PASSES EN-AVANT LE FLOU ARTISTIQUE
DEPUIS LE DÉBUT DE LA SAISON EN TOP 14, LA FRONTIÈRE ENTRE PASSE EN-AVANT OU NON N’A JAMAIS SEMBLÉ AUSSI RELATIVE. D’OÙ DE NOMBREUSES INCOMPRÉHENSIONS, ET UNE FAILLE DANS LAQUELLE S’ENGOUFFRENT LOGIQUEMENT LES ATTAQUES POUR FAIRE BASCULER LE RAPPORT D’ESP
Une chatte finirait par ne plus y retrouver ses petits. À force d’aller toujours plus loin dans la simplification de ses si complexes règles, le rugby n’en finit plus de changer. Jusqu’à s’éloigner toujours plus de l’esprit originel ? En ce qui concerne le règlement des mêlées fermées ou spontanées, cela semble une évidence, tant le principe de base qui était l’égalité de chances dans la conquête du ballon se retrouve bousculé. Toutefois, c’est une autre règle de base qui semble de plus en plus de mise : celle de l’en-avant. D’abord parce que les situations d’arrachage, de plus en plus fréquentes lors des plaquages à deux qui voient les joueurs chercher à « ripper » le ballon sont souvent sujettes à l’interprétation. Mais surtout parce que, toujours dans la logique de favoriser le spectacle, le concept de « passe en arrière » pourtant fondamental au rugby, n’a jamais semblé aussi ambigu. Non pas que la règle autorise délibérément à transmettre le ballon vers l’avant, bien sûr ! Encore que parfois, on peut se le demander… Depuis la journée d’ouverture du championnat ou plusieurs passes « limites » ont été validées après arbitrage vidéo (lors de Bordeaux-Bègles — Clermont ou d’Agen — Racing notamment), une tolérance encore jamais observée s’applique sur les pelouses du Top 14, eu égard notamment au grand flou qui entoure la notion de l’orientation des mains du passeur. Dont on ne sait plus vraiment, à force de décisions sans cohérence les unes par rapport aux autres, si les arbitres doivent la prendre en compte en priorité ou non par rapport à la trajectoire du ballon, faussée par la vitesse relative. Cette notion physique qui, pour synthétiser, explique pourquoi deux personnes peuvent se lancer sans problème une pomme de l’avant à l’arrière d’une même voiture lancée à 100 kilomètres par heure, tandis que le même fruit jeté avec la même force et dans la même direction en dehors de l’habitacle atterrira une vingtaine devant l’endroit où il a été lancé… Une théorie qui s’applique d’autant plus difficilement au rugby que les spectateurs et autres caméras sont fixes, accentuant l’impression visuelle d’en-avant…
« ON PEUT GAGNER DE PRÉCIEUX CENTIÈMES ET DE PRÉCIEUX MÈTRES… »
Le truc ? C’est que cette zone de flou fait des heureux chez les entraîneurs de l’attaque. Lesquels n’en finissent plus de jouer avec la règle pour proposer des lancements au cordeau et flirter plus que jamais avec la règle de l’en-avant. « C’est un principe éternel du jeu de ligne : la précision des passes, lorsqu’elles sont réalisées parfaitement dans la course, permettent de conserver un bon tempo et de prendre la défense de vitesse, nous confiait un entraîneur de trois-quarts du Top 14, à la condition expresse de l’anonymat. Donc, en évoluant au cordeau et en jouant le plus étroitement possible entre la passe en-avant ou non, on peut gagner de précieux mètres et centièmes de seconde… Cela est d’autant plus vrai que les attaques d’aujourd’hui créent surtout des différences grâce à des décalages « sur la passe » par le biais d’animations en leurres. Lesquelles permettent de plus facilement troubler la vision des arbitres car les courses ne sont pas rectilignes. » Notamment sur les passes « main-main » qui permettent très facilement au joueur qui arrive à hauteur de gagner très facilement quelques centimètres, lesquels peuvent s’avérer décisifs face à des défenses en « rush ». Mais aussi au moment de décaler un partenaire sur la largeur, sachant qu’une passe légèrement en-avant peut permettre de gagner quelques mètres susceptibles de faire toute la différence au moment de marquer en coin. Quand bien même, de prime abord, elles n’influent sur pas grand-chose, ce qui incite souvent les arbitres à se montrer tolérants… Au nom du spectacle, toujours. Mais de l’équité ? Cela se discute, encore. Difficile en effet de ne pas ressortir ici la vieille théorie de Jean-Pierre Elissalde, selon lequel « 90 % des situations équivoques tournent en faveur de l’équipe qui reçoit, les 10 % restant favorisant le gros par rapport au petit. »
Là encore un des principes éternels du rugby, qui se vérifie à tous les niveaux de pratique, et demeure peut-être l’un des derniers fondements intouchables de notre sport… ■