À PROPOS DE LA FORMATION
Quand le rugby national patine, il faut trouver des raisons. Le président de la Fédération, invité à s’exprimer à Labastide-de-Sérou sur les difficultés du XV de France, n’a pas manqué d’évoquer, entre autres carences, la formation du joueur. C’est assurément recevable mais il aurait peut-être été intéressant d’aller un peu plus loin que ce constat global. Parler de formation, c’est avant tout se poser la question de l’articulation entre une conception d’enseignement et le jeu du débutant au plus haut niveau. Dans ce cadre, quel type de joueur veut-on générer pour répondre aux caractéristiques du jeu moderne — celui aussi qui gagne et qu’il s’agit de bien définir - ? Finalement, quel jeu veut-on réaliser et comment veut-on l’obtenir ? Ce qui veut dire aussi, comment procéder pour faire le lien entre : les besoins de compréhension du jeu, les besoins tactiques et techniques, les besoins physiques et mentaux.
La formation fédérale pour les éducateurs et entraîneurs telle qu’elle est conçue aujourd’hui est, elle, à même de répondre aux questionnements précédents ? Ma réponse est oui. La théorie (Doc DTN 2002) développée tant dans « le guide de la formation que dans le plan de formation du joueur » n’est, à ce jour, pas obsolète bien au contraire. Le mouvement des joueurs et du ballon y est bien traité comme l’élément essentiel du jeu actuel, celui qui mobilise toujours plus les ressources perceptives utiles pour que le joueur puisse concrétiser, dans la continuité de formation, les compétences de « suppléance et polyvalence » attendues au plus haut niveau. Une priorité de formation à l’intelligence tactique qui ne néglige pas les autres dimensions du jeu mais les intègre quand c’est nécessaire.
Le jeu actuel est-il le témoin du modèle de la formation fédérale ? Certainement pas, en tout cas pas convenablement au niveau des écoles de rugby et des jeunes, là où justement, c’est le bon moment (formation initiale et début du perfectionnement) pour préparer les pratiquants à toujours mieux comprendre l’activité adaptative requise pour atteindre le meilleur niveau.
S’il s’agit d’améliorer la qualité du jeu des pratiquants dans toutes les tranches de leur vie rugbystique (des débutants au plus haut niveau), d’en assurer en continuité la cohérence, il convient conjointement de développer avec pertinence les compétences des éducateurs et entraîneurs. Malheureusement, il y a un grand décalage entre les attendus théoriques et le mode d’application dans la pratique.
Premier obstacle : comment convaincre tous ceux qui sont peu ou prou engagés dans la formation du joueur et d’une équipe — quel que soit le niveau — d’avoir le désir de faire mieux que ce qui se fait aujourd’hui. Les formateurs de tous bords sont ils réellement conscients et prêts à entrer dans cette dynamique. Ce qui veut dire aussi comment rendre commune et accessible la démarche de formation choisie pour que, dans la même dynamique, le jeu et le joueur se construise de manière efficace.
Démarche commune signifie-t-il mise en place d’un rugby identique pour tous ? Bien sûr que non ! C’est utiliser les mêmes principes méthodologiques et éléments fondamentaux qui enveloppent tous les facteurs de la performance ce qui n’empêche pas de rester en accord avec la diversité des cultures, des écoles de jeu, de leurs valeurs, et des innovations.
Pour les éducateurs et entraîneurs, il s’agit bien aujourd’hui, d’améliorer leur pratique pédagogique et la rendre attractive et productive auprès des pratiquants. À savoir, qu’elle leur apporte au fil des années un souffle d’ambition jamais éteint, porteur d’espoirs pour accéder à un toujours meilleur niveau d’excellence. Aujourd’hui, la pratique de terrain malgré le passage obligatoire par la conception de formation fédérale se décline inégalement. Beaucoup d’entraîneurs et éducateurs une fois le diplôme en poche ne l’appliquent pas, ou mal. Conscients ou non de leurs insuffisances, il devient plus facile d’engager le travail d’entraînement dans la maîtrise des techniques les plus récentes, d’aller chercher, grâce aux technologies nouvelles, les exercices qui se font ici et là et surtout ailleurs, de croire abusivement aux vertus de la préparation physique pour résoudre les problèmes de jeu rencontrés voire de faire du copier coller en imitant le plus haut niveau de pratique. On est rentré dans le temps de « l’immédiateté » des recettes miracles sans en mesurer les limites et les effets pervers.
Le deuxième obstacle concerne les formateurs. Toute pratique exige de la théorie. Faut-il encore qu’elle soit claire et comprise par ceux qui la reçoivent. Je ne suis pas certain que les apports théoriques dispensés dans les formations permettent aux éducateurs et entraîneurs une bonne appropriation et suffissent à transformer leurs compétences. L’action de formation « in vivo » sur le terrain pour « apprendre à jouer en jouant » doit être privilégiée si l’on ambitionne de les guider dans leur action de formation en leur donnant les outils de lecture utiles pour comprendre évaluer et corriger la production tant individuelle que collective. Comment sortir de cette contradiction ? Il n’existe pas de solutions extrinsèques ! Les solutions appartiennent aux formateurs et aux formés. Mais pour cela, il faut accepter de perdre les idées que l’on se faisait sur la manière de « former et donc d’accepter de vouloir en acquérir de nouvelles ». Cela prend du temps.