3 La révolution de Grenoble !
Le rugby de l’époque était vraiment croquignolet. En plein milieu du Tournoi, la FFR avait prévu un match supplémentaire face à une sélection du Sud-Est, dans le cadre des Jeux Olympiques d’hiver de Grenoble. Effort supplémentaire assez incongru demandé aux internationaux, face à des joueurs « régionaux » hypermotivés en plus dans le sillage des deux Cambérabéro, marris d’avoir perdu leur place. On imagine l’état d’esprit des Bleus, désireux de ne pas se blesser et pas conscient du traquenard qui se dessinent. Ils se rendent à Grenoble en voiture, ne trouvent aucun dirigeant pour les prendre en main, mangent au restaurant et sortent un peu la veille du match. Un vrai déplacement de touristes. Le dimanche, ils entrent sur la pelouse les mains en haut du guidon.
Les gars du Sud-Est l’emportent 11-9 et les sélectionneurs, vexés, décident tout simplement de bouleverser l’équipe pour affronter l’Angleterre. Ils osent même se séparer du grand benoît Dauga. Huit changements d’un coup dont la totalité de la première ligne et de la charnière. Gruarin-CabanierAbadie laissent leur place à Noble-Yachvili-Lasserre. Les deux Cambérabéro passent d’une équipe à l’autre, tout comme le pilier débutant Jean-Claude Noble. Le numéro 8 Michel Greffe fera de même à Cardiff avec un match de décalage. Ainsi voguait le rugby des années soixante, entre joyeuse improvisation et petits règlements de compte que le talent des joueurs sublimait. Dans Midi Olympique, on peut lire cette phrase savoureuse (signée Bernard Pratviel) : « En fait les sélectionneurs ont réussi une excellente opération boursière en amenant la vieille garde jusqu’au point de rupture, puis en opérant un bouleversement total avant que le déclin ne se manifeste. » À comparer au discours des entraîneurs modernes qui parlent sans arrêt de leur groupe et de sa cohésion.