« Un jeu au pied long peut être dangereux »
L’ANCIEN SPÉCIALISTE DU JEU AU PIED DU XV DE FRANCE POSE LES CONDITIONS D’UNE RÉUSSITE DANS CE SECTEUR DE JEU.
Comment l’équipe de France peut-elle s’assurer une meilleure occupation du terrain et surtout de meilleures sorties de camp ?
Le jeu au pied d’occupation, les sorties de camp, c’est une histoire de notion de risque. Dans un passé récent, on organisait toujours un ou deux temps de jeu pour mettre le botteur dans les conditions optimales et organiser une montée défensive efficace. Aujourd’hui, on se rend compte aussi qu’un long jeu au pied, même si la ligne défensive est en place, permet à l’équipe adverse de contre-attaquer avec de la vitesse, de revenir dans les quarante mètres facilement. Conséquence : la pression est toujours là. Évidemment, trouver une « petite touche » et permettre à l’adversaire de lancer le jeu dans les 30 mètres, c’est aussi dangereux. La notion de défendre sous pression demeure.
Quelle est alors la solution ?
Quand on joue les grosses équipes comme les Blacks ou l’Afrique du Sud, on prend moins de risque à organiser quatre ou cinq temps de jeu dans les 22 mètres, en jouant une séquence d’animation offensive structurée permettant d’avancer d’une dizaine de mètres. L’idée, c’est ensuite, soit d’amener le ballon dans le couloir des 15 mètres et organiser un jeu au pied du demi de mêlée « dans la boîte » pour disputer le ballon, soit utiliser une « chandelle » de l’ouvreur à partir d’un ruck plus axial, mais toujours dans l’idée d’imposer un duel aérien à la retombée. Dans cette situation, soit l’équipe récupère le ballon, soit elle met sous pression l’adversaire. Pourquoi ? Parce que c’est en général un ballon lent dans une zone de terrain qui permet d’avoir une ligne de défense sur la largeur bien organisée.
Mais l’équipe de France a-t-elle aujourd’hui les moyens d’organiser de telle situation de jeu ?
Oui, parfois elle le fait très bien. Évidemment, il existe d’autres solutions. En fonction de ce que proposeront les Boks, selon s’ils sont dangereux à partir de touche sur les contre-attaques, la stratégie sera différente. Le staff prendra aussi en considération le placement des ailiers et du troisième ligne centre dans la couverture du terrain. Tout ça doit être pris en compte. La stratégie du jeu au pied dépend vraiment beaucoup des forces et des faiblesses de l’adversaire.
Quels sont les effets pervers du jeu au pied long ?
Un jeu au pied long offre la possession à l’équipe adverse. Et ça peut se retourner contre soi, surtout si la suite n’est pas anticipée. Pour moi, avoir un jeu au pied long contre ces équipes, ça peut être dangereux. Ils ont des triangles du fond très performants. Même avec une bonne organisation défensive, c’est toujours risqué de se retrouver à défendre dans son camp très vite. Pour moi, il est moins dangereux de mettre en place un jeu au pied qui reste dans le terrain, avec le demi de mêlée qui tape un « boxkick » dans le couloir des quinze mètres où la possibilité de jouer un contre-ruck est intéressante. Si on tape au fond il faut que ce ballon rebondisse et roule dans un espace bien dégarni. Un espace qui donne du temps à la ligne défensive de s’organiser dans le camp adverse.
En quoi la qualité du jeu pied tricolore sera importante face à l’Afrique du Sud ?
Le jeu au pied est une des forces traditionnelles des Springboks, d’autant plus que cette équipe est toujours très bien organisée défensivement après du jeu au pied. Je suis convaincu qu’il y aura bien plus de jeu au pied que samedi dernier contre la Nouvelle-Zélande et que ce secteur de jeu aura plus d’importance dans le sort de la rencontre. La France peut vraiment prendre l’ascendant dans la rencontre grâce au jeu pied. Je vous donne un exemple : même si l’équipe de France domine la mêlée australienne, ça ne lui permettra pas de faire douter les Wallabies. Pour les Australiens, la mêlée n’est pas essentielle dans leur organisation. Or, si la France a un jeu au pied plus efficace, plus précis que les Sud-Africains, ce sera un facteur déterminant car c’est un paramètre important dans le jeu et dans l’ADN de cette équipe sud-africaine.