La position du missionnaire
On l’appelle entre nous « le mec de la DATAR », la « Délégation Interministérielle à l’Aménagement du Territoire ». Chez lui, le cinéma est souvent le même : le mec de la DATAR fixe la carte du Top 14 d’un air grave, constate que le « Grand Sud » recense encore l’immense majorité des clubs de l’élite et enrage de n’y voir apparaître Rennes, Strasbourg ou Nancy, des villes où il n’a d’ailleurs jamais foutu les pieds. De fait, le militant de la DATAR ne comprend pas que les autres n’aient pas encore succombé à la beauté de « son » sport, ce rugby qu’il voudrait national ou pire, universel. Lui rêve ainsi d’un Top 14 de mégalopoles, de grands stades sans bourriche, de pelouses sans trous de taupe. Bien qu’originaire du trou du cul de la Chalosse, il a fait sienne la devise de Max Guazzini et condamne, dès qu’il le peut, la consanguinité « du rugby cassoulet ». Son cauchemar ? Une finale de coupe du Monde entre l’Ecosse et l’Irlande. Ses phobies ? Une épopée du Castres olympique, une qualification de Brive dans le Top 6, la résilience d’Agen au plus haut niveau et, comble d’horreur, l’existence même d’Oyonnax. Et merde, quoi… Voici quarante ans que la fédé tente d’implanter le rugby sur des territoires qui ne sont a priori pas les siens. Et quarante ans que les grands projets de Strasbourg, Nantes ou Rennes périclitent en quelques mois. Franchement, est-ce que le hockey sur glace désespère de ne compter le moindre club à Lannemezan ? Est-ce que les caciques de la boule lyonnaise prospectent à Tyrosse ou Gaillac ?
En rugby, peu importe le calice pourvu qu’il y ait l’ivresse. Et si demain, le Castres olympique fête son cinquième titre de champion de France devant la moitié de sa ville, soit environ 15 000 personnes, qu’il en soit ainsi. Jusqu’à preuve du contraire, le rugby est d’abord une affaire de culture, d’identité et d’héritage. Il n’est pas une graine que l’on plante, au gré de l’humeur, en priant le ciel pour qu’elle prenne un jour. Et nous serons tous morts, ma bonne dame, le jour où Brest et Cherbourg joueront la coupe d’Europe. Qu’il en plaise ou non au « mec de la DATAR »…