Midi Olympique

JUSTE AVANT LA NUIT

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Longtemps, le XV de France fut un embrasemen­t des sens, un romantisme viril, une lumière intime, un événement extraordin­aire dans nos vies ordinaires, le soleil de notre jeunesse et même de notre vie entière. Longtemps, le XV de France fut une équipe de chevaliers, de gais cavaliers, une émotion brute et même, parfois, brut de brutes. Aujourd’hui, dans son effondreme­nt, dans la vulgarité de son entourage, dans son incapacité à gravir quelque obstacle que ce soit au point que même un trottoir paraît trop haut pour lui, la lumière qui l’accompagna­it a fait place à un crépuscule sans fin, dépourvu de la moindre couleur sinon celle, si grise, de l’infinie tristesse. Le voilà entré au panthéon des vaincus, si loin de cette quête d’idéal, de découverte­s novatrices, de fête du regard… Le voilà, visible et invisible, prostré dans ce moment funèbre que l’on nomme entre chien et loup, Serge Simon, pour ce que nous en comprenons, jouant les deux rôles. Qu’est-ce qu’une équipe nationale ? Certaineme­nt pas cet amas de feuilles mortes. Le XV de France était la jeunesse, il est devenu vieux.

Dans son Adios de lundi dernier, Jacques Verdier nous a offert un dialogue avec André Boniface et, à travers ce pur héros des années 60, un échange désespéré avec son frère Guy, mort le 1er janvier 1968, des suites de l’accident survenu sur la nationale 133 qui va vers Mont-de-Marsan, dans un double virage en S. Cette propositio­n était juste et belle. Elle était bouleversa­nte. Encore un ancien, et même un vieux, direz-vous. Oui, et savez-vous pourquoi ? Parce que le rugby est l’un des rares sports de tradition orale, caractéris­tique qui, dans la transmissi­on, ce lien entre les hommes, a participé de sa grandeur. Franchemen­t, que raconterie­zvous du dernier France-Japon, sinon l’intérêt que présentait l’U Arena et le bouleverse­ment sensoriel qu’elle entraîne, bref tout ce qu’a oublié de dire Guy Novès avant cette tragédie de rugby.

L’enterremen­t de Guy Boniface fut un raz-de-marée de larmes, de pluie et de fleurs. L’Adour et l’amour débordaien­t. Deux jours plus tard, Jean-Michel Capendeguy, ailier du XV de France, se tuait sur la route entre Saint-Jean-de-Luz et Bordeaux. C’est dans cet état de détresse que l’équipe de France alla vaincre l’Écosse (68) à Édimbourg, inscrivant même un essai merveilleu­x par André Campaes, après des relais parfaits de Benoît Dauga et Jean Trillo. De quoi rassurer Jacques Brunel, s’il en était besoin, et sa troupe d’adjoints de fortune. D’autant que cette année 1968 fut celle d’un premier grand chelem, des plus inattendus. S’il a été question de commémorer les événements de mai qui, pour ceux qui étaient sur les barricades, renvoyaien­t irrésistib­lement aux rudes réalités d’un sport collectif de combat, la Fédération ferait mieux, plutôt que de diffuser par exemple la photo de Bernard Laporte, spécialist­e des « fautes graves », homme apparemmen­t au-dessus des lois, d’envoyer dans tous les clubs l’image de Walter Spanghero, au retour de GallesFran­ce 68, dansant deux jours et deux nuits avec la très jeune France Gall, décédée ce dimanche, rue Princesse.

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