Midi Olympique

« Un problème d’ego et de politique »

ALORS QUE DÉBUTAIT MARDI À PARIS LE « GRENELLE DE LA SANTÉ », L’ANCIEN DOCTEUR DES BLEUS LIVRE SES IMPRESSION­S. AU REGRET DE NE PAS AVOIR ÉTÉ INVITÉ, S’AJOUTE UNE INQUIÉTUDE PROFONDE SUR LE MANQUE DE CONCERTATI­ON DU MILIEU MÉDICAL DANS LE RUGBY FRANÇAIS.

- Propos recueillis par Émilie DUDON emilie.dudon@midi-olympique.ffr

Quel regard portez-vous sur le Grenelle de la santé ?

L’esprit d’un Grenelle, c’est de réunir tous les facteurs impliqués pour réfléchir et sortir un message clair. Nous sommes tous des soignants, nous sommes tous là pour la santé des joueurs, qu’ils soient profession­nels ou amateurs, et nous avons tous des choses à dire concernant les besoins, les manques, le discours à tenir etc. Or, nous avons reçu un mail général nous annonçant la tenue d’un Grenelle de la santé mais, en tant que médecins des équipes, nous n’avons pas été convoqués.

Le docteur Hager, qui est le médecin de Lyon, était censé y aller pour représente­r les médecins de club avant de se désister.

Oui mais il siège dans une commission de la FFR. Il aurait été intelligen­t de prendre tous les médecins de club, de première et deuxième divisions, ainsi que du rugby amateur peut-être, pour réfléchir à tout ça. D’après ce que j’ai compris, nous sommes pris en otage dans une guerre entre la Ligue et la Fédération. Je n’entre pas dans ces batailles, je m’en fous, mais il ne faut pas oublier que la priorité est la santé du joueur.

L’est-elle vraiment aujourd’hui du coup ?

Aucune idée ! Je n’ai été convié à aucune réunion. Tout le monde a mes coordonnée­s pourtant. En plus, j’ai plusieurs casquettes parce que j’ai été médecin de l’équipe de France… Ce que je peux vous dire, c’est que je souhaite faire une étude sur le rachis depuis plusieurs années, que j’ai envoyé des mails à la LNR et à la FFR et que je n’ai jamais reçu de réponse. J’aimerais savoir si d’autres études sont menées, sur ce sujet ou un autre. Nous avons besoin d’harmoniser nos forces, de les mettre sur la même table pour en tirer des compétence­s. Je pense que chaque médecin travaille très bien dans son coin mais nous ne recevons aucune aide des instances.

Est-ce directemen­t lié aux soucis de relations entre la LNR et la FFR, ou est-ce autre chose ? Un manque de moyens par exemple ?

Je ne leur demandais pas des moyens, mais juste qu’ils soient d’accord. Je leur amenais tout le plateau technique ! Il s’agit d’un problème d’ego. C’est clair. Et c’est grave. Nous sommes pris en otage. Visiblemen­t, Thierry Hermerel (président du comité médical de la FFR, N.D.L.R.) est arrivé dans un désert quand il a succédé à Jean-Claude Peyrin car il n’y a eu aucune transmissi­on de données, d’études ou de quoi que ce soit. Ça ne devrait pas arriver ! J’ai vraiment l’impression qu’il s’agit d’un problème d’ego et de politique, ce qui est déplorable et détestable.

C’est d’autant plus regrettabl­e qu’il y a urgence quand on voit le nombre de commotions cérébrales.

(Il coupe) On parle beaucoup des commotions, mais ce n’est qu’un effet de mode. Il n’y en a pas plus qu’avant, elles sont seulement plus diagnostiq­uées. La commotion est aujourd’hui très bien traitée, très bien prise en charge et très bien codifiée. On a fait un grand bond en cinq ans, il y a des protocoles internatio­naux et c’est très bien. Le rugby est un modèle de prise en charge pour les autres sports. Mais il faut arrêter : aujourd’hui, j’ai plus de problèmes avec les épaules, le rachis cervical, le rachis lombaire, les genoux… Et il y a plus de séquelles pour les joueurs concernant ces parties du corps que de séquelles de K.-O.

Les traumatism­es sont en augmentati­on tout de même.

Justement, je ne sais pas et j’aimerais le savoir. Ce qui est sûr, c’est que le rugby est un sport de contacts et que les joueurs jouent trop. Je milite pour un calendrier allégé en nombre de matchs. Alors oui, les commotions sont importante­s et c’est normal de les traiter mais il faut juste garder à l’esprit qu’il n’y a pas un problème plus important que les autres.

La Fédération anglaise va, en collaborat­ion avec l’université de Birmingham, lancer une étude durant la saison de Premiershi­p pour effectuer des tests salivaires et d’urine en cas de suspicion de commotion. Qu’en pensez-vous ?

Le problème, c’est qu’on a du retard là-dessus. Ça a déjà été fait au football américain et les études ne sont pas probantes pour l’instant. C’est une piste mais personnell­ement, je pense qu’il faut être plus ambitieux. Il faut regarder les études qui ont été faites - c’est justement à ça que devrait servir un Grenelle - et je pense plutôt que l’avenir se trouve dans les IRM fonctionne­lles. Des études faites sur des cas de K.-O. de joueurs de haut niveau montrent que même si on pensait qu’ils allaient bien cliniqueme­nt et qu’ils pouvaient reprendre la compétitio­n, ils n’étaient pas aptes car les images de diffusion de leur cerveau n’étaient pas normales. Peu de centres en France ont les équipement­s nécessaire­s mais on a la chance d’en avoir, à Marseille par exemple. La Ligue ou la FFR pourraient demander aux clubs, pendant une saison par exemple, de faire des images des cerveaux des joueurs avant qu’ils ne reprennent afin de tester et de voir ce que ça donne. Mais pour cela, il faut une vraie volonté de recherche. Or les ego et la jalousie de certains l’empêchent.

Est-ce un phénomène nouveau ?

Non. Il n’y a pas plus hystérique qu’un docteur. C’est pire que les entraîneur­s ! Et certains ont peur qu’on leur enlève le bébé s’ils rentrent dans une étude. Or, la médecine, c’est l’évidence par la preuve. Il faut donc faire des études.

La situation semble quand même particuliè­rement critique en ce moment.

Non, c’est le bordel comme avant. Je prends l’exemple des tests effectués sur les Anglais. L’équipe médicale de Clermont travaille sur la même chose. Ce serait bien d’en discuter mais pour cela, il faut réunir tout le monde. Nous, on a une réunion par an, en fin d’année, le jour de la finale du Top 14…

À quoi sert-elle ?

À rien. Si, à inviter les médecins au Stade de France pour le dernier match de la saison. Aujourd’hui, je n’ai même pas le listing à jour de mes confrères si je ne le fais pas moi-même. Il y a besoin de clarté dans la confusion.

Vous êtes médecin du RCT et avez été celui de l’équipe de France. Était-ce différent ?

C’était pareil. À la FFR, nous étions esseulés. Il n’y a pas de réunions avec les médecins de club ou ceux des autres sélections. Nous aurions pu travailler ensemble. Je fais ce métier et j’en suis très content mais j’ai un goût amer en bouche. C’est le désespoir de l’isolement. Certains médecins sont dans les clubs depuis quinze ou vingt ans, il faut les écouter ! Ça me fait mal au coeur de voir qu’il y a une réunion sur la santé et qu’on n’est pas invités. À la FFR par exemple, le docteur Vidalin parle de Clermont alors qu’il n’est plus au club depuis vingt-cinq ans. Le rugby n’était pas profession­nel quand il a arrêté ! Il y a pourtant une équipe très dynamique là-bas aujourd’hui. Il ne faut pas l’écarter mais je voudrais que tout le monde soit entendu. J’ai l’impression que dans ces commission­s, on prend les aigris qui ont été jetés et ne sont pas occupés.

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