«Voir Bruxelles en Pro D2... »
Sous le soleil, Bruxelles, brussellait. Place de Broukère, il y a toujours des vitrines et les photos de Jacques Brel éclatent sur les murs de la « vieille halle aux blés » où sa fille, France, a ouvert sa fondation. Regarde bien, petit, regarde bien… Plus haut, pas très loin, à portée de pavés de cette ville superbe qui, à l’instar de Rome, a fait de son centre un village, René Magritte est pareillement exposé dans le musée qui porte son nom. Peinture et poésie. On souhaiterait prendre un abonnement. Sur la Grand Place, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, où les touristes abondent, une lumière blonde ajoute à la richesse ornementale du lieu. L’hôtel de Ville et sa tour gothique participent de ce décor somptueux, intemporel, où l’on voudrait se fondre quelques minutes encore avant qu’une « drache » toute bruxelloise, aussi soudaine que malvenue, tabasse soudainement la ville et m’autorise ce fait d’armes : traverser la Grand Place en courant, sous des trombes d’eau, aux côtés de Philippe Close, le bourgmestre de la ville qui a gardé de ses années rugbystiques une vélocité du meilleur aloi…
Echevin à Bruxelles de 2006 à 2017, membre du Parlement et désormais maire de la ville, on sait moins que ce jeune maire débordant d’énergie fut naguère un numéro huit de belle dimension, puissant, robuste, courageux, international junior, qui entend promouvoir ce jeu dans la capitale européenne et donner à sa ville une grande équipe, dont il aimerait qu’elle puisse un jour prochain intégrer le championnat français via la ProD2. Ce ne sont évidemment pas les partenaires potentiels qui manquent à Bruxelles et les pouvoirs publics, m’assure-t-il, seraient prêts à aider le club de manière substantielle. On devine d’ici l’intérêt que les clubs français auraient à promouvoir de la sorte leurs partenariats dans la capitale européenne, et si la Fédérale 1 semble de prime abord plus conseillée, il serait fâcheux de constater que la FFR et la Ligue guignent pareille aubaine, à même de développer, par capillarité, le rugby dans le Nord de la France et donner des idées neuves à Lille, Strasbourg, Nantes… La Belgique compte aujourd’hui 13 500 licenciés (hors les scolaires), pour 68 clubs, dont 10 à Bruxelles et ses banlieues. 60 % des pratiquants sont francophones et 40 % Néerlandais. Le niveau de l’équipe nationale n’est pas sans attrait si l’on veut bien considérer qu’elle participe aujourd’hui au Groupe B du Tournoi des VI Nations, en compagnie de la Géorgie, de la Russie, de la Roumanie, de l’Espagne et de l’Allemagne. Et si le rugby demeure confidentiel, seulement relayé par EK TV (télé numérique), le site Sportkipik, spécialisé dans le rugby et le quotidien DH, la baisse très sensible de l’engouement des gens pour le football, pourrait constituer, avec l’apport d’une grande équipe bruxelloise, une aubaine majeure pour notre sport.
Entouré de ses amis, Claude Aronis, grande figure du rugby belge, qui fut longtemps son partenaire sur les terrains et présente à mon admiration le fait de vendre et de lire, depuis bientôt trente ans, MidiOlympique dans la capitale belge et de Jean-Charles Tolza, qui a créé « Sud à
Bruxelles », une agence de relations publiques événementielles spécialisée entre autres choses dans l’oenotourisme, Philippe Close dit sa passion pour le jeu de rugby, évoque ses projets, lance des pistes, rêve à voix haute. C’est un homme pressé qui professe le goût de l’épicurisme, un gaillard d’avant qui témoigne d’une grande finesse, une gueule de dur à cuire au visage éternellement fendu d’un large sourire. Un Indien (de ce jeu) dans la ville.
«J’ai dit à mes fils : «savoir écrire, lire, compter tout le monde sait le faire, mais bien jouer au rugby ce n’est pas à la portée de tous...»
«On vient de construire un stade de 7000 places, lequel se tient à côté du stade national de 60.000 places qui peut également intéresser le rugby. Ce serait parfait pour intégrer le ProD2, vous ne croyez pas ?» « Bruxelles, c’est la ville du pouvoir par excellence. Les grandes entreprises abondent. Beaucoup de Français ont choisi le climat pour venir vivre en Belgique... Avec le Brexit, beaucoup d’Anglais aussi nous retrouvent. Les pouvoirs publics sont prêts à aider. On a tout pour faire naître ici une grande équipe. »
D’où vous est venu le goût du rugby ?
C’est à ma maman que je le dois. J’avais 14 ans, j’étais un peu turbulent… Mon frère jouait au foot, mais ce sport n’était pas vraiment fait pour moi. Ma mère m’a dit, « tu devrais essayer le rugby ». Ce fut une révélation. J’ai tout de suite adoré.
Et vous ne l’avez plus quitté…
J’ai été sélectionné en cadet, international junior. Puis je me suis blessé – ligaments croisés – j’ai arrêté un an, avant que mon ami Claude Aronis ne m’incite à le suivre à l’ASUB Waterloo (Association Universitaire de Bruxelles), qui n’était autre que le rival de toujours de mon club formateur de Boitsfort. Je passais à l’ennemi. Les derbys furent chauds. J’étais clairement visé… Mais j’ai composé là une famille au point que mes fils jouent aujourd’hui à L’ASUB, ce qui m’oblige à traverser Bruxelles deux fois par semaine pour les voir jouer et s’entraîner… Mais je ne regrette rien, vraiment.
C’est donc, aujourd’hui, une passion familiale ?
J’ai dit à mes fils : « savoir écrire, lire, compter, tout le monde sait le faire. Mais bien jouer au rugby ce n’est pas à la portée de tous… ». Les médias ont relayé cette petite phrase qui fut diversement appréciée, mais là encore je ne retire rien… Je vais d’ailleurs vous faire une confidence : être interviewé par Midol, c’est ma consécration ! C’est le plus grand journal du monde… Je l’ai dit lundi, devant tous mes assistants : « Je suis interviewé mercredi par Midi-Olympique, c’est le rendez-vous le plus important de la semaine. Les gens m’ont regardé, dubitatifs. « Vous allez parler de politique ? – Non, dis-je, de rugby ! » Personne n’a rien dit, mais j’ai senti comme un long silence interrogatif…
C’est gentil…
C’est sincère. On est quelques-uns, ici, à vous lire depuis des années. Le journal du rugby ! Je me souviens même de cette époque où vous parliez d’automobile et de tauromachie… La tauromachie dans un journal de rugby, cela nous semblait incroyable (rires). Mais pour qui aime ce jeu le Midol est incontournable.
Qu’aimez-vous justement dans ce jeu ?
La famille. Cette atmosphère incroyable qui veut que les avocats et les médecins côtoient les ouvriers et soient de plain-pied avec eux. Le rugby c’est la mort des classes sociales. La communauté du rugby existe, ce n’est pas une chimère. C’est un passeport incroyable à travers le monde. Si vous jouez au rugby, on vous héberge dans n’importe quel pays au monde où l’on pratique ce sport, on vous nourrit, on vous trouve un job. C’est vraiment propre à ce sport. Et puis le jeu est tellement stratégique, complexe, intelligent.
Vous parlez là, plutôt, du rugby amateur, du rugby d’autrefois…
En Belgique c’est toujours le cas et j’espère que cet esprit-là, qui est la grande richesse de ce sport, ne se perdra jamais.
Vous ne craignez pas que l’afflux d’argent et les dérives actuelles ne nuisent à ces valeurs fondamentales ?
C’est un grand risque bien sûr. Le rugby, vous avez raison, se doit de faire attention à son évolution. La dérive liée au poids des joueurs pose notamment question. Je ne voudrais pas que ce sport ressemble trop au foot US. Le danger de l’engagement et du toujours plus physique, est patent. On ne fait pas du sport pour détruire les gens. Même si, de vous à moi, je confesse regretter un peu le temps des bagarres générales qui n’étaient jamais trop méchantes…
Viril mais correct, disait-on en France.
J’adhère. Ponctuer une phrase de jeu par un petit point-virgule, n’était pas fait pour me déplaire…
Vous écrivez point avec un g, je suppose ?
C’est tout à fait ça…
Quels sont vos projets pour le rugby à Bruxelles ?
Parlons d’abord des infrastructures. On vient de construire un stade flambant neuf de 7 000 places, lequel se tient à côté du stade national de 60 000 places qui peut également intéresser le rugby. Ce serait parfait pour intégrer le Pro D2, vous ne croyez pas ?
Vous parlez sérieusement ?
Bien sûr. Je vais d’abord vous faire une autre confidence : la Belgique nourrit avec la France des rapports particuliers, amicaux mais souvent conflictuels. C’est très vrai au football notamment. Mais pas au rugby. La Belgique, en l’occurrence, s’est toujours identifiée à la France. Personnellement j’étais très admiratif de Laurent Rodriguez, de Marc Cécillon, d’Abdelatif Benazzi, tous des numéros huit c’est vrai… Mais la FIRA de l’époque a fait beaucoup pour le rugby belge. Au point que les Belges soutiennent l’équipe de France. Et quand je vais à Montpellier – mon beaupère a une maison à Palavas –, comme d’ailleurs tous mes amis rugbymen belges, on a l’impression de pénétrer dans un sanctuaire. Pour nous, au-delà de Toulouse, la magie n’opère plus vraiment. Ce n’est plus tout à fait la terre d’élection. Mais le Sud de la France, pour des fous de ce jeu, quelle merveille !
Et donc vous souhaiteriez intégrer le championnat français ?
Oui, à la façon dont Monaco a intégré la Ligue 1 en football. Je parle très sérieusement. Bruxelles peut très bien trouver le budget pour cela. C’est la ville du pouvoir par excellence. Les grandes entreprises abondent. Beaucoup de Français ont choisi le climat pour venir vivre en Belgique (rires)… Avec le Brexit, beaucoup d’Anglais aussi nous retrouvent. Les pouvoirs publics sont prêts à aider. À titre personnel, je suis prêt à ouvrir des portes. On a tout pour faire naître ici une grande équipe. Mais il faut que la France nous aide.
Cela constituerait une petite révolution. Il faudrait changer le règlement.
Sans doute. Mais le foot l’a fait. Le Hockey aussi. Il y aurait quand même bien des avantages à ouvrir le championnat français. De la même façon, j’aimerais que si la France obtient les droits du Mondial 2023, un match au moins ait lieu chez nous.
L’affaire paraît plus délicate au regard des statuts de World Rugby qui privilégient aujourd’hui la compétition sur un seul pays…
Si on ne peut pas, tant pis, mais on a besoin de l’aide de la France et le rugby a quand même tout intérêt à agrandir sa toile. Notre ami Jean-Charles Tolza vous dira à quel point les clubs français pourraient s’y retrouver en valorisant à Bruxelles leurs produits régionaux. Je répète que c’est la ville internationale par excellence. Et nous saurons jouer sur l’image qui reste encore très sympa du rugby.
Le message ne devrait pas laisser insensibles les investisseurs où qu’ils se trouvent. Mais, à terme, c’est le Top 14 que vous envisagez ?
Ne brûlons pas les étapes. Chaque chose en son temps. Mais je suis prêt à m’investir personnellement dans l’aventure. J’aime tellement ce jeu. À titre anecdotique, quand j’ai prêté serment, le ministre m’a offert un maillot des All-Blacks et quand Alain Juppé est venu me rendre visite, il m’a offert le maillot de l’UBB. On prétend que je suis le meilleur ambassadeur du rugby belge. Ça ne s’invente pas…
Vous seriez prêt à soutenir le projet France 2023 ?
Bien sûr. Je vous répète que le rugby est le seul sport où la Belgique est derrière la France. Nous serions très heureux d’apporter notre pierre à l’édifice.