GUY NOVÈS CONTRE ATTAQUE
MENACÉ D’UN LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE, GUY NOVÈS A SAISI, JEUDI, LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES. UNE DÉMARCHE QU’IL EXPLIQUE, OFFENSIF SUR LE FOND ET MEURTRI SUR LA FORME, DANS UN LONG ENTRETIEN.
« Je pense avoir oeuvré de manière importante pour rapprocher les clubs de la Fédération. [...] Au même moment, la FFR militait en faveur des clubs amateurs »
Vous avez décidé de porter votre contentieux avec la FFR devant le conseil de prud’hommes. Pourquoi ?
Pour la procédure dans laquelle je me suis lancé, il y a un ordre des choses bien établi. Mon conseil le suit à la lettre, de manière à ce que les choses se fassent le plus normalement possible. Les prud’hommes, malheureusement, c’est la fin de la première partie de la procédure. Et le début d’une autre.
La recherche d’un commun accord n’a donc pas abouti ?
Ce n’est pas exactement cela. Dans la procédure, la conciliation fait partie d’un moment. Le fait de s’engager vers les prud’hommes reste malgré tout une nécessité. À ce stade d’avancement de notre dossier, cette saisine des prud’hommes est normale et nécessaire. Si je le fais, c’est que rien ne s’est passé pour que je ne le fasse pas. Pour le moment.
Peut-on envisager que ce recours n’ait jamais de réalité physique, et qu’un accord rompant vos liens contractuels avec la Fédération soit trouvé au préalable ?
On peut tout imaginer. Tous les scénarios sont possibles, compte tenu du dossier qui est devant nous.
Le 27 décembre, vous avez reçu le courrier officiel stipulant l’enclenchement d’une procédure de licenciement. Depuis, quels sont les contacts que vous avez entretenus avec la Fédération ?
Je me suis lancé dans cette procédure, en commençant par une réponse à ce courrier. C’est mon avocat qui a immédiatement pris connaissance du courrier et répondu. Je ne peux pas trop en dire plus.
N’avez-vous plus eu de contact direct avec la Fédération et son président, Bernard Laporte ?
Non, aucun. Je n’ai plus eu Bernard Laporte. Il m’avait appelé la veille de recevoir ma lettre de licenciement. Une discussion correcte. Bizarrement, il avait même l’air embêté. Il a essayé de me faire comprendre qu’il ne pouvait pas faire autrement. Que cette décision était réfléchie, de son point de vue. C’est le seul moment où j’ai échangé directement avec lui. Ce fut une des rares fois, d’ailleurs, au cours de cette dernière année.
Entendez-vous son argument, d’une décision prise contraint et forcé ?
Je ne peux pas l’entendre, c’est une évidence. Il est d’un côté de la barrière, je suis de l’autre. Quand on répète à un joueur « tu es le meilleur, tu es le plus beau mais je ne vais pas pouvoir te faire jouer », il ne l’entend pas. Mais il ne joue pas. Bernard Laporte a décidé de m’écarter. Il a ses raisons, que je ne comprends pas. C’est la raison pour laquelle je vais me battre, régulièrement.
Que leur reprochez-vous, concrètement ?
D’être écarté par la FFR de mon poste de sélectionneur, du jour au lendemain, sans avoir été averti à plusieurs reprises comme cela aurait dû être le cas. J’aurais pu alors m’expliquer sur les éventuelles fautes que j’aurais pu commettre à leurs yeux.
C’est-à-dire ?
On en arrive là en tenant compte uniquement des résultats de l’équipe de France ces derniers mois. Notamment la tournée en Afrique du Sud et les tests-matchs de novembre. Au passage, on occulte totalement le dernier Tournoi des 6 Nations, où l’équipe de France a retrouvé le podium après de longues années d’absence (depuis 2011, N.D.L.R.). Compte tenu de mes deux ans en poste, de ce qu’il s’est passé avec le fait que cette nouvelle gouvernance arrive à la tête de la Fédération, je trouve cela dur. Surtout, ça me tombe dessus du jour au lendemain, sans explication préalable. Cela me choque.
Lors de l’entretien mené par Serge Simon dans le cadre de son audit, n’avez-vous pas pu avancer ces explications ?
Si. Je les ai exposées en présence également de Yannick Bru et Jeff Dubois. J’ai exposé clairement mes explications et même des solutions. Je ne sais pas ce qu’il (Serge
Simon, N.D.L.R.) en a retiré.
Des griefs contre vous, semble-t-il…
Nous avions surtout parlé des conditions dans lesquelles l’équipe de France était placée depuis un certain temps. Des conditions pour le moins compliquées. En amont, j’avais déjà dit qu’on ne pouvait pas imposer un quatrième match, en novembre. Ça me semblait impossible. Je l’ai exprimé clairement et ce match a tout de même eu lieu. Est-ce une façon délibérée de nous empêcher de travailler correctement ? J’espère que non. Sur le terrain, ça a été « oui ». Nous avons été en grande difficulté de préparation durant ces testsmatchs de novembre.
Êtes-vous également entré dans une analyse sportive de ces échecs ?
Non et ça n’avait pas lieu d’être, dans la mesure où c’est Serge Simon qui menait cet entretien. Il n’a aucune compétence dans ce domaine. Le débriefing sportif n’avait de sens que pour le staff que j’anime. Ou, plutôt, que j’animais.
Ces conditions peuvent-elles, seules, expliquer les résultats de juin et novembre ?
On parle d’une défaite d’un point contre les Springboks en novembre, quand on sait qu’il avait fallu jouer un match à Lyon quatre jours plus tôt… Tous les spécialistes du rugby savent que cela ne facilite pas la performance. À Lyon, on avait convoqué des joueurs deux jours avant, pour un match qui n’avait pas valeur de sélection, avec des mecs qui avouent s’être sentis délaissés. Dans ce contexte, les joueurs ne sont pas utilisables pour le samedi qui suit. Et ceux du match précédent, perdu face à la NouvelleZélande, savent automatiquement qu’ils joueront ensuite face aux Springboks. On ne peut imposer aucune remise en question. Sans parler de la semaine de travail où le staff est coupé en deux. On ne passe pas assez de temps avec les joueurs de Lyon et on délaisse ceux de Marcoussis jusqu’au mercredi soir. Les conditions de préparation de l’équipe de France, pendant ma dernière année de mandat, sont celles-là. Il y a eu des ingérences très importantes dans mes prises de position. Quand j’avais signé avec l’équipe de France, la gouvernance avait confiance en moi. Elle me laissait gérer mon travail de manager. Du jour au lendemain, on m’a imposé un certain nombre de données qui, de mon point de vue, étaient néfastes au rendement de l’équipe de France. Dans ces conditions, j’ai donné ce que je pouvais, avec loyauté. Au bout du chemin, on me reproche un manque de résultats. Mon point de vue, construit par 20 ans d’expérience avec un certain nombre de résultats, c’est que les conditions n’étaient pas requises pour arriver à de bonnes performances.
Tout de même, de gros manques sportifs sont apparus dans les performances de votre équipe.
Bien sûr qu’il y avait de nombreuses choses à améliorer. Mais encore une fois, il faut prendre un problème dans sa globalité. Pour les tests-matchs de novembre, un trop grand nombre de joueurs importants manquait à l’appel. Ça influe énormément ! Regardez les résultats actuels d’un des plus grands clubs français, si ce n’est le plus grand…
Vous parlez de Clermont ?
Oui, le Clermont de mon ami Franck Azéma. La lucidité du président de Clermont, ce sera de ne pas dire : « Franck Azéma est devenu mauvais du jour au lendemain ». Il est dans un contexte défavorable, qui fait qu’il ne peut pas dominer actuellement.
Ces conditions que vous dénoncez, les pensezvous établies à dessein, dans le but de vous fragiliser ?
Tel que je me retrouve aujourd’hui, face à un mur, avec une lettre qui reprend un certain nombre de griefs, j’ai effectivement l’impression que c’était cousu de fil blanc. Je suis obligé de le ressentir aujourd’hui. Je ne vais pas dire que j’ai eu la naïveté de ne pas y penser, mois après mois. Je me suis efforcé de penser que j’avais, en face de moi, des gens loyaux. Force est de constater que, finalement, les faits pointent dans un sens inverse.
Quels faits ?
Il y a des rendez-vous qui n’ont pas été honorés. Des ingérences à des moments clés. Un vice-président (Serge Simon,
N.D.L.R.) qui prend la parole dans un vestiaire, après un testmatch, je n’avais encore jamais vu ça. Quand j’interdis à deux joueurs de quitter Marcoussis pour se rendre à une manifestation, que Serge Simon passe quelques minutes après moi pour les autoriser à s’y rendre…
On parle de Jonathan Danty et Djibril Camara, qui avaient quitté Marcoussis pour se rendre auprès de leurs coéquipiers de club lors de l’épisode de la fusion avortée Stade français-Racing…
Voilà. Sur cet épisode, je ne peux pas m’empêcher de penser que mon autorité est bafouée. Immédiatement, tous les joueurs sont au courant de la situation. Et tous comprennent que Serge Simon peut contredire mes décisions, me court-circuiter avec son avantage hiérarchique. J’ai essayé, malgré tout, de continuer à travailler. Malgré la présence de cette personne qui imposait sa vision. J’ai essayé de répondre favorablement à la grande majorité des choses qu’il m’a imposées. Mais j’ai travaillé à contre-courant.
L’idée que Bernard Laporte puisse se séparer de vous avait très vite émergé, dès son élection. Aviez-vous réussi à vous affranchir de cette épée au-dessus de votre tête ?
J’aurais surtout aimé que Bernard Laporte vienne me voir directement. Ce qui n’a jamais été le cas, puisque j’ai toujours eu Serge Simon comme interlocuteur. Dès lors, oui, j’ai senti cette épée au-dessus de ma tête. Je n’ai jamais trouvé cette liberté dans mon travail que j’avais avec René Bouscatel, au Stade toulousain, ou avec l’ancienne gouvernance de la FFR lors de ma prise de fonctions. Et bizarrement, je n’ai pas retrouvé les mêmes résultats. Je me sentais épié, de manière très importante. La confiance nécessaire a toujours été perturbée. Ces conditions ne me convenaient pas. Je suis d’ailleurs persuadé que ces conditions vont changer, après mon départ.
Avez-vous le sentiment d’avoir été pris dans un piège ?
Je n’en ai pas le sentiment. J’ai la certitude que ces personnes-là m’ont piégé. D’un côté, j’entendais « on te soutient ». De l’autre, il y avait un autre discours. Les gens des médias m’ont souvent dit qu’ils ne comprenaient pas ce positionnement ambigu. Je ne pouvais leur répondre qu’une chose : en face-à-face, Bernard Laporte ne m’a jamais dit « tu devrais faire ainsi ». C’est mon président, je devais m’en tenir à transmettre cette information. Plusieurs fois, il m’a dit qu’il souhaitait qu’on se voit en tête à tête, de manière informelle. Il ne l’a jamais fait.
C’est-à-dire ?
Ce fut le cas en décembre mais déjà, en juillet, il m’avait invité pour qu’on se voit. J’étais heureux d’échanger avec l’ancien entraîneur de club, l’ancien sélectionneur et l’ac-
tuel président sur ses idées et sa connaissance de la fonction. J’avais pris cette invitation comme une preuve de réelle confiance. Elle n’est jamais arrivée et s’est transformée en une réunion très formelle, en présence de Serge Simon, de membres techniques de la Fédération et d’une partie de mon staff. Et ce jour-là, on ne m’a fait aucune remontrance.
Dans le courrier qui vous a été adressé, il est question de joueurs « exprimant ouvertement vos fautes de management et le malaise qu’elles provoquent. » Que répondez-vous à cela ?
Je ne peux pas dévoiler ce qu’il y a dans le courrier.
Vos opposants ont avancé ce grief publiquement : vos joueurs vous auraient lâché…
Je pourrais aussi vous montrer de nombreux SMS de mes joueurs, qui disent exactement le contraire. Mais d’autres ont dû jouer le mardi, en novembre, rétrogradés dans une équipe considérée bis. Ils ont eu le sentiment d’être « délaissés » selon leurs propres termes. J’imagine qu’ils n’ont pas dû être très positifs dans le retour qu’ils ont effectué pour l’audit. Je les comprends d’ailleurs. Mais dire que l’intégralité des joueurs ne me suivait plus, c’est aller très vite en besogne. D’ailleurs, est-ce aux joueurs de juger un entraîneur ? Je n’en suis pas sûr. Si on interroge des joueurs sortis du groupe, je me doute que certains griefs me concernant sont remontés. Mais croyez-moi, le nombre de retours que j’ai, pour certains des joueurs parmi les plus renommés, montre que beaucoup ne comprennent pas ce qu’il m’arrive. Qu’ils ne l’affichent pas publiquement, je le comprends. Ils ont une carrière à poursuivre. Quand le capitaine de l’équipe de France m’envoie un SMS, ça me touche. Et je comprends qu’il n’exprime pas son ressenti publiquement. Sa route continue…
Qui d’autre ?
Je ne vais pas les mettre en difficulté. Mais je peux vous assurer que j’ai reçu un grand nombre de soutiens parmi mes joueurs. Je garde précieusement sur moi ces marques de respect et, parfois, d’affection.
On semble vous reprocher une absence physique, à la rencontre des clubs…
J’ai entretenu avec les entraîneurs une relation professionnelle que j’ai voulue forte. Mais quelle est ma vision de ce métier ? J’étais là pour animer un staff qui a mon entière confiance, et tisser une toile d’araignée sur le rugby français. Mon but était de voir le maximum de rencontres et de joueurs. J’ai donc envoyé très régulièrement mes assistants sur le terrain, pendant que j’enchaînais les matchs devant ma télé. Ensuite, on recoupait nos informations et nos analyses. Les membres de mon staff étaient aussi à la rencontre des entraîneurs, pendant les semaines. En tout, on parle de plus de soixante-dix rencontres directes avec les acteurs des clubs. Ensuite, j’ai toujours prévenu personnellement les entraîneurs quand j’allais leur prendre des joueurs. J’ai discuté directement avec tous ceux concernés par des joueurs internationaux. Fabien Galthié, par exemple, en a récemment témoigné. J’ai eu ce type de discussion avec Franck Azéma, Christophe Urios, Ugo Mola, Patrice Collazo, Vern Cotter, Jacques Brunel… Tous ! Même si, effectivement, ils ont dû plus souvent échanger avec mes assistants. C’était ma manière de concevoir mon rôle et mon positionnement. Pendant mon mandat, j’ai aussi permis la création d’un outil informatique performant permettant de faire remonter instantanément toutes les données sur les joueurs que nous souhaitions observer. J’ai assisté à des réunions avec tous les présidents de Pro D2 et de Top 14. Je pense avoir oeuvré de manière importante pour rapprocher les clubs de la Fédération. Il paraît difficile de me le reprocher alors que, au même moment, la FFR militait en faveur des clubs amateurs, en contradiction avec les clubs professionnels.
Patrice Collazo vous a exprimé un soutien public et fort. Y avez-vous été sensible ?
Patrice m’a également écrit, on s’est parlé. Il n’est pas le seul à m’avoir apporté son soutien. Lui a choisi de le faire publiquement. C’est Patrice… (il sourit) Je l’ai eu comme joueur, je sais l’homme qu’il est. Je reviens quelques années en arrière et je me dis que je ne m’étais pas trompé le concernant. Pour revenir à sa prise de position, qu’un entraîneur qui représente un des meilleurs clubs français du moment me dise qu’il me soutient, j’y suis évidemment très sensible. Dans ma position, c’est réconfortant. Et je l’estime d’autant plus qu’il l’a fait publiquement. J’espère qu’on ne retiendra pas cela contre lui, car il a la capacité d’entraîner un jour l’équipe de France. Patrice est un mec loyal. Il l’a démontré et j’espère que c’est encore un argument capital pour prendre en mains l’équipe de France.
En se positionnant ainsi, il ne s’est pas facilité la tâche…
Un jour, j’ai dit non à l’équipe de France. Puis, on est revenu vers moi. Aujourd’hui, Patrice dit à son tour non à l’équipe de France, pour les raisons qu’il a évoquées. J’espère que, un jour, on lui proposera de nouveau. Lui, comme Xavier Garbajosa, en a les capacités.
Vous rappelez que vous aviez dit non aux Bleus, en 2011. Le bon train est-il passé à ce moment-là ?
Je ne suis pas du style à regretter une décision. Ce n’était pas le bon moment, pas le bon train pour moi, particulièrement sur un plan personnel. Tout n’était pas réuni pour que j’assouvisse cette envie de m’évaluer sur le terrain international, avec
un staff que j’aurais choisi. Il n’y a pas de regret à avoir.
Vous avez récemment confié vivre très mal la situation.
Avec l’ouverture du temps judiciaire, êtes-vous reparti de l’avant dans cette nouvelle bataille ?
Je ne suis reparti nulle part. Je suis marqué le matin, le soir, la journée. Je suis marqué, oui, extrêmement. Je considère anormal ce qui m’arrive, après autant d’années de loyaux services auprès des gens pour lesquels je m’étais engagé. Je l’ai fait en équipe de France auprès de la première gouvernance, puis la nouvelle. Il était dit que nous allions travailler ensemble dans une pleine loyauté. C’est ce que j’ai fait. Ce qui m’arrive aujourd’hui, la manière dont ça m’a été présenté et celle dont ça impacte ceux qui m’entourent… (il
marque une pause) Non, je ne suis pas reparti du tout de l’avant.
Vous faites régulièrement référence à votre entourage. On a le sentiment qu’au-delà de votre travail, vous défendez un clan Novès…
Ce n’est pas seulement Guy Novès qui est marqué. Cela impacte ma famille et ceux qui me font confiance, mes amis, ceux qui croient en moi. C’est incompréhensible et violent pour tous ces gens qui savent ce que l’honneur veut dire. Est-ce que je mérite tout ça ? Je me pose la question. Ma femme parle d’un destin. Je ne m’attendais pas à ce que mon destin prenne ce tournant. Celui d’une fin professionnelle brutale. C’est dur à avaler. Je me retourne, je me remets intégralement en question. Est-ce que, pendant, toutes ces années, j’étais un tocard ? Est-ce que ce que j’ai pu construire ne tenait finalement pas debout ? Autour de moi, les gens me disent que non. Mes enfants me disent : « papa, tu as plus gagné que tous les autres. Tu ne peux pas être un tocard ». Mais ça me détruit. Les personnes qui m’ont fait cela ne savent pas à quel point elles m’ont affecté.
Cela peut-il être réparé ?
J’espère.
La procédure que vous enclenchez est une réparation financière. Cela peut-il suffire ?
Cela me choque qu’on puisse me poser cette question. Je la comprends mais elle m’attriste. Je m’étais engagé à travailler pour quatre années. Cet arrêt brutal, à ce moment de vie, pour quelque chose que je considère ne pas avoir commis, doit être réglé matériellement. Le contraire serait inconcevable. Mais si ces choses sont réglées, les dégâts ne seront pas entièrement réparés pour autant. Du côté de l’honneur, j’aimerais qu’il y ait aussi une réparation. Les propos à venir, venant des personnes qui m’ont mis dans cette difficulté, seront importants. Leur capacité à basculer dans une nouvelle ère tout en me respectant sera primordial.
Plus important que la négociation financière ?
Bien sûr. Ma réhabilitation revêt une importance capitale. Je suis choqué qu’on écarte d’un revers de main quelqu’un qui a donné toutes ces années au rugby. Je ne peux pas mériter ça. Attention : je ne demande pas à me faire briller. Je n’ai jamais cherché à me mettre en avant parce que, déjà, je sais que mes succès ont été acquis en équipe. Mais j’ai contribué à faire du Stade toulousain un club référence, le plus titré d’Europe. J’ai commencé comme éducateur dans un lycée, avec des titres de champion de France de ces catégories. J’ai gagné en juniors, participé à décrocher un grand nombre de Boucliers de Brennus. Et pour ma fin, aujourd’hui, on me ferait passer pour un tocard ? Parce que j’ai perdu une série de tests en Afrique du Sud, puis une autre en novembre dans les conditions que l’on sait, on devrait rayer 23 ans de carrière et me faire passer pour un nul ? Oui, je le vis mal. Je ne peux pas dire que je me suis relevé. Je ne suis reparti nulle part.
Quelle que soit l’issue, y aura-t-il un après en ce qui vous concerne au plan professionnel ?
Je suis tellement accablé par ce qui se passe que j’ai du mal à me projeter. Avant de penser à ce que je vais faire demain, je suis extrêmement préoccupé par ce qui m’arrive aujourd’hui. Cette semaine, avec mon épouse qui est à la retraite, j’ai dû m’inscrire sur internet à Pôle emploi. Pour la première fois de ma vie, à 64 ans. J’aurai un rendez-vous physique le 25 janvier. Certains peuvent bien dire que je suis un papy, mais avec le parcours que j’ai eu, est-ce que je mérite cela ? J’espère que mon papa, dans sa tombe, ne se retourne pas. Voilà ma réalité du moment. L’après, j’ai encore du mal à l’envisager. Je pense surtout à me battre dans le présent.
Pourriez-vous toutefois rebondir dans un club ?
Je ne peux pas répondre à cette question. Si je retrouve la totalité de mon honneur, que quelqu’un de qualité me présente un projet de qualité, où je dispose d’une confiance et d’une liberté totales, je regarderai. J’écouterai. Et je répondrai oui ou non. Aujourd’hui, j’en suis loin. Ce n’est pas du tout ma préoccupation actuelle. Quand je croise le regard des gens, je me demande surtout s’ils ne voient pas en moi un tocard.
Après tant d’années, le nom de Guy Novès peut-il s’afficher ailleurs qu’au Stade toulousain ?
Le Stade toulousain a aujourd’hui basculé dans une autre dimension. René Bouscatel a légué la présidence à Didier Lacroix. Une nouvelle organisation sportive se met en place. Guy Novès n’a pas à dire : « je veux revenir au Stade toulousain ». Mon combat n’est pas celui-là. Même si je continue de regarder ce club d’un oeil particulier. Chassez le naturel, il revient au galop ! J’ai vu qu’il avait perdu d’un point, la semaine dernière à Pau. Ce match-là, il n’aurait pas dû le perdre. C’est toute la différence entre une victoire d’un point et une défaite d’un point. Malgré tout, le Stade toulousain n’a pas été mauvais. Il est même reparti dans une dynamique positive. Et j’en serai le premier supporter.
En 2020, il y aura de nouvelles élections à la FFR. Bernard Laporte s’est déjà déclaré candidat à sa propre succession. L’idée émerge que la finalité de votre combat actuel pourrait se trouver là, avec votre candidature. Vrai ?
C’est hors de propos. La question ne se pose même pas. Ma seule préoccupation, c’est que Bernard Laporte comprenne que, ce qu’il me fait aujourd’hui, n’est pas normal par rapport à ce que j’ai fait, ce que j’ai vécu et la loyauté qui a été la mienne durant toute cette année.
« J’ai dû m’inscrire sur internet à Pôle emploi.
Pour la première fois de ma vie, à 64 ans. Avec le parcours que j’ai eu, est-ce que je mérite cela?»