Midi Olympique

La finale de Top 14 dans les toilettes

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envoie bouler, sans ménagement, ceux qui lui déplaisent. Qu’importent les statuts ou les obligation­s de son métier. « Je parle quand j’en ai envie et quand je me sens bien », confiait-il en marge de la remise de son oscar Midi Olympique, en août dernier. « Ça, par exemple, c’était un moment compliqué. Tous ces gens étaient venus pour moi, ils attendaien­t beaucoup de moi, un long discours. Le seul truc que j’ai réussi à leur dire, c’est « merci. » Je n’étais capable de rien d’autre. Au moins, ils ont vu ma vraie personne. Avec moi, il faut s’attendre à ce qu’il n’y ait parfois rien qui sorte. Tant pis si ça ne convient pas à tout le monde. » Il faut du temps pour apprivoise­r « Vahaa. » Plutôt, il faut lui laisser le temps de vous accepter dans son espace d’intimité. Il peut paraître arrogant à ceux qui ne s’attardent pas sur lui, lunaire à ceux ne lui accordent qu’une attention éphémère. Il est en fait d’une tendresse infinie, enfermée dans un corps de géant. « C’est un taiseux, vous ne m’apprenez rien », s’en amuse aujourd’hui son président Eric de Cromières. « Il faut l’accepter et le respecter, sans s’en offusquer parce qu’il n’y a jamais rien de méchant. On s’en rend compte quand on le côtoie, au quotidien. Mais sa confiance a un prix. »

Quand il l’accorde, quand il consent à vous ouvrir une lucarne sur l’intérieur de sa bulle, le propos de Vahaamahin­a peut vite devenir fascinant. Sur le rugby, par exemple, ou plutôt l’évolution de son jeu et son plan de progressio­n. « J’ai construit une imagerie : j’ai plusieurs vases à remplir. » Le garçon s’exprime de manière lente, méthodique. Tout est construit, logique, presque arithmétiq­ue. « C’est imagé mais je visualise vraiment les vases dans ma tête. Il y a celui de la défense, celui des rucks, de la touche, des attitudes au contact… Il faut les remplir et qu’ils restent à niveau constant, ensuite. En clair, quand je me focalise sur un secteur et que je progresse, je remplis le vase. Ensuite, je bascule sur le vase suivant pour devenir plus complet. Mais il ne faut pas que ça se fasse au détriment des précédents. Je veux des vases qui s’additionne­nt, pas des vases communican­ts. » C’est effectivem­ent imagé, un peu hors du temps et de l’espace. C’est en même temps pertinent et efficace. C’est du « Vahaa » tout craché.

Dans son imaginaire, Sébastien Vahaamahin­a a donc rempli, depuis deux ans, le vase des rucks. Il s’est révélé dans ce secteur, jusqu’à en devenir une référence du genre. Progrès actés. Il s’est depuis tourné vers le vase suivant. « L’attaque. » Mais encore ? « J’aimerais être plus perforant, plus dur à l’impact tout en conservant le jeu debout, après contact. Je connais le chemin à parcourir et l’objectif. Il me reste à l’atteindre. J’ai déjà commencé ce travail. » Dont on devrait bientôt voir les effets. Parce que « Vahaa » ne s’épargne pas. « Ce mec ne sait pas écouter sa douleur ni la communique­r. Il ne sait pas s’arrêter », dit de lui Wesley Fofana, entre fascinatio­n et inquiétude. « Parfois, j’ai joué avec les deux coudes en vrac. Si je suis debout et que je peux courir, je veux jouer », confirme l’intéressé. On repense alors à cette image, en finale de

Coupe d’Europe en mai dernier, lorsque Vahaamahin­a quittait le terrain sur ses deux jambes, tout juste boitillant. Le joueur refusait alors de sortir, finalement contraint par l’encadremen­t médical du club.

Deux jours plus tard, les examens médicaux avaient confirmé une fracture d’un tibia.

L’anecdote faisait sourire son entraîneur Franck Azéma au printemps dernier. « Il sait ce qu’il veut et comment il veut l’obtenir. Quitte à consentir d’énormes efforts. Séb est quelqu’un de très focalisé sur ses objectifs, un personnage un peu à part. » C’est aussi un joueur pour lequel l’entraîneur auvergnat a l’oeil qui s’illumine, à l’évocation de son nom. Azéma le choie, lui réserve les grands matchs seulement et fait tout juste secret de la primeur qu’il donne à son géant des îles, pour la hiérarchie des deuxièmes lignes en Auvergne. « Je ne le fais pas pour ses beaux yeux ! Mais ce que je lui donne, Séb me le rend toujours au double sur le terrain. »

LE PARIA DEVENU ROI

C’est Azéma qui a fait venir Vahaamahin­a de Perpignan vers Clermont, en 2014, quand plus grand monde ne croyait à l’avènement de son talent. Pour tout dire, le deuxième ligne était précédé en Auvergne d’une réputation de « petit con ». En marge du groupe, rejeté par une partie du vestiaire catalan, placardisé par ses entraîneur­s, le Néo-Calédonien avait fini la saison en s’entraînant seul, dans une salle de sport de la cité catalane. « Cette situation, je l’assume en partie. Surtout, je la regrette » reconnaîtr­a plus tard le joueur. « Certains ne m’ont pas fait confiance, comme si je ne valais pas assez à leurs yeux. Je me suis braqué, comme fermé. J’ai tourné le dos au club. Je sais que je n’aurais certaineme­nt pas dû agir ainsi, que je suis allé trop loin. Mais que voulez-vous, c’est mon caractère. Je ne sais pas faire autrement. »

Tout ceci paraît désormais loin. En Bleu comme en club,Vahaamahin­a est passé de la déception à l’énigme, puis l’attraction. Il est aujourd’hui un homme de base des deux entités. Même s’il en refuse l’auréole. « Je n’ai pas envie d’entendre cela. C’est valable en équipe de France et à Clermont : Franck (Azéma) me répète sans arrêt que je suis un joueur cadre de l’équipe. Que je dois me comporter comme tel. Je ne m’en préoccupe pas. »

« Vahaa » fronçait alors les sourcils, se faisait l’oeil plus noir encore, croisait les bras et se renfermait soudaineme­nt. On lui dit que cela n’avait rien d’une insulte, même pas une mise en demeure. Que c’était juste le constat de son statut de joueur incontourn­able, désormais, parmi les équipes les plus prestigieu­ses d’Europe. Il refusait catégoriqu­ement. « Je ne le perçois pas et je n’en ai pas envie. Si d’autres considèren­t que je suis un joueur important de l’équipe, tant mieux. Moi, j’aspire seulement à être sur le terrain. » Le propos date de la fin du mois août. Quelques semaines plus tard, en cours de match avec l’ASM, Sébastien Vahaamahin­a étrennait pour la première fois des galons de capitaine. Absent des phases finales de Top 14, Vahaamahin­a concède ne pas sentir pleinement champion de France.

« C’est différent. Comme pour Wesley (Fofana), qui disait avoir vécu le titre de manière à part. La finale a été un moment dur. On voyait les copains sur le terrain, on aurait aimé être à leur place. Alors, oui, je me considère comme champion de France. J’ai participé à la saison. Mais la fin n’avait pas la même saveur. »

Au coup de sifflet final, « Vahaa » a pourtant explosé de joie en même temps que ses coéquipier­s. Courant sur la pelouse en béquilles, avant de les casser, il a finalement effectué le tour d’honneur dans un fauteuil roulant, poussé par ses coéquipier­s. Surtout, avant cela, Vahaamahin­a avait raté une bonne partie de la finale, puisqu’enfermé dans les toilettes du Stade de France. Bloqué ? Pas vraiment. Il raconte : « À un moment, ça devenait trop dur. Le match était tendu et je ne pouvais rien faire pour aider. Je devenais fou. J’ai quitté la tribune, je suis parti dans les toilettes du stade pour me passer de l’eau sur le visage. Et je suis resté enfermé là pendant un long moment. J’étais seul, c’était apaisant. J’ai laissé passer le temps, j’ai préféré ne pas voir la finale. Je le vivais très mal. Je suis resté enfermé un bout de temps avant de revenir. » Juste à temps pour voir son demi de mêlée, Morgan Parra, arracher un dernier ballon dans un ruck. Enfin, la délivrance.

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