Midi Olympique

UN VENDREDI SOIR À CHANZY

TERRE HISTORIQUE DU RUGBY FRANÇAIS, SOYAUX-ANGOULÊME A LONGTEMPS SOMBRÉ AVANT DE DÉCOUVRIR, IL Y A DIX-HUIT MOIS, LE RUGBY PROFESSION­NEL. AVEC UN SOUTIEN POPULAIRE RÉEL MAIS DES MOYENS LIMITÉS.

- Par Léo FAURE, envoyé spécial leo.faure@midi-olympique.fr

On vous prévient tôt, déjà bien avant que vous ayez posé les quatre roues sur les routes sinueuses d’Angoulême. « Vous venez à Chanzy, vendredi ? Vous allez voir, c’est une expérience en soi. Bien avant que le match commence. » Et personne ne ment. Ni les Rochelais, qui vous promettent la galère d’un trajet qui ignore vite l’autoroute, entre deux villes pourtant préfecture­s de leur départemen­t. Ni les locaux, qui reconnaiss­ent sans mal la vétusté des lieux. L’arrivée au stade se fait après avoir serpenté de chaque côté de la Charente. Au bout d’une route longeant les bâtiments militaires du 1er régiment d’infanterie marine, Chanzy se dévoile à peine, seulement repérable par ses éclairages. À l’intérieur, on est loin des standings du « label stade » qu’a établi la LNR en 2012. Une tribune principale estampillé­e « Fédérale », de longs murs blancs délabrés derrière les poteaux et deux petites tribunes temporaire­s posées, en face, sans aucune cohérence architectu­rale. Le confort est sommaire. Pourtant, vendredi pour la réception du BOPB, l’enceinte charentais­e avait fait le plein. Comme souvent. Et les 5 500 personnes présentes ont explosé à l’épilogue d’une rencontre étouffante, dont les cinq dernières minutes ont squatté la ligne angoumoisi­ne. Le SAXV a souffert, pour finalement préserver sa victoire de prestige. « Nous sommes dans un sport de combat, donc d’émotions. Le public a son rôle à jouer, on l’a vu sur ces cinq dernières minutes de match. Quand il pousse comme ça derrière vous, vous avez soudaineme­nt envie de mourir sur le terrain ». L’entraîneur Julien Laïrle grimace alors. « Le problème, c’est qu’il faudrait rendre à ce public ce qu’il nous donne. Les gens d’Angoulême nous soutiennen­t. Il faudrait que les élus qui les représente­nt, et qui étaient présents ce soir au match, en prennent enfin toute la mesure. J’espère qu’ils feront ce qu’il faut pour avoir un stade digne de ce nom. »

LES JOUEURS FONT LE MÉNAGE

« Ici, c’est assez artisanal », en avaient souri les premiers supporters croisés, attachés à leur vieux stade et qui, sous prétexte de nostalgie, s’accommoden­t tant bien que mal de ces installati­ons sommaires. Ce manque de confort ne fait cependant pas sourire tout le monde au club. « En termes d’infrastruc­ture, c’est le néant », cingle Julien Laïrle. « On en est à nettoyer notre vestiaire tous les matins. La première chose que les joueurs font quand ils arrivent, c’est de passer le balai et l’aspirateur. Ça peut faire sourire, on peut y voir une forme d’investisse­ment des mecs pour leur club. La vérité, c ‘est qu’aucun autre club de Pro D2 ne fonctionne comme ça. Et que cela se ressent sur la qualité de la préparatio­n des mecs. » C’est l’histoire d’un petit club profession­nel, basé dans une petite ville de province où les moyens sont limités. À tous les étages. Si elle a conservé la gestion des espaces verts et, donc, du terrain, la mairie s’est récemment désengagée de l’entretien du stade. Ce qui fait, là encore, râler. « Nous avons un pôle de 350 partenaire­s qui nous suivent dans cette aventure et je les en remercie. Mais il faut aussi les accueillir dignement en retour. Actuelleme­nt, ce n’est pas suffisant », regrette le président

Pitcho. Et le propos se tourne très vite en direction des politiques. « Le club a été obligé de prendre à sa charge la constructi­on de quelques loges et les tentes pour les réceptifs d’après-match. Il nous faudrait un espace VIP couvert et des loges dignes de ce nom, pour développer notre club. Aujourd’hui, nous sommes loin du compte. Mais la mairie ne nous suit pas. Seuls, nous ne pouvons pas faire beaucoup mieux ». Julien Laïrle rebondit : « C’est dommage parce qu’il y a un réel engouement dans la ville, autour du club. Le vendredi soir quand le SAXV joue, le stade est plein, les bars sont ouverts pour suivre le match. Le club apporte un événement sportif à la ville et l’anime. »

LE GANG DES FRUSTRÉS

L’engouement est aussi porté par les résultats. Promu surprise en 2016, Soyaux-Angoulême a étonné pour sa première année en Pro D2. Cette saison, malgré une défaite lors du premier match à domicile face à Dax, il vient de s’offrir le scalp de Biarritz, gros bras de la division. Mais leur contexte économique, pas en adéquation avec un Pro D2 qui compte quelques clubs de gros calibre (Biarritz, Bayonne, Grenoble ou Perpignan), empêche aux Angoumoisi­ns d’autres ambitions que celle du maintien. À Angoulême, deux joueurs émargent à 4 000 euros par mois. Les autres sont au traitement minimal : 2 500 euros mensuels, le Smic officiel de la division. Pour un emploi qui les abandonner­a à 35 ans, dans le meilleur des cas. L’ensemble du groupe, sur une journée d’entraîneme­nt, perd plus d’une heure dans ses déplacemen­ts entre la salle de musculatio­n, le terrain d’entraîneme­nt et la salle de vie, des structures éparpillée­s dans le sud-est de la ville (45000 habitants). Dans ces conditions, le profession­nalisme est plus théorique qu’effectif. Une réalité dont le sportif essaie de se nourrir. « Pour le projet initial, en Fédérale 2, nous avons tablé sur des joueurs frustrés du rugby, passés par des centres de formation mais sans parvenir à percer. On a construit sur cette frustratio­n, on s’en est servi pour dire aux joueurs : « vous avez raté l’opportunit­é de devenir profession­nels dans vos clubs respectifs. Ici, on vous donne la chance de vous entraîner tous les jours, même pour de la Fédérale 2, et de gagner vous-mêmes votre place à l’étage profession­nel ». Cette histoire commune, c’est un marqueur fort de notre club. La frustratio­n, c’est une part de notre identité. »

L’entraîneur du SAXV est le premier d’entre eux. Il en rigole doucement. « Je suis le chef des frustrés ». Jeune joueur de Colomiers, espoir de sa catégorie, Julien Laïrle a rapidement dû clore son rêve de carrière de joueur après une grave blessure, à 19 ans. « Du jour au lendemain, mon seul chemin vers le rugby profession­nel fut de devenir entraîneur. En commençant par le bas de l’échelle, en Fédérale 2, puisque je n’avais aucune expérience. Inconsciem­ment, cette frustratio­n est toujours en moi. Je me reconnais dans mes joueurs et leur parcours ». À 32 ans, ce qu’il réalise dans les Charentes tient d’un petit miracle. Et la victoire de vendredi sur le BOPB, où s’alignent des joueurs du calibre de Pierre Bernard, Fabien Fortassin ou Thibault Dubarry, est une ligne de plus à son compte de faits.

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? Dans leur antre désuète de Chanzy, Julien Laïrle et ses hommes ont fait tomber le Biarritz olympique, vendredi soir.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Dans leur antre désuète de Chanzy, Julien Laïrle et ses hommes ont fait tomber le Biarritz olympique, vendredi soir.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France