Clermont dans la légende
Les Clermontois ont patienté, ruminé dans leur hôtel le scénario improbable du report de leur match et tué le temps, comme on peut, toute la journée de dimanche. Avec une constante : la neige. Une bataille de boules de neige, des défis « en slip dans la neige », quelques bonhommes de neige et cette neige, toujours, qui n’en finissait pas de tomber par la fenêtre, quand un groupe se réunissait dans le hall de l’hôtel pour une énième partie de cartes. « Cela restera trois jours inoubliables. […] Il y a des choses imprévues qui créent un groupe, une dynamique » appréciera finalement Franck Azéma. Mais ça, c’était après le match. Parce qu’au bout de ce tunnel d’attente, les Auvergnats ont signé l’un des plus grands exploits de leur histoire européenne, si l’on excepte les phases finales.
La valeur d’une victoire vaut autant par son ampleur que par l’adversité. Il y avait les deux à Londres, lundi soir dans une Allianz Park vidée par le froid, le report du match et une communication très aléatoire des institutions. L’ampleur du score donc, avec 6 essais et 46 points inscrits à l’extérieur. Mais il y avait surtout l’adversité théorique. Sa démonstration (14-46), l’ASMCA l’a livrée sur la pelouse des Saracens. Le double tenant du titre, l’immense favori à sa propre succession et une équipe qui comptait, au coup d’envoi, trois titulaires de la dernière tournée déjà légendaire des Lions Britanniques en NouvelleZélande. Au coup de sifflet final, le manager des Sarries Mark McCall ne s’en remettait pas : « Malgré nos résultats en demi-teinte ces derniers temps, nous ne l’avions pas vu venir ». À sa décharge, personne n’avait vu venir un tel écart, dans absolument tous les compartiments du jeu.
LA MEUTE CONCASSÉE
D’habitude, lorsqu’on se déplace aux Saracens, on se prépare à passer dans la machine à laver. Les Londoniens ont pour habitude de vous broyer, physiquement, jusqu’au point de rupture. Avant de lâcher les chevaux derrière, dans des lancements millimétrés et parfaitement exécutés qui, face à une défense dévastée par le travail de sape, vous achèvent. Il s’est passé cette fois tout l’inverse. « Les Saracens sont connus pour l’agressivité de leur ligne de défense et la pression qu’elle met sur son adversaire. Mais vous ne pouvez jamais jaillir de la ligne si vous perdez autant de duels et que vous reculez constamment aux impacts. C’est exactement ce qui arrive, ce soir », commenta en direct Jacques Burger, ancienne gloire des Saracens, gueule cassée d’un club qui a construit son hégémonie sur la domination physique. Le schéma fut même à l’exact opposé.
La mêlée clermontoise a dépecé son homologue anglaise, pourtant construite de ses meilleurs hommes (Vunipola-George-Koch). La deuxième ligne clermontoise, colossale, a régné sur toutes les zones de rucks. Lapandry a tué dans l’oeuf chaque offensive,Yato a gagné chaque impact offensif et Fritz Lee, au sommet de son art, a fait tout cela à la fois. Dès lors, toutes les planètes clermontoises étaient alignées. Si les Auvergnats ciblent le dynamisme plutôt que la destruction frontale et qu’ils peuvent parfois souffrir dans le défi direct, leurs trois-quarts deviennent rapidement injouables dès lors que leurs avants ont pris l’ascendant physique. Dans le contexte londonien de toute puissance, où les espaces se sont ouverts, la paire Penaud-Fofana a fait des ravages sur chaque prise de balle, parfaitement orchestrée par la science du jeu de Toeava. Et Alivereti Raka, phénoménal, a fini les coups en signant un triplé. Concassée, débordée de toute part la meute des Saracens (c’est ainsi qu’ils s’autoproclament) a fini par subir le plus lourd revers de sa longue histoire européenne. Sur sa pelouse, qui plus est, et après 20 matchs d’invincibilité continentale. Clermont, lui, ne compte toujours pas de sacre continental. Mais il entre un peu plus dans la légende de la compétition, après être déjà devenu en 2015 la première (et unique) équipe française à triompher sur la pelouse de Thomond Park, au Munster.