AMATEURISME MARRANT
APRÈS LA LOURDE DÉFAITE DE LEURS AÎNÉS AU STADE DE FRANCE (38-18), LES JOUEURS DE « L’AUTRE ÉQUIPE DE FRANCE » ONT OFFERT UN VISAGE BEAUCOUP PLUS SÉDUISANT, APRÈS QUATRE JOURS D’UNE PRÉPARATION FRANCHEMENT GALÈRE AUTOUR DE LAQUELLE ILS SE SONT SOUDÉS. UNE
Les Bleus étaient franchement souriants, au sortir de leurs vestiaires lyonnais. Avant eux, à l’auditorium du Groupama stadium, Guy Novès avait aussi pu lâcher quelques rictus de satisfaction, enfin, en conférence de presse d’aprèsmatch. Pourtant, le XV de France s’est une nouvelle fois incliné (23-28), face aux All Blacks, dans une rencontre dont on peine encore à bien mesurer l’intérêt. Il se trouve certainement à mi-chemin entre une finale de Coupe du monde et un jubilé du genre : « Le XV du président vs Les amis de l’andouillette ». Reconnaissez que c’est vaste.
Mais mardi, malgré le flou qui entourait cette rencontre, tous craignaient une sainte rouste. Des entraîneurs aux supporters. Jusqu’aux joueurs qui, à demi-mot après la rencontre, confiaient leur soulagement d’avoir rivalisé. La défaite de cinq points (seulement) avait finalement des airs de petite victoire. Surtout, le comportement de cette bleusaille était apparu plus que digne du maillot. Et ça faisait du bien à tout le monde. « On nous a beaucoup rappelé que ce match n’avait pas valeur de sélection. Mais sélection ou non, quand tu as le coq sur le coeur, que tu chantes La Marseillaise et que tu vis ton premier Haka, comme c’est mon cas, tu te fous pas mal de la sélection. Pour la plupart d’entre nous, c’est un match qui nous marquera à vie », s’enthousiasmait Jonathan Danty, derrière le cordon de sécurité, avant de sauter dans le bus des Bleus qui ramenait tout le monde vers le Sofitel de Bellecour.
DES ENTRAÎNEMENTS À NEUF
Présentée comme une franche galère, sans moyens et sans temps de préparation, cette rencontre lyonnaise s’était-elle soudainement transformée en douce sinécure ? Pour ceux qui l’envisageraient,
Yoann Maestri a rapidement mis les choses au clair : « On s’est carrément sentis délaissés ! Tu arrives le samedi à Lyon, à treize joueurs. Quelques autres te rejoignent le dimanche. On ne peut pas dire que ça fait pro. Jouer dans ces conditions de préparation, même si ça ne comptait pas pour une cape, c’est incroyable ! » Les conditions « incroyables », c’est un groupe arrivé en trois temps, entre vendredi et dimanche. Un joueur appelé en plus (Jérémy Sinzelle), au cas où et renvoyé chez lui dès dimanche. Deux entraîneurs habituellement détachés à la défense (Gérald Bastide) et à la technique individuelle (Jean-Marc Béderède) qui se sont trouvés propulsés, pour cinq jours, responsables des avants et trois-quarts. Un staff médical fédéral occupé au CNR Marcoussis, suppléé par le coup de main amical du Lyonnais Jean-Philippe Hager et de son équipe du Lou. En bref : une sensation de grand bricolage, bien loin des standards internationaux. « Nos premiers entraînements se sont faits sans les joueurs du XV de France, débarqués dans la journée de dimanche. Nous n’étions d’abord que 13, puis 18. Il fallait se préparer ainsi. À l’entraînement, les oppositions se faisaient à 9 contre 9 » raconte
Jonathan Danty. « C’était un peu… Particulier ! Et pour travailler les lancements, donc en collectif complet, nous faisions du 15 contre 3. » Henry
Chavancy en souriait lui, timidement : « À certains moments, ça m’a un peu rappelé les préparations des Barbarians. Les bières en moins ».
Ça peut faire rire. C’est aussi un peu pathétique, pour la deuxième fédération mondiale en termes de licenciés.
Plutôt que de s’en alarmer, ces Bleus d’infortune ont choisi d’en faire
une force ponctuelle. « Tout le monde nous promettait l’enfer, s’attendait à notre belle branlée. On s’est servi de la problématique du temps et des conditions de préparation pour mettre l’accent sur le groupe et sur l’état d’esprit » confirme Henry Chavancy. « De toute façon, dans ces conditions, parler de projet de jeu aurait été un bien grand mot,
poursuit Danty. Nous l’avons énormément restreint : quatre combinaisons après mêlées, quatre après touche et voilà tout. On s’est dit : « on va faire vite et simple. Et ça va dérouler ».
POINTUD : « IL Y AVAIT 60 000 PERSONNES ET J’ESPÈRE QU’ON LEUR A DONNÉ DU PLAISIR »
À Lyon, les Bleus ont donc axé leur performance sur les fondamentaux ancestraux du rugby français. Ce socle indispensable de « valeurs » (sic) qui a longtemps fait sa force mais qui, a force de s’en contenter, a fini par l’éloigner des standards du haut niveau. Cette fois, imposé, il leur est venu en secours. « On savait qu’on venait en bricolant. Il fallait être redoutable en défense et en cohésion, reconnaissait Maestri. On n’avait le temps que de faire des choses très simples. Il fallait s’y lancer à 100 % et être redoutables en défense pour essayer d’enrayer leur machine. » Avant le match, le discours du capitaine toulousain s’est d’ailleurs nourri de cela.
« Yoann, a priori et vu son expérience à l’étage au-dessus, aurait dû être le premier à espérer se servir de ce match pour retrouver les Bleus, pour des matchs officiels. Pourtant, il a insisté sur la nécessité de jouer pour l’équipe, pour le plaisir, pour le maillot mais surtout pas pour une considération personnelle. Et que si l’ambition personnelle nous venait un moment en tête, il n’y avait qu’une chose à se dire : sur un tel match, avec une telle préparation, on ne peut que marquer des points. Personne n’en perdra », racontait Danty. Effectivement, personne n’en a perdu. Parce que la base du rugby, le combat et la solidarité, furent respectés. Les talents individuels ont fait le reste, dans une rencontre à la pression minorée et, par effet de dominos, l’esprit d’initiative libéré. Ce fut, en substance, le discours avant le match du staff.
Yannick Bru et Jeff Dubois, arrivés mardi seulement en milieu de journée, sont restés en retrait. Guy Novès, débarqué la veille, une fois le travail du CNR accompli, est allé à l’essentiel : le plaisir et l’honneur. « Jouez au rugby, amusez-vous et respectez ce maillot. Arrêtez de réciter, sortez des structures et prenez ce rugby à votre compte. Voilà, en résumé, les messages qu’ils nous ont transmis. C’était plaisant comme discours » apprécie Jonathan Danty.
Un sentiment général que Lucas Pointud, dans son franc-parler habituel, résumait finalement bien : « Faut replacer les choses dans leur contexte : on se retrouve à une vingtaine de mecs, pour une aventure de quelques jours seulement, et on sympathise. Si on commence à se filer une migraine pour jouer avec un ballon, tout devient compliqué… La vie est déjà assez dure en dehors. Pas spécialement pour nous, mais il faut respecter ça et les gens qui étaient venus nous voir. Il y avait 60 000 personnes et j’espère qu’on leur a
donné du plaisir. C’est finalement la seule chose qui compte. » Du joyeux bordel qui a balayé ses quatre jours à Lyon, le XV de France a vu naître une pointe de lumière au bout de son chemin. Mais le dit bordel, c’est sa limite, ne suffira jamais à voir se lever un jour franchement heureux.