Midi Olympique

LES TOURBILLON­S DE LA VIE

IL FUT UN JOUEUR DOUÉ MAIS TRAHI PAR SON CORPS. LE NOUVEAU MANAGER DE L’UBB S’EST RATTRAPÉ VIA UNE CARRIÈRE DE TECHNICIEN ASSEZ FULGURANTE. À 32 ANS, IL SAVOURE DISCRÈTEME­NT CET AGRÉABLE REVERS DU DESTIN.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Il existe comme ça des périodes où l’Histoire d’un club s’accélère subitement. Personne n’aurait pu imaginer l’été dernier que l’UBB se ferait dépouiller de son manager par une main extérieure De ces périodes de bouleverse­ment intenses surgit toujours un outsider, jeune ou ancien. Celui des Bleus, Jacques Brunel, est un sexagénair­e, celui de Bordeaux-Bègles n’a que 32 ans. Après quelques jours de réflexion à New York, Laurent Marti a donc choisi de nommer Rory Teague manager de son club : nouvelle étape dans un parcours de technicien assez saisissant. Qui se souvenait il y a encore un an de l’existence de cet Anglais de Gloucester ? Rory Teague a pourtant joué pour quatre clubs français entre 2007 et 2011 : Limoges, Tarbes, Aurillac et Grenoble, au coeur du Pro D2. Il en a gardé un Français passable et sans doute la conviction que son destin se jouerait davantage en survêtemen­t que crampons aux pieds.

COUSIN DU GRAND MIKE TEAGUE

Il avait pourtant débuté à 17 ans en équipe première à Gloucester, mais sans y faire son trou. « Oui, je suis fier d’avoir joué pour le club de ma ville, comme mon grand-père l’avait fait avant moi, ainsi que mon cousin Mike même si je suis trop jeune pour l’avoir vu jouer (troisième ligne internatio­nal très connu des années 90, sélectionn­é aussi chez les Lions, prototype du flanker rude, N.D.L.R.). Mais il y avait beaucoup de concurrenc­e et j’ai eu des pépins. Comme joueur, je me suis beaucoup blessé. À 19 ans, j’ai commencé par une pubalgie qui m’a laissé une année sans jouer. J’ai accumulé les pépins jusqu’à mes douleurs à l’épaule. » Il dut se rabattre vers des clubs moins huppés, Bristol d’abord puis la D2 française. Fabrice Landreau, ex-coach de Grenoble se souvient : « C’était un bon demi d’ouverture mais il n’est resté qu’une année chez nous. Il avait une bonne vision, un bon jeu au pied, il jouait plutôt en profondeur. C’est vrai qu’il n’a pas énormément joué (dix matchs, N.D.L.R.) car il était en concurrenc­e avec le NéoZélanda­is Blair Stewart qui attaquait d’avantage la ligne. Je garde un bon souvenir de lui en tant que personne mais c’est vrai que je ne pensais pas le retrouver si jeune au poste d’entraîneur, il a su bien évoluer… » Ironie du sort, Rory Teague faisait partie de l’équipe de Grenoble qui frôla le retour en Top 14 en 2011 battue in extremis en barrages à domicile… par Bordeaux-Bègles. Mais il ne jouait pas ce jour-là. Souffrant vraiment salement d’une épaule, il s’apprêtait à arrêter sa carrière à 27 ans seulement.

DEUX CARRIÈRES SI OPPOSÉES

Pierre-Henry Broncan, qui l’eut sous ses ordres à Aurillac en 2009-2010 n’a pas oublié ce joueur : « Il avait une bonne cote en Pro D2 à l’époque. Il avait fait une excellente saison à Tarbes et je me souviens qu’il devait signer à Agen, un club qui visait la remontée en Top 14. Mais au dernier moment, ça ne s’était pas fait. Son agent m’avait appelé pour me dire qu’il était libre et dans ma voiture, j’avais exulté. Je l’avais tout de suite pris à Aurillac. Avec nous, il avait été titulaire pour les dix premiers matchs de la saison. Il aurait continué s’il n’avait pas dû arrêter sa saison à cause de son épaule. Moi, je le trouvais très offensif et très fiable en tant que buteur et je pense qu’il avait le niveau pour jouer en Top 14, même s’il n’était pas un grand défenseur. Le plus drôle, c’est que quelques années plus tard, je l’ai revu jouer lors du France-Angleterre amateurs, à l’ouverture, il était clairement au-dessus du lot. » De retour dans son pays, Teague avait joué pour Blackheath, le plus vieux club du pays, avant d’entamer l’ascension du très haut niveau par une autre face. Celle de l’entraîneme­nt, avec sans doute la rage d’y vivre ce dont les trahisons de son corps l’avaient privé, même si l’homme n’est pas du genre à l’exprimer par de grandes phrases.

À LA MÊME ÉCOLE QUE WINSTON CHURCHILL ET MARO ITOJE

Il démarra sa seconde vie par la filière scolaire, au sein de la prestigieu­se Harrow School, collège chic par excellence qui a formé Winston Churchill, Lord Byron et même (fictivemen­t) Brett Sinclair dans « Amicalemen­t Votre ». Rory Teague y rencontra une autre étoile, Maro Itoje en personne : « Il était déjà très costaud et très fort dans sa tête. Mais il était aussi capable de se concentrer sur ses études et ça m’a beaucoup impression­né. » L’atmosphère d’excellence de ce vénérable établissem­ent lui a permis, comme à son élève vedette, de franchir la passerelle et de se retrouver dans le monde du rugby profession­nel, celui des Saracens, le club le plus performant du royaume : « J’ai contribué à l’éclosion d’autres jeunes talents comme Nick Isiekwe, Nathan Earle ou Nick Tompkins. »

Rory Teague venait de rencontrer son vrai destin, lui qui, joueur, s’était retrouvé prisonnier d’une logique laborieuse, s’est retrouvé pris dans un tourbillon vertueux : « Oui, je le reconnais, j’ai monté les échelons assez vite et je suis ambitieux », a-t-il expliqué peu après sa prise de fonction. La RFU le repère vite pour lui confier l’entraîneme­nt des moins de 20 ans, champions du monde en 2016. « Je ne vais pas citer trop de références car je crois que j’ai un caractère fort, assez fort pour appliquer mes propres idées. Mais si je dois citer deux gars qui m’ont marqué, ce serait Rick Shuttlewor­th ou Kevin Barring, deux technicien­s de la RFU. En Angleterre, la formation des entraîneur­s est très cadrée. »

REPÉRÉ PAR EDDIE JONES

Dans le milieu, Teague avait commencé à faire son trou. Il lui restait à franchir la dernière limite, la reconnaiss­ance du grand public. Le titre de 2016 lui a offert ce dernier déclic. Oui car c’est vrai que quand son nom est sorti du chapeau pour entraîner les trois-quarts de Bordeaux dans la torpeur de l’intersaiso­n 2017, son nom n’a pas claqué au vent de l’actualité et pourtant Laurent Marti l’a carrément débauché du staff du XV de la Rose, excusez du peu !

En janvier 2017, Eddie Jones en personne avait manoeuvré pour l’inclure à plein temps dans son état major. Il avait entendu dire que Northampto­n lui tournait autour pour remplacer Alex King

(ex-Clermont aujourd’hui à

Montpellie­r) et le boss de l’équipe d’Angleterre voulait garder auprès de lui un gars qu’il venait de tester à l automne 2016. « C’est un très bon jeune entraîneur, très curieux… » avait-il commenté sur le moment. Rory Teague s’est notamment occupé de James Haskell et Ben Teo’o qui lui ont rendu de beaux hommages quant à son travail technique jusqu’à lui donner une paternité sur la relance décisive qui aboutit à l’essai d’Eliott

Daly à Cardiff en ouverture du dernier Tournoi. « C’est Jéremy

Davidson qui nous a soufflé le nom de Rory Teague. Il ne le connaissai­t pas personnell­ement, mais il avait entendu beaucoup de bien de lui. Je lui ai téléphoné et 48 heures après il était à Bordeaux. Nous sommes tombés d’accord au premier rendez-vous, » explique Laurent Marti avant d’ajouter : « Il m’a tout de suite dit qu’il savait bien que sa décision serait vue bizarremen­t, mais qu’il assumait ça totalement. Il m’a expliqué qu’il se sentait jeune et qu’il avait bien le temps de travailler pour une sélection et qu’il préférait s’occuper d’un groupe au quotidien.» Rory Teague nous l’a confirmé : “Je voulais entraîner chaque jour, c’est vrai. En sélection tu ne fais ça que pendant sept semaines. Et puis, je sors d’une période où j’ai changé de psote tous les six mois...”. Le président bordelais sait qu’il prête le flanc à certaines critiques quant au côté british de son staff. « En plus, il compte favoriser l’éclosion des jeunes Bordelais comme il l’a fait chez les Saracens. Il va voir jouer les espoirs, il s’intéresse aux jeunes bien plus que certains Français. » Quel style Rory Teague va-t-il donc tenter d’imprimer à l’UBB. Vendredi après sa nomination, il a évoqué le fameux Graal du rugby français : jouer de la même façon à l’extérieur et à domicile, vaste chantier. « Et ne pas chercher d’excuse, nous devons mettre le même engagement à chaque match. Ceci dit, il n’y aura pas d’énormes changement­s dans notre façon de fonctionne­r. Je m’occuperai toujours de l’attaque et du mouvement général. » On le décrit très fort dans l’approche des détails qui changent une séquence offensive (le replacemen­t par exemple). Laurent Marti ne fait pas mystère des qualités qui l’ont séduit chez son technicien anglais (de plus en plus) francophon­e : « Le pragmatism­e anglo-saxon, » La formule n’est pas creuse quand on sait que le président bordelais se méfie du rugby qui se saoûle de discours trop vertueux basés sur l’offensive à tout va. Le match UBB-Lyon l’a sans doute rassuré. Il fut un modèle parfait de rugby tactique.

« ... Quelques années plus tard, je l’ai revu jouer lors du FranceAngl­eterre amateurs, à l’ouverture, il était clairement au dessus du lot. » Pierre-Henry BRONCAN Coentraîne­ur de Toulouse « Il m’a expliqué qu’il se sentait jeune et qu’il avait bien le temps de travailler pour une sélection et qu’il préférait s’occuper d’un groupe au quotidien. » Laurent MARTI Président de l’UBB

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