Altrad seul contre tous
MOHED ALTRAD, LE PRÉSIDENT DE MONTPELLIER, EST INTERVENU, LUNDI, AUPRÈS DE SES PAIRS SANS SUCCÈS. UN VENT DE FRONDE SOUFFLE CONTRE LUI. DOSSIER...
Lundi soir, Paris. Le gratin du rugby français s’est rejoint dans la capitale pour participer à la Nuit du Rugby, à partir de 19 heures, sous les prestigieuses dorures de l’Olympia. Tout le monde est là, des présidents aux joueurs, des partenaires aux agents, engoncés dans des costumes de circonstance. Certains d’entre eux ont déjà vécu quelques suées, dans l’après-midi. Avant de rejoindre l’Olympia, 26 des 30 présidents de clubs professionnels se sont réunis, en milieu d’après-midi, pour l’assemblée générale annuelle de l’UPCR (Union des clubs professionnels de rugby). Habituellement, l’institution traite des missions des « droits et intérêts matériels et moraux, tant individuels que collectifs, des clubs professionnels », de « développer et resserrer les liens unissant les clubs » et de « procéder à toutes propositions ou recherches de solutions aux problèmes sociaux, économiques, juridiques ou professionnels, qui se posent aux clubs ». C’est en tout cas ce qu’affirme l’UPCR, sur son site internet. Ce lundi, ce fut surtout le long réquisitoire de celui que tous accusent : Mohed Altrad.
LE PRIX DE LA MÉTHODE
Le président de Montpellier avait largement préparé sa défense, pour ne pas dire sa contre-attaque : un PowerPoint de 120 pages et une présentation à rallonge (plus d’une heure) à ses alter ego, pour laquelle il a exigé de ne pas être coupé pour son auditoire. À son entourage, Altrad avait expliqué vouloir ainsi jouer cartes sur table et obtenir l’apaisement, une forme d’entente cordiale, dans un contexte où ses relations d’affaires avec la FFR font grincer des dents. Ses pratiques salariales également (voir cidessous). Dans la présentation de l’homme fort du MHR, il fut question de tout : le modèle économique de son club et son évolution depuis 2010 ; la réussite de son entreprise personnelle de BTP ; sa vision de la sociologie du rugby, sous un angle historique. Surtout, pour les deux derniers tiers de l’exposé, il s’agissait d’une réponse aux suspicions nées du contrat passé avec Bernard Laporte, pour des prestations de représentation. Et Mohed Altrad égraina longuement, face à une assistance un rien médusée, ses réponses aux accusations dont il est l’objet depuis plusieurs mois : recrutement à l’étranger, explosion du salary cap, toute puissance de son argent, immoralité dans son approche de l’entreprise sportive, suspicion de favoritisme sur l’aspect fédéral…
Quand Mohed Altrad en eut fini, il espérait avoir crevé l’abcès, mis son entreprise et sa philosophie à nu devant ses concurrents et placé ses détracteurs face à leurs contradictions. Le propos marathon pourrait se résumer sous un étendard, une ligne de défense qu’il égrène de longue date : le délit de sale gueule, un soupçon de racisme et l’hypocrisie d’un milieu qui lui reproche des méthodes dont chacun fait usage, sous couvert de belle morale liée aux « valeurs du rugby » (sic).
Mais la manière fut brutale. Certaines attaques furent frontales, menaçantes, nominatives et accompagnées de commentaires acerbes sur certains présidents du Top 14. En leur présence. Au lieu de clarifier une situation, le président de Montpellier venait de faire l’unanimité contre lui.
EN GUERRE AVEC CROMIÈRES ET TINGAUD, LÂCHÉ PAR BOUDJELLAL
Dès lors, le déchaînement fut total. En interne, tout d’abord, avec une fronde quasi immédiate des 25 autres présidents présents. Puis dans différents médias. Chez nos confrères du Petit Bleu, le président d’Agen Alain Tingaud y va franco de port : « C’est un homme dangereux pour le rugby professionnel. Il ne me doit rien, je ne lui dois rien, mais sa façon d’insulter les présidents à fleuret moucheté sans avoir le courage de dire les choses m’insupporte. Il a pété un boulon. Il est juste imbu de sa personne ». Avant d’en venir à une éventuelle confrontation physique : « S’il veut qu’on se retrouve dans un pré à 6 heures du matin avec ses armes, comme dans les siècles passés, je suis son homme. Mais il n’a pas ce courage ».
Parmi les protagonistes visés lors de la réunion de l’UPCR, le président Éric de Cromières faisait à peine moins véhément, dans Le Figaro : « Quand on a aussi peu d’arguments, c’est qu’on n’a pas grand-chose à dire et à opposer de manière objective ».
Surtout, via les relations privilégiées qu’entretiennent les deux hommes avec Bernard Laporte, Mourad Boudjellal soutenait encore son équivalent héraultais. Jusqu’à lundi soir, lorsque la présentation musclée d’Altrad fut celle de trop. Y compris pour Boudjellal, qui n’affiche plus la même mansuétude à l’égard du Montpelliérain. « Un fossé profond s’est creusé entre lui et les autres, il n’a plus sa place dans le rugby tout simplement. C’est l’idée de tous les présidents. Son état d’esprit n’est pas chouette, autant le dire comme ça » résume un président de premier plan en Top 14. Jusqu’au-boutiste dans sa démarche, légitime ou pas, Altrad n’a pas convaincu et fait désormais l’unanimité contre lui. Et la fronde est sérieuse. Mardi soir, lors du comité directeur de la Ligue nationale de rugby, un des acteurs présents a pris la parole en clôture pour haranguer ses collègues, mi-rieur : « On ne va pas se mentir : comment on fait pour le faire tomber ? ». Personne n’a relevé.