Midi Olympique

LA NATION BRÛLE

L’AFRIQUE DU SUD VIENT D’ORGANISER UN « BLACK MONDAY » DESTINÉ À DÉNONCER LES VIOLENCES QUI SE MULTIPLIEN­T DANS LE PAYS. DANS CES CONDITIONS, COMMENT WORLD RUGBY PEUT-IL DONNER PRIORITÉ À L’AFRIQUE DU SUD ?

- Par Émilie DUDON emilie.dudon@midi-olympique.fr

Le timing n’est pas idéal. Ou si, complèteme­nt. Celaa dépend du point de vue… À la veille de l’annoncee de World Rugby concernant sa recommanda­tionn pour le Mondial 2023, l’Afrique du Sud était mar-rquée par le premier « Black Monday » de son his-istoire, lundi. Le Black Monday, c’est une manifesta-tation née après les meurtres particuliè­rement violents de deuxeux fermiers blancs à Klapmuts, une ville à l’ouest du Cap, et destinéené­e à protester contre les violences qui minent le pays. Un mouve-uvement qui a trouvé relais jusqu’en France, parmi la grande com-communauté de joueurs sud-africains qui évoluent enTop 14 et enn Pro D2. On a ainsi vu des rassemblem­ents de joueurs vêtus de noir à Perpignan, à Montauban ou même à Blagnac. D’autres ont publi-publiqueme­nt affiché leur soutien sur twitter, à l’image du centretre de La Rochelle Paul Jordaan ou de l’internatio­nal tricolore Antonie Claassen.

À Agen, c’est un ancien joueur,Wessel Jooste, qui a réuni plusieurs joueurs pour une photo symbolique. L’ancien troisième ligne du CSBJ, du CO et du SUALG, désormais dirigeant de Nérac (Fédérale 3),voulait absolument tirer une sonnette d’alarme : « Il y a 19 000 morts chaque année en Afrique du Sud (19 016 exactement du 1eravril 2016 au 31 mars 2017, N.D.L.R.). Cela représente plus de 52 morts chaque jour, soit une personne assassinée toutes les demi-heures. L’Afrique du Sud est malade de sa violence et personne n’en parle. La communauté internatio­nale ne fait rien. Nous, nous voulons le médiatiser pour que personne ne puisse dire : « On ne savait pas » . « Ça brise le coeur de voir tous ces meurtres quand tu regardes les actualités, tranquille­ment chez toi, confirme l’ailier springbok Cheslin Kolbe, arrivé à Toulouse cet été. Pour nous qui sommes à l’étranger, c’est important de se rassembler, de réagir. L’Afrique du Sud est dans mon coeur : c’est là que je suis né,que j’ai grandi et que je suis devenu un homme. Je suis fier d’être Sud-Africain mais je suis aussi inquiet. »

CLAASSEN : « JE NE M’ARRÊTE PAS SYSTÉMATIQ­UEMENT AUX FEUX ROUGES »

Si le mouvement a été lancé par des Blancs et semble avoir attisé les tensions raciales dans le pays, les rugbymen français ne veulent surtout pas le limiter à la défense des fermiers blancs : « Il s’agit pour nous de protester contre toutes les violences, assure Antonie Claassen. C’est une boucherie et elle ne touche pas seulement les Blancs. Tout le monde est concerné et les victimes sont de toutes les races. » Le troisième ligne du Racing 92 raconte que quand il rentre chez lui, à Pretoria, il est « très vigilant. Par exemple, quand je suis en voiture, je ne m’arrête pas systématiq­uement aux feux rouges s’il est tard. » Les femmes y sont autorisées par la loi dans certains quartiers des grandes villes. « Vous imaginez un truc pareil en France ? S’étouffe Wessel Jooste. Vous imaginez le foin que ça ferait si les femmes étaient autorisées à griller les feux parce qu’elles risquent de se faire agresser ? » La situation ne va pas en s’arrangeant visiblemen­t. « Mes parents ont une ferme depuis très longtemps et la louent chaque année pendant les vacances, aussi bien à des Blancs, qu’à des Noirs ou des Marrons (c’est ainsi que les métis sont appelés en Afrique du Sud, N.D.L.R.), poursuit Jooste. Mon père m’a dit qu’il ne pensait pas la louer cette année, parce que la situation devient trop chaude. Il ne veut pas prendre de risques. On n’aurait jamais pensé en arriver là. » Au point que les joueurs qui évoluent en France se demandent aujourd’hui s’ils rentreront dans leur pays une fois leur carrière terminée : « C’est une question que je me pose, reconnaît Antonie Claassen. Il ne faut pas tout noircir, dans certains quartiers tout se passe bien, les enfants peuvent faire du vélo et tout le monde est en sécurité. Mais c’est vrai qu’on ne peut pas aller où on veut, comme on le veut. » L’ancien demi de mêlée springbok Ricky Januarie, lui, a choisi : enfant du Cap, il ne rentrera pas dans son pays pour l’instant : « Quand ma femme et mes trois enfants regardent les infos et voient ce qui se passe en Afrique du Sud, ils me disent qu’ils ne veulent

pas rentrer. Et moi non plus. » Le champion du monde, qui a signé à Agen à l’intersaiso­n, était même prêt à jouer en Fédérale pour rester en France.

Dans ces conditions, la recommanda­tion de World Rugby apparaît ubuesque. Comment choisir l’Afrique du Sud dans ces conditions ? Sauf à pousser le cynisme à un point démesuré. Les rugbymen auraient-ils dû se taire pour autant ? « C’est très délicat, avoue Wessel Jooste. Ma réponse, et je parle seulement en mon nom, est de dire que nous donnons juste des faits. Il y a une omerta et cela fait peut-être une mauvaise publicité pour notre pays mais ces 19 000 morts par an existent. Ceci étant dit, on se rappelle que la Coupe du monde 1995 avait été une très grande réussite. Elle avait sauvé l’Afrique du Sud. » Cheslin Kolbe est du même avis. Tout cela ne doit surtout pas empêcher le Conseil de World Rugby de voter pour son pays le 15 novembre prochain selon lui : « Une Coupe du monde est le genre d’événements qui peut rassembler une nation. Ce serait notre meilleure chance de retrouver la paix. » Au risque de faire courir un danger à toutes les équipes et à tous les supporters du monde ?

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Photo Icon Sport Les rues de Johannesbo­urg, théâtre d’une violence quotidienn­e.
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Photo DR Paul Jordaan, le centre de La Rochelle a souhaité, depuis la France, manifester son soutien à ses compatriot­es qui souffrent d’une violence quotidienn­e.
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