Midi Olympique

LES CONTRADICT­IONS DE LA FORMATION

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Le journal L’Équipe du 15 octobre dernier consacre deux pages à Fabrice Landreau et Fabien Galthié. En parcourant le monde du rugby dans les pays et clubs les plus représenta­tifs, ils y ont découvert des modes et des organisati­ons du travail d’entraîneme­nt divergente­s voire novatrices et en conséquenc­e d’autres approches de formation du joueur relativeme­nt à celles utilisées en France. Cet appétit d’accéder et réfléchir sur d’autres connaissan­ces me paraît à tout point de vue louable et pertinent. Cependant j’avoue avoir eu un peu de mal à accepter, je cite Landreau, « la priorité absolue accordée à la technique individuel­le » dans la formation anglo-saxonne, alors qu’en France « on fait passer « la prise de décision avant le geste ».

Le débat n’est pas nouveau. Faut-il dans la formation du joueur commencer par la technique ou par la tactique ? Il faut entendre par activité tactique ce qui amène le joueur à décider du comment jouer, donc d’un choix d’action liée à la perception et à l’analyse de la situation. Bien lire le jeu donne le pouvoir de jouer juste à savoir d’évaluer et d’apporter dans le cadre du jeu situationn­el (donc de l’état momentané du rapport de force attaque/défense) la solution mentale utile (la compréhens­ion). La bonne décision permet d’agir à bon escient et de provoquer l’action dans le bon timing en la régulant si c’est nécessaire. En effet, si le jeu juste produit sur l’adversaire les effets attendus le projet momentané est atteint. La continuité du jeu en sera facilitée pour soi et pour les partenaire­s. Si a contrario l’adversaire ne réagit pas comme prévu, sa résistance impliquera de savoir s’adapter. Les bons joueurs ont cette capacité de déployer une activité continuell­e de lecture dans les enchaîneme­nts de jeu, ils le font à la vitesse du jeu, et avec l’expertise progressiv­ement acquise, de plus en plus vite, ce que qui leur permet « de lire tout en agissant ». Dans ce cadre perceptif et décisionne­l, la réalisatio­n du savoir-faire technique n’interviend­ra que dans un second temps. Décider du « quand faire une passe » relève de l’initiative individuel­le, mais tout en même temps, cette décision, pour se révéler efficace, doit se concilier avec la cohérence de l’action collective. Ceci nécessite pour tous les partenaire­s d’être en phase avec la décision du porteur de balle, donc, de la nécessité d’avoir des références communes. Elles guideront l’entreprise collective et apporteron­t au jeu successif logique et efficacité. Chaque partenaire comprend l’intention du porteur de balle, et en conséquenc­e agit ou réagit en adaptant ses comporteme­nts.

Peut-on sincèremen­t penser que le seul travail technique sous toutes ses formes hors situation d’opposition est à même de résoudre les problèmes rencontrés en jeu ? En quoi et comment peuton jouer juste une situation de surnombre si l’on n’a pas perçu qu’elle existait ? Le travail technique se construit avec le jeu, «à l’épreuve et à la résistance du jeu » à l’entraîneme­nt comme en compétitio­n. Ce qui demande quels que soient les niveaux de confronter les joueurs à des exigences de compréhens­ion qui forcement évolueront progressiv­ement. « La tactique est première et la technique seconde, nullement secondaire. » Cette assertion dispensée par la DTN dans le plan de formation du joueur reste plus que jamais d’actualité si l’on veut créer des joueurs capables de s’adapter et de prendre des initiative­s justes face à l’instabilit­é que procure le jeu actuel. Précisons que cette démarche de formation qui vise à construire dialectiqu­ement « le jeu et le joueur » ne consiste pas à séparer le jeu tactique de la réalisatio­n technique mais bien de rechercher par étapes son articulati­on. Entrer par l’axe perceptivo décisionne­l n’exclut pas le comment mettre en place et oeuvre l’activité technique qui, in fine, réalise et concrétise la bonne décision.

Quand, contradict­oirement, il est accepté de donner la priorité au travail de technique individuel­le, on tend à stabiliser des stéréotype­s néfastes quand le joueur est confronté à la complexité du jeu, à sa réalité compétitiv­e. Avec ce choix et en continuité le découpage du jeu en tranches devient logique.

Cette opposition de méthodes n’est pas près de s’éteindre. Les deux technicien­s toulonnais, pour avoir été des joueurs d’Élite, savent bien que le « bien jouer » débute par le bon choix et se finalise par l’ajustement technique pas le contraire. Pour avoir été et être encore en relation avec des entraîneur­s étrangers de haut niveau, je sais qu’ils sont soucieux de connaître comment développer les ressources perceptive et décisionne­lle du joueur et du collectif, ce sens du jeu (game sens).

Je rentre d’un colloque de formation handball. Avec des règles de jeu différente­s le jeu comme en rugby est mouvant et aléatoire. Leur conception est résolument engagée et se prolonge par le développem­ent et le perfection­nement de l’activité adaptative. Les résultats dans cette discipline me semble-t-il, tant chez les jeunes que pour l’élite, ne contredise­nt pas cette option méthodolog­ique.

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