Midi Olympique

Gaëlle Mignot, en quête de sens

CET AUTOMNE, LA TALONNEUR, QUINTUPLE CHAMPIONNE DE FRANCE AVEC LE MHR, EST DEVENUE LA PREMIÈRE FRANÇAISE À REJOINDRE LE CHAMPIONNA­T ANGLAIS. UN DÉPART POUR SE RELANCER MAIS AUSSI POUR EXORCISER LES FANTÔMES D’UNE NOUVELLE DÉFAITE CONTRE L’ANGLETERRE VENUE

- Par Émilie DUDON emilie.dudon@midi-olympique.fr

Le premier jour du reste de sa vie. Le 22 août dernier, quand la France a subi sa septième éliminatio­n en demi-finale de Coupe du monde, Gaëlle Mignot a vu ses rêves de titre mondial partir en fumée pour la troisième fois d’affilée. À peine un mois plus tard, la capitaine de l’équipe de France posait ses valises en Angleterre, à Richmond. Tout est lié : « Si j’avais été championne du monde, ou ne serait-ce que finaliste, la question de bouger ne se serait même pas posée », avait-elle livré sur rugbyrama.fr à la fin du mois de septembre. Trois semaines plus tard, dans les travées du Stoop stadium où elle venait assister au match de Champions cup entre les Harlequins et La Rochelle, la joueuse de trente ans s’expliquait : « J’ai eu la chance de gagner beaucoup de titres. Le seul que je n’ai pas, c’est celui de championne du monde. C’est vraiment un manque. Si j’avais passé ce cap, j’aurais mis un gros frein sur le rugby et me serais réorientée vers ma vie profession­nelle. » Au point de partir en retraite ? « J’aurais mis beaucoup moins d’investisse­ment qu’actuelleme­nt, en tous les cas. Après, aurais-je été capable de ne pas jouer au haut niveau, juste pour m’amuser ? Je ne sais pas. » Gaëlle Mignot ne sait pas faire les choses à moitié. C’est elle qui le dit. Et c’est un problème visiblemen­t. « Préparer la Coupe du monde m’a coûté six mois de préparatio­n très intenses. Je me levais à 7 heures le matin, partais au travail, m’entraînais entre midi et deux, prenais seulement une demi-heure pour déjeuner, m’entraînais à nouveau le soir et quand je rentrais à 22 heures, il fallait manger et faire mon sac pour le lendemain. Au bout d’un moment, on fatigue, on n’est pas agréable avec les gens autour… À Noël par exemple, je descendais dans ma famille mais ça pouvait être un moment de conflit parce que même si j’en profitais, il fallait que j’aille courir le lendemain à 8 heures. Même pour les proches, cela demandait des sacrifices. » Pour rien au final. Ou presque. « Ça a été dur. Très dur. Mais je n’ai pas vraiment eu envie d’arrêter. J’ai trente ans et ce n’est pas fini pour moi. J’ai changé de club pour me « rebooster », me mettre en concurrenc­e et ne plus avoir le statut de Gaëlle Mignot, la capitaine de l’équipe de France. » Pour comprendre, aussi. Ces défaites contre l’Angleterre lors des deux dernières demi-finales mondiales la hantent. « Non pas qu’il y ait quelque chose de fascinant chez les Anglaises, je ne crois pas qu’elles sont meilleures et qu’on n’y arrivera jamais. Mais je suis venue chercher des réponses, voir comment ça se passe, comprendre pourquoi elles parviennen­t à toujours être au niveau lors des gros événements. Ce que j’ai trouvé, pour l’instant, est très différent de chez nous. »

En Angleterre, la Fédération a décidé d’investir dans le rugby féminin. Elle a financé dix clubs d’élite qui ont trois ans pour que leurs joueuses deviennent totalement profession­nelles, sans montée ni descente durant ce laps de temps. Richmond en fait partie. Pour cette première année, les joueuses doivent encore avoir un emploi en plus du rugby. Déjà éducatrice pour le club de Montpellie­r, Gaëlle Mignot enseigne le rugby dans les écoles alentour et dans son club, aux filles aussi bien qu’aux garçons. Elle est également devenue coach des avants pour son équipe et devrait intervenir auprès de l’équipe une masculine également. Elle qui se destine à devenir entraîneur emmagasine un maximum d’expérience : « Je suis venue m’intégrer autant que possible à la culture anglaise pour m’ouvrir à d’autres méthodes. Il y a plus de rigueur ici. C’est très physique aussi. On fait de la musculatio­n tous les jours… Mais on la fait avec les garçons, puisque nous partageons nos plages d’entraîneme­nt, hormis celles de rugby pur. L’ambiance n’a rien à voir. Pour le président, il n’y a pas de différence entre les filles et les garçons. Les seniors regardent les matchs des filles en entier et on fait la fête tous ensemble en suivant. »

MEMBRE DU COMITÉ DIRECTEUR DE PROVALE

L’intégratio­n, semble-t-il, n’a pas été longue à se faire. Après le bizutage de rigueur et un drôle de clin d’oeil de la troisième ligne de l’Angleterre Alex Matthews, qui l’a accueillie en portant le short de l’équipe de France, la Française a vite imposé son charisme : « C’est pour ça que nous sommes allés la chercher, livre Alain van West, français et entraîneur adjoint à Richmond, à l’origine du partenaria­t entre le club anglais et Montpellie­r, qui a permis à la capitaine des Bleues de vivre cette aventure. Gaëlle a déjà livré tout ce que l’on attendait d’elle en termes d’expérience et de profession­nalisme. En tant que joueuse, elle a très vite compris et exécuté le système de jeu que nous souhaitons mettre en place et quand l’équipe une n’a pas de match, elle demande à jouer avec la réserve. En tant que coach, les joueuses bénéficien­t déjà énormément de ce qu’elle fait pour elles. Elle est très précise dans son approche et participe pleinement aux réflexions sur la stratégie, sur la technique ou sur les compositio­ns de matchs. »

Une nouvelle fois, Gaëlle Mignot montre la marche à suivre. En s’investissa­nt à fond, comme toujours. Chaque jour, elle fait une heure et demie de trajet (deux fois quarante-cinq minutes) pour aller s’entraîner. Des journées à rallonge, encore mais elle ne fatigue pas. « Tout ça me secoue un peu mais me fait du bien. Cette venue en Angleterre était une énorme opportunit­é. Ça fait plaisir de voir qu’on donne de la place aux filles. En France, certaines sont encore obligées de décliner des sélections en équipe de France parce que leur employeur refuse de les laisser partir. Les choses bougent mais il reste beaucoup de choses à faire. » Là, c’est la syndicalis­te, membre du comité directeur de Provale, qui parle. En France, le rugby féminin n’est pas près d’être profession­nel. Le président de la LNR, Paul Goze, l’a rappelé aux joueuses qui lui ont posé la question lors de l’AG du syndicat des joueurs, le 18 septembre dernier. « Nous sommes sorties de cette réunion découragée­s, reconnaît-elle. Quand tu entends dire qu’on verra dans cinq ou six ans…Tu es dépitée, forcément. Mais qu’est-ce qu’on fait alors ? On s’apitoie sur notre sort ou on montre à tout le monde qu’on peut y arriver ? Je ne sais pas comment mais on va y arriver. Nous sommes des battantes, c’est ce qui nous caractéris­e. »

Leader de combat, sur et en dehors du terrain. La bataille d’Angleterre, elle ne la livre pas seule, mais accompagné­e de son ami, Mathieu, qui a démissionn­é de son poste de restaurate­ur et quitté son Montpellie­r natal pour la suivre en Angleterre. « J’ai la chance de vivre avec quelqu’un qui comprend ce que je vis et qui m’a soutenue durant toute la Coupe du monde, même si nous avons vécu des moments très durs. La décision de venir ici, on l’a prise ensemble pour se relancer. » Un nouveau départ, à tous les sens du terme, pour exorciser les vieux démons et revenir plus forte dans un an. Normalemen­t. « J’ai pris une année sabbatique et je suis censée reprendre le travail à Montpellie­r le 25 juin. On verra bien ce qui se passera entre-temps… »

« Je suis venue chercher des réponses, comprendre pourquoi les Anglaises parviennen­t toujours à être au niveau lors des gros événements » Gaëlle MIGNOT Talonneur de Richmond « J’ai pris une année sabbatique et je suis censée reprendre le travail à Montpellie­r le 25 juin. » Gaëlle MIGNOT Talonneur de Richmond

 ??  ??
 ?? Gaëlle Mignot, ici à droite avec Chloe Butler sa coéquipièr­e sous son nouveau maillot, celui de Richmond, n’a pas tiré de trait avec l’équipe de France dont elle fut la capitaine lors de la dernière Coupe du monde. Photos Midi Olympique et DR ??
Gaëlle Mignot, ici à droite avec Chloe Butler sa coéquipièr­e sous son nouveau maillot, celui de Richmond, n’a pas tiré de trait avec l’équipe de France dont elle fut la capitaine lors de la dernière Coupe du monde. Photos Midi Olympique et DR
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France