Midi Olympique

Atcher : « Notre dossier est le plus fiable »

- Propos recueillis par Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr

Où en est la candidatur­e française pour l’organisati­on du Mondial 2023 ?

Nous avons déposé le dossier de candidatur­e le 1er juin. C’était un travail colossal et une étape capitale puisque le dossier technique apportant les réponses aux exigences de plus en plus fortes de World Rugby devait également mettre en valeur la plus-value française. Franchemen­t, des trois dossiers que j’ai conduits, c’est le plus abouti. C’est le premier socle de ce qui peut constituer notre victoire.

Il n’y a pas eu de retours de World Rugby ?

Si, évidemment. Nous avons reçu une quarantain­e de demandes d’éclairciss­ements exigés par Word Rugby ; il a fallu y répondre. L’analyse des questions fut une bonne surprise : nous étions complets, visiblemen­t pas hors sujet et nous n’avons pas eu de questions pièges. À titre d’exemple, la stratégie « billetteri­e » faisait 87 pages avec une analyse de recettes catégorie par catégorie, stade par stade… Il n’y avait pas de flou et les retours n’étaient pas négatifs. En suivant, nous avons travaillé à conforter les engagement­s de l’Etat pour répondre aux garanties demandées par Rugby World Cup, soit 170 millions d’euros, avant le 31 juillet. Il a notamment fallu trouver des solutions avec la Caisse des dépôts et consignati­ons.

Vous ne parlez pas de la course aux voix et du lobbying que vous effectuez… Un sujet tabou ?

Il n’y a rien de secret. Cela fait effectivem­ent partie de notre quotidien : il faut convaincre et, ensuite, sécuriser le vote jusqu’au 15 novembre. Nous avons déjà rencontré beaucoup de personnes et nous mènerons un tour du monde jusqu’à fin septembre pour dire aux fédération­s et aux régions que le projet français est à la fois le plus fiable financière­ment, le plus solide au niveau des infrastruc­tures et celui, enfin, qui apportera le plus au rugby mondial sur les quatre prochaines années.

Quels sont les premiers retours ?

L’expérience de la France est clairement reconnue. Avec la Coupe du monde de rugby, celle de foot, l’Euro 2016, les mondiaux de hand, tous les événements sportifs organisés dans notre pays ont rempli leurs objectifs en manière de billetteri­e. Tout le monde a conscience que nous savons de quoi nous parlons en annonçant 2,4 millions de billets vendus. On a organisé 21 événements en dix ans, accueilli 150 pays et 15 000 athlètes ; la France est championne du monde en termes d’organisati­on d’événements sportifs ! L’autre point positif concerne nos stades : sur les neuf choisis, huit ont été utilisés pour l’Euro et cinq sont entièremen­t neufs. Ils font référence.

À part le Stade de France, peut-être…

Vous avez raison. Avec Nantes qui doit engager 15 millions d’euros de travaux, l’enceinte dyonisienn­e est paradoxale­ment la plus datée. Cela reste un très beau stade, situé quasiment en plein coeur de Paris, facile d’accès. Mais il nécessiter­a quelques travaux d’ici à 2023.

Quels seront les prix pratiqués en termes de billetteri­e ?

Comme en 2007, les billets les moins chers seront à 15 euros. Pour les plus grandes affiches, nous avons tablé sur les tarifs de 2015, pas plus. Soit autour de 200 euros lors des matchs de poules et 300 en phases finales. À titre d’informatio­n, 53 % de la totalité des recettes de billetteri­e proviendro­nt de onze rencontres : celles de la France, match d’ouverture, quarts, demies et finale. Et trois nations font toujours recette : la France, l’Angleterre et la Nouvelle-Zélande.

La problémati­que de la sécurité ne joue pas en faveur de la France, non ?

Les questions sont nombreuses à ce sujet, c’est une évidence et nous ne les éluderons pas. Hélas, on sait faire… Depuis les attentats, des « process » ont été mis en place et nous avons aujourd’hui une expertise que peu d’autres nations possèdent. La preuve, l’Australie nous demande de l’aide et des éléments précis sur l’organisati­on de la sécurité à mettre en place autour de leurs matchs. Ces modèles sont aujourd’hui reconnus et nous ne fuirons pas nos responsabi­lités.

On a sentiment que la victoire française serait étroitemen­t liée à cette question ainsi qu’à la dimension financière puisque vous souhaitez, semble-t-il, réaliser des bénéfices records. Et donc assurer des retombées jamais atteintes pour World Rugby…

Nous devrions garantir plus de 170 millions d’euros de retombées pour le rugby mondial, plus 130 millions d’euros avec les droits des hospitalit­és, marketing et merchandis­ing. Cela fait donc 300 millions. C’est important, mais nous n’avons pas inventé ce chiffre en claquant des doigts. Nous sommes performant­s et ambitieux parce que notre marché le permet ; et nous ne sommes pas prétentieu­x. Tout est étudié : dans le scénario le moins favorable, nous devrions par exemple vendre 240 000 hospitalit­és. L’augmentati­on n’est pas très importante par rapport à ce que nous avions réalisé en 2007 (170 000 hospitalit­és avaient été vendues) alors que nos stades sont beaucoup mieux adaptés à ces demandes. Je ne parle même pas des prix que nous avons calqués sur ceux du Mondial anglais de 2015. Nous sommes prudents et nous ne prenons pas de risques. Cette candidatur­e est sérieuse et elle fédère : de grosses entreprise­s comme Accor ou la SNCF, pour ne citer qu’elles, sont d’ailleurs décidées à nous accompagne­r. La France est le premier marché mondial en matière de droits télévisuel­s et certaineme­nt aussi au niveau du sponsoring, cela se reflète sur notre dossier. C’est notre force.

Mais, à l’inverse, l’économie des clubs français n’est pas pérenne.

Parce qu’elle repose pas mal sur des investisse­urs qui ne recherchen­t pas forcément l’équilibre financier, avec des joueurs étrangers surpayés. Il faudra bien que cela change un jour et que les clubs deviennent des entreprise­s normales. Aujourd’hui, certains présidents ne regardent pas à la dépense…

Si l’on comprend bien votre raisonneme­nt, l’équipe de France porterait tout l’édifice.

C’est le seul vrai patrimoine du rugby français. Si elle gagne, l’économie va automatiqu­ement se développer. Malgré les difficulté­s sportives présentes, le rugby reste un des sports leaders en termes d’image auprès du grand public.

Que savez-vous des dossiers de vos concurrent­s, l’Irlande et l’Afrique du Sud ?

Peu de chose. L’Afrique du Sud s’appuie sur de grosses infrastruc­tures, avec de grandes capacités. Elle devrait donc proposer un nombre important de billets à vendre, ce qui ne devrait pas être le cas de l’Irlande. Il ne suffit pas de vouloir faire la Coupe du monde la moins chère mais bel et bien d’apporter un maximum de bénéfices pour aider au développem­ent mondial. World Rugby a ainsi consacré 260 millions d’euros au développem­ent de ce jeu. Quatre ans après le Japon qui devrait réaliser un chiffre d’affaires de 220 M€, soit seulement 60 % de moins que le Mondial anglais en 2015, il faudra que le Mondial 2023 soit une réussite financière pour compenser le manque. À mon avis, la France, avec ses 500 M€ de recettes, est la mieux placée. Elle apporte une nouvelle dimension à la Coupe du monde.

Mais qui pourra ensuite passer après la France ?

Le schéma financier exigé par World Rugby est incompatib­le avec son désir de développem­ent. Si certains mondiaux sont des réussites, ils compensero­nt les pertes d’autres événements moins porteurs d’un point de vue économique. Après le Japon et la France en 2023, le Mondial 2027 pourrait ainsi être confié à un pays émergent d’un point de vue rugbystiqu­e… Ce pourrait être la clé de notre succès alors que l’équilibre financier est fragile pour toutes les nations, en dehors de la France et de l’Angleterre.

Ceci dit, globalemen­t, je trouve que le rugby n’est pas assez partageur. Il est important, capital même, d’aider des pays comme la Géorgie, la Roumanie, l’Allemagne ou l’Espagne pour que dans quinze ans ils soient en mesure de disputer une Coupe du monde ; c’est d’ailleurs ce que veut faire Bernard Laporte et cette mission pourrait être confiée aux Barbarians qui seraient une équipe de France B capable d’aller jouer chez des nations qui ont besoin de soutiens. Il ne faudrait pas que les besoins d’argent des grandes nations masquent tous les projets de développem­ent.

Revenons à la candidatur­e : que craignez-vous d’ici au 15 novembre, date du vote ?

Le réseau irlandais qui est présent dans l’ensemble du rugby mondial. Ils sont partout. Leur réseau d’influence est certaineme­nt plus fort que le nôtre. Pour autant, je suis convaincu de notre victoire !

Quels sont les bénéfices estimés pour le rugby français ?

Autour de 70 millions d’euros, soit deux fois plus qu’en 2007. La totalité sera affectée à des projets de développem­ents du rugby et aux réformes que veut mener le président de la FFR. Par-delà les retombées financière­s, c’est la plus belle des promotions pour notre sport. Pendant six ans, le rugby français va ainsi bénéficier d’une formidable exposition.

Enfin, j’espère bien que cette fois-ci nous allons laisser un héritage à la FFR en termes d’organisati­on, de profession­nalisation dans la gestion des projets et des rencontres. Cela n’avait pas été possible en 2007 parce que certains ne l’avaient pas voulu.

Quels pays peuvent faire la différence ?

L’Argentine tiendra une place importante dans le résultat du vote. Nous comptons évidemment sur le soutien d’Agustin Pichot. Il y a aussi l’Italie, comme vous l’imaginez. Les transalpin­s n’ont aucune raison de voter pour l’Irlande mais je n’oublie pas que leur sélectionn­eur est irlandais…

Personnell­ement, que ferez-vous après ce Mondial ?

J’adore cette aventure un peu folle. Pour autant, je ne sais pas si je resterai avec Bernard Laporte ou si je repartirai vers l’Asie pour mes affaires. Une chose est sûre, je ne pourrai pas faire un tel grand écart pendant longtemps encore. Il faudra que je me pose.

On vous prête une réputation sulfureuse et certains laissent entendre que vous êtes d’abord là pour vous servir…

Qu’est-ce que vous voulez que je réponde à ces saloperies. En 2007, j’ai laissé 34 millions d’euros au rugby français et comme je ne m’entendais pas avec les dirigeants en place, je suis parti au Japon. Les gens qui colportent ces rumeurs sont des aigris, jaloux, qui n’ont jamais réussi. Pendant longtemps, j’ai été bénévole auprès de Bernard Lapasset et les gens fantasmaie­nt sur mes activités. Désormais, je suis payé par la FFR en tant consultant et les choses sont claires. Je suis libre et je le resterai. ■ Les clés du succès Si Paris 2024 a longtemps ressemblé à un épouvantai­l dressé sur le chemin de la candidatur­e pour les Mondiaux de rugby en 2023, la perspectiv­e de voir l’affaire réglée sans attendre l’automne est une bonne chose pour le comité d’organisati­on dirigé par Claude Atcher : l’horizon est dégagé. Reste à convaincre les futurs votants d’accorder une vingtaine de voix (au premier ou au deuxième tour) à la France. Ses soutiens ? L’Europe, l’Afrique, la Géorgie, le Japon ou l’Asie semblent acquis. Comme l’Argentine et, selon toute logique, l’Italie. L’Irlande, elle, peut s’appuyer sur ses voisins (l’Angleterre, Galles, Ecosse ?), les Etats-Unis, le Canada et l’Amérique du Nord. L’Afrique du Sud pourrait créer la surprise en écartant les Irlandais au premier tour si elle parvient à fédérer au-delà de la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la fédération d’Amérique du Sud et de l’Océanie. Une opportunit­é qui pourrait dégager l’horizon de la France, qui s’appuierait alors au deuxième tour sur les soutiens de l’hémisphère nord pour tenter de l’emporter. En cas de match France/Irlande, la clé du succès français se trouvera, à l’inverse, chez les sudistes… ■

« On a organisé 21 événements en dix ans (...) la France est championne du monde en termes d’organisati­on d’événements sportifs ! »

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