Midi Olympique

L’ENFANT DE ZWIDE

AU STADE DE FRANCE, SIYA KOLISI FUT L’UN DES RARES JOUEURS À ÉCHAPPER AU MARASME D’UN MATCH INDIGENT. RETOUR SUR LE PARCOURS HORS-NORMES D’UN JEUNE HOMME À PART…

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

L’urbanité avait de quoi surprendre. « Bonjour, je m’appelle Siya », a-t-il simplement annoncé avant qu’on ait pu lui poser la première question. On lui a alors dit connaître son prénom, les grandes lignes de son parcours et même une grande partie de sa vie. Pris de court, le capitaine des Stormers a tiré les plis de son costard vert bouteille, fait des yeux ronds et sourit. « Les Français me connaissen­t un peu, vraiment ? Et sinon, le match vous a plu ? » Passé le badinage, le flanker des Springboks (26 ans, 27 sélections) s’est penché sur la rencontre. « Après la défaite à Dublin (38-3), nous nous sommes mis dans une bulle et le message du coach a été clair : nous devions nous adapter au plus vite au rugby de l’hémisphère Nord, gagner les collisions et être supérieurs à nos adversaire­s dans le jeu au pied d’occupation. » Sur ce point précis, mission accomplie.

Le reste ? Il l’évacue dans un sourire triste, qu’il appuie d’un haussement de sourcils : « World Rugby a choisi un autre pays que le nôtre pour organiser le Mondial 2023 et la nouvelle nous a mis un vrai coup sur la tête, mercredi dernier. La Coupe du monde avait tellement été bénéfique au pays en 1995 que nous rêvions tous de connaître la même chose. Malgré tout, je n’oublie pas que la dernière fois que les Français ont organisé un Mondial sur leur territoire (2007), les Boks l’avaient gagné… » Siya Kolisi, deux franchisse­ments face au XV de France samedi soir, nous lance un clin d’oeil et se marre. Lui ? Il a vu le jour à Port Elizabeth en juin 1991, soit quelques mois après la sortie de prison de Nelson Mandela.

Lorsqu’elle accoucha de Siya, sa mère avait 16 ans et était encore lycéenne. Pour des raisons évidentes, le nourrisson fut aussitôt placé chez sa grand-mère paternelle. Dans le township de Zwide, qui recensait 132 000 habitants en 2014, Kolisi vécut les premières années de sa vie dans un étroit deux pièces qu’il partageait avec quatre autres enfants. Là-bas, le capitaine des Stormers dormait à même le sol et souvent, le seul repas de sa journée était constitué de la tartine au beurre de cacahuètes que lui offrait la cantine de l’école. « Parfois où ma grand-mère ne mangeait pas pendant deux jours, confiait-il récemment à nos confrères d’Union Sports. Parce que tout ce qu’elle avait, elle nous le donnait ». À Zwide, la vie quotidienn­e ressemblai­t à celle de n’importe quel ghetto d’Afrique du Sud, shoots de colle, pauvreté extrême et guerre des gangs… « C’est bizarre, dit-il aujourd’hui. Mais j’ai eu une enfance plutôt heureuse. Au township, je ne ressentais pas l’apartheid. Pour moi, c’était juste l’Afrique du Sud, celle que j’avais toujours connue. En quoi était-on différent, alors ? Nous étions pauvres, c’est vrai. À Zwide, je n’avais pas de jouet. À 7 ans, je m’amusais avec une vieille brique en prétendant que c’était une voiture de course… » Relativeme­nt paisible au départ, l’enfance du flanker des Boks fut dès 2003 marquée par un drame familial. « À 12 ans, je devais prendre soin de ma grand-mère, qui était tombée malade. Je l’accompagna­is dans le quartier en promenade, la lavais, la mettais au lit. Un jour, alors qu’on était dans la cuisine, elle est tombée. Je l’ai allongée sur le canapé, ai tenté de lui parler. Mais elle ne répondait plus. Lorsque le pasteur est arrivé, il m’a dit qu’elle était morte… »

UN DRAME FAMILIAL

À Zwide, c’est par l’entremise d’un vieil oncle que Kolisi a commencé le rugby, sous les couleurs de l’African Bombers, le plus gros club du township. Rapidement repéré par un sergent recruteur de la Grey High School de Port Elizabeth, Siya Kolisi faisait alors irruption dans un monde blanc sans parler un seul mot d’anglais (sa langue maternelle était le Xhosa). « J’ai été très surpris en arrivant là-bas, dit-il. Les mecs du township n’aiment pas plaquer. Ce n’est pas qu’on ne peut pas. Mais on n’aime pas. Quand je suis arrivé à Grey, on m’a pourtant demandé de plaquer tous les jours des mecs deux fois plus lourds que moi. J’ai souffert, au départ. Puis j’ai commencé à aimer ça. Aujourd’hui, je préfère même mettre un bon tampon que marquer un essai.»

Son éducation rugbystiqu­e achevée, Siya Kolisi signait ensuite un premier contrat avec la Western Province (2010) avant de participer, un an plus tard, à la Coupe du monde des moins de 20 ans sous le maillot des Baby Boks. « À cette époque-là de ma vie, expliquait-il l’an passé au magazine Union Sports, j’aurais pu être totalement heureux. Un jour où l’on s’entraînait avec les Baby Boks, un ami de Zwide m’a pourtant appelé pour me dire que ma mère était morte après avoir passé trois semaines à l’hôpital. Puis ce fut au tour de ma tante. À 19 ans, les trois personnes les plus importante­s de ma vie avaient donc toutes disparu. Ma mère est morte avant que j’aie pu lui dire « je t’aime ». C’est mon plus grand regret… »

 ?? Photo Midi Olympique - Bernard Garcia ?? Siya Kolisi a souffert avant de s’affirmer comme un redoutable joueur de rugby. Son enfance l’a forgé.
Photo Midi Olympique - Bernard Garcia Siya Kolisi a souffert avant de s’affirmer comme un redoutable joueur de rugby. Son enfance l’a forgé.

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