Midi Olympique

Au nom du fils

APRÈS DES DÉBOIRES PERSONNELS ET UNE LONGUE BLESSURE, DJIBRIL CAMARA, QUI A ENTREPRIS UNE PSYCHOTHÉR­APIE DEPUIS PLUSIEURS MOIS, EST DE RETOUR À LA COMPÉTITIO­N. IL ASSURE ÊTRE APAISÉ. TÉMOIGNAGE.

- Par Arnaud BEURDELEY arnaud.beurdeley@midi-olympique.fr

Lorsqu’on le croise, comme ça, au détour d’un des longs couloirs du stade Jean-Bouin, Djibril Camara a toujours un large sourire qui éclaire son visage.Depuis la semaine dernière, c’est encore plus vrai. L’arrière du Stade français sait qu’il va reprendre la compétitio­n ce week-end face à Brive. « Il me tarde de retrouver le terrain, dit-il, je n’en peux plus de tourner en rond. » L’internatio­nal, en proie à des problèmes personnels depuis de long mois, entrevoit le bout du tunnel. Il comptait sur le début de saison pour oublier l’épisode tragicomiq­ue du passeport déchiré l’ayant privé de la tournée en Afrique du Sud. Las, il s’est blessé lors de la deuxième journée face à La Rochelle. Diagnostic : déchirure du ligament interne. « C’est arrivé parce que je n’étais pas bien dans ma tête,ni dans ma vie, j’en suis persuadé. »

Djibril Camara est en plein divorce, il ne s’en cache plus. Il lève un voile sur sa pudeur. « J’avais honte d’en parler, mais j’ai entrepris depuis quelques mois une psychothér­apie. Le besoin de me livrer à quelqu’un, de raconter ce que je vivais, ce que je ressentais s’est fait de plus en plus fort.Quand tu te fais traiter de grosse merde à longueur de journée, tu finis par le croire. Mon ex m’a complèteme­nt bousillé, il fallait que j’en parle, que je sorte la tête de l’eau. J’en ai parlé un peu au club mais c’était difficile. À ma psy, je peux tout raconter, elle ne me juge pas. Chaque semaine, elle me retire un poids des épaules. » Sa voix chevrotant­e tranche alors avec ses bras tatoués et son torse cuirassé. Sa fragilité, Djibril Camara a tenté de la dissimuler ces derniers mois. Parce qu’un rugbyman,c’est solide,ça ne pleurniche pas.Lui ne veut pas qu’on s’apitoie sur son sort.Pas le genre du bonhomme. Ses déboires, il veut en faire une force. « Je me nourris de tout ça aujourd’hui pour revenir meilleur, jure-t-il. J’ai la chance d’avoir un petit garçon (Marley, deux ans) qui me donne de la force.Tous les matins, il me demande de jouer au rugby avec lui, me réclame des vidéos de rugby » Et, hésitant, d’ajouter : « J’aimerais tellement que mon fils voit un jour son papa en bleu. »

L’équipe de France, justement, parlons-en. Camara peine à l’avouer mais il l’a toujours dans un coin de la tête. En juin, le sélectionn­eur Guy Novès s’était montré passableme­nt agacé par le comporteme­nt de son arrière. « Je peux le comprendre, souffle le Parisien. Moi aussi, j’étais très énervé de louper la tournée, mais c’était vraiment pour des raisons personnell­es. Ça n’aurait pas été raisonnabl­e d’y participer, pas l’état dans lequel je me trouvais. Je ne sais pas ce qui aurait pu se passer. » Il marque une pause. Souffle. Puis reprend. « Je sais bien que tout le monde a ses propres problèmes. Mais quand ça touche mon fils, je peux partir en vrille. Je pense vraiment, pour le bien de tout le monde, que j’ai eu raison de ne pas y aller car c’était vraiment la merde dans ma vie et dans ma tête. »

SOURCES DE MOTIVATION

Aujourd’hui, Camara se sent mieux. Il le crie haut et fort à ceux qui veulent bien l’écouter. Par le passé, celui qui a grandi dans une cité de Viry-Chatillon avait du mal à canaliser son énergie. Des dérapages, il en a connu quelques-uns.Il ne veut plus les revivre.Au nom de son fils. Mais aussi pour atteindre ses objectifs. « C’est en partie grâce à Guy Novès que j’ai pris conscience de certaines choses, souligne-t-il. J’ai en mémoire une discussion que j’ai eue avec lui lors de ma première sélection au pays de Galles (le 26 février 2016). Je ne veux pas révéler tout ce qu’il m’a dit, mais avec des mots très forts et très simples à la fois, il m’a ouvert les yeux. »

Depuis dimanche dernier, les Bleus sont réunis à Marcoussis pour préparer le test-match contre la Nouvelle-Zélande. Camara, lui, sera sur la pelouse de Brive dimanche. « Mes problèmes personnels sont en passe de s’arranger et je vais tout faire pour retourner en équipe de France, assure-t-il. J’espère simplement qu’on me laissera une deuxième chance. » Il le sait bien, un retour en bleu ne passera que par des performanc­es irréprocha­bles avec le Stade français.Le manager sportif Greg Cooper et Julien Dupuy, l’entraîneur des troisquart­s comptent sur lui pour se muer en locomotive et tirer le groupe vers le haut. « J’ai eu un entretien avec eux en début de semaine, ils veulent un Djibril Puncheur, ils veulent un mec qui montre son envie, sa rage. » Et ce, dès dimanche à Brive, où le club de la capitale, déjà battu à deux reprises à domicile cette saison enTop 14 ambitionne de gagner. Pas simple. Brive joue déjà sa survie, Camara n’a jamais gagné en Corrèze. « Comme d’habitude, le contexte sera hostile, mais j’aime ça, jubile-t-il. C’est un kif pour moi. Me faire insulter, me faire siffler, me faire huer, c’est une source de motivation supplément­aire. » Et d’asséner en guise de conclusion : « Celui qui veut essayer de me faire craquer aujourd’hui, il n’y arrivera pas. »

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 ?? Photo Icon Sport ?? Djibril Camara a vécu des moments douloureux ces derniers mois en raison de problèmes conjuguaux. Aujourd’hui, il puise la force de revenir dans les yeux de Marley, son fils, et dans une psychothér­apie qu’il a entrepris pour chasser ses vieux démons.
Photo Icon Sport Djibril Camara a vécu des moments douloureux ces derniers mois en raison de problèmes conjuguaux. Aujourd’hui, il puise la force de revenir dans les yeux de Marley, son fils, et dans une psychothér­apie qu’il a entrepris pour chasser ses vieux démons.

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