de la passe est très importante pour nous.

Conservez-vous cette notion de plaisir et d’amusement au plus haut niveau, comme par exemple avec les All Blacks qui, de l’extérieur, renvoient une image quasi austère ?

Tout à fait. Il est vrai que les All Blacks savent être très sérieux. Je veux dire, les technicien­s néo-zélandais passent leur temps à décortique­r le rugby pour trouver le petit truc qui leur donnera un temps d’avance sur les autres. Mais on ne peut pas se passer de cette notion de plaisir, même au plus haut niveau. Plus on s’amuse, plus on se donne, plus on travaille, et plus on s’améliore. C’est un cercle vertueux qu’il faut trouver. Il ne faut pas se borner au travail pur et dur. Si l’on ne s’amuse pas, on finit par s’ennuyer et on décroche. Il faut donc trouver des moyens de s’amuser dans le travail. Et notamment ici en France, où la saison est plus longue que dans le Sud…

« Aaron (Cruden) va jouer pour Montpellie­r. C’est toujours bon de retrouver des visages familiers. J’ai hâte de retrouver Tawera KerrBarlow aussi, qui va arriver à La Rochelle… En fait j’ai des tas d’amis néo-zélandais en France ! »

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