MAÎTRE CUBE
On parle peu de Viliamu Afatia. Parce que lui est peu causant, d’abord. Parce que chez les Galactiques du Racing, il n’est surtout qu’un nom parmi tant d’autres. En inclinant très légèrement le nez sur les stats du Samoan, on se rend pourtant compte que le titan de Vaiala, littoral édénique des Samoa occidentales, fut le gaucher le plus utilisé par Laurent Travers l’an dernier en Top 14 et demeure, malgré l’arrivée au club de Vasil Kakovin et la légitimité internationale d’Eddy Ben Arous, le premier choix dudit Toto. Alors, l’entraîneur des avants franciliens n’a jamais dissimulé son penchant pour les gabarits irréels, les présences conjointes de Fa’aso’o, Maka, Johnston, Tameifuna, Le Roux au sein du même pack en sont d’ailleurs la preuve irréfutable. Avec Viliamu Afatia,Travers ajoute néanmoins une vitesse et une explosivité certaines à un tonnage évident (1,80 m et 108 kg)…
Ce qui frappe, lorsque l’on rencontre pour la première fois le gaucher des Samoa, ce sont ces bras d’une circonférence inimaginable, des cuisses tout aussi larges et comme nappées d’un cuir épais, un cou de taureau et un poitrail de catcheur. Au premier coup d’oeil, Viliamu Afatia a tout d’un assassin et n’est pourtant qu’une crème d’homme, un gentleman qui parle d’une voix fluette, tient la porte aux vieilles dames et dégaine d’immenses sourires, dès lors qu’une question l’indispose. Se grattant la tête, il raconte : « Mes coéquipiers en ont assez de me voir sourire. Alors, ils me demandent de durcir le regard et de me jeter sur mes adversaires pour les écraser. » C’est un plan de jeu qui en vaut d’autres, après tout. Et lorsque Vili prend au mot ses coéquipiers du Plessis-Robinson, ça donne des images spectaculaires, des morceaux de rugby sur lesquels se jettent avidement les réseaux sociaux. À l’automne 2017 et six mois après les faits, il suffit donc d’associer Afatia et Médard sur n’importe lequel des moteurs de recherche pour revivre, la rétine dilatée, l’inoubliable raffut du pilier francilien sur l’arrière du Stade toulousain, projeté trois mètres plus loin d’une poussette qui aurait pu tuer un homme lambda.
CIAO, MÉDARD…
Mais que sait-on d’Afatia, sinon ce que ces images veulent bien nous en dire ? Vili, fils cadet d’un agent de sécurité et d’une mère au foyer d’Apia, a quitté l’hémisphère Sud à 21 ans. « Avant ça, dit-il à mivoix, j’avais été capitaine des moins de 20 ans samoans. Un jour, un agent toulousain qui se baladait en ville m’a trouvé costaud et m’a dit qu’un club français cherchait un pilier. » Le colossal Vili a alors débarqué à Agen (2011), parlant un anglais rudimentaire et trois mots de français. En Lot-etGaronne, le gaucher des Western Samoa a passé cinq années de sa vie, mettant à profit sa première expérience hors de son pays natal pour rencontrer Louise, la mère de ses deux enfants (Elijha et Joshua). « Mon épouse est tahitienne, poursuit-il. Nous nous sommes mariés à Agen en 2015. » Depuis, le gentil géant coule une existence paisible, a fait le deuil de ses rêves de Rugby Sevens et maîtrise à perfection la cuisson du « taro », cette drôle de racine considérée aux Samoa comme un stéroïde naturel. Quand Joshua et Elijha le lui demandent, il les conduit dans un parc du PlessisRobinson, joue un peu à Call of Duty (un jeu vidéo) lorsque les petits dorment, culbute les microbes comme Maxime Médard quand il s’agace et, si on lui parle de l’épouvantail clermontois, assure qu’il faudra se méfier de ce « numéro 10 agile » (Lopez) et de cet « ailier très rapide » (Raka). Il conclut, dans un autre de ses sourires d’enfant : « Je ne sais pas quoi vous dire de plus. J’aime ma vie telle qu’elle est et ne la changerai pour rien au monde. »