C’EST VRAIMENT MARCATRAZ»... «
MARDI DERNIER, QUINZE AGENTS DE LA BRIGADE DE RÉPRESSION DE LA DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ONT DÉBARQUÉ À MARCOUSSIS POUR PERQUISITIONNER LES BUREAUX DE LA FÉDÉRATION. RÉCIT D’UNE JOURNÉE NOIRE...
Pour rire, on l’a toujours appelé « Marcatraz ». Parce qu’en forçant le trait à l’extrême, les hautes murailles du CNR font immanquablement penser à un centre pénitencier. Parce que le mariage entre Marcoussis et Alcatraz, aussi, colle à ce que nous en racontent les Bleus, lorsqu’ils en sont affranchis. Parce que l’éloignement relatif de ce petit village de l’Essonne, distant de 30 kilomètres de la capitale, peut finalement rappeler, à qui aime l’image, l’isolement du rocher d’Alcatraz qui avait jadis hébergé Al Capone. Mardi matin, la réalité a donc rattrapé la fiction et, peu avant 11 heures, deux voitures banalisées de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) se sont présentées aux portes du Centre National du Rugby. Après avoir exposé leur carte de police aux deux personnes de l’accueil, les quinze agents de la BRDE, qui enquêtent actuellement sur des soupçons de favoritisme visant Bernard Laporte, ont alors perquisitionné les locaux de la FFR pendant près de dix heures, quittant Marcoussis peu avant 21 h 15, alors que le CNR s’était vidé de l’immense majorité de ses employés, ses séminaristes en transit, ses journalistes de faction…
POUR BRUNEL, DES DÉBUTS BIEN ÉTRANGES…
Drôle d’ambiance à peine digne d’un polar financier de bas étage où ne se passe finalement pas grand-chose, sinon des interrogatoires menés au coin d’un bureau, une prise d’otage d’unités centrales, des boîtes mails confiquées, des mises sous scellés de documents. Autour des hommes et des femmes de la BRDE, de la stupeur, de la crainte et de rares bravades. « Ce n’est pas parce qu’il y a de la fumée qu’il y a le feu », nous confiait, mardi matin, un employé du CNR. « S’il y avait eu quelque chose à trouver, plaisantait un autre, on aurait eu le temps de le faire disparaître en six mois, vous ne croyez pas ? » Sous cet immonde crachin de janvier, on avait du mal à croire en quoi que ce soit, tant la scène qui se déroulait derrière les stores tirés du bureau de Bernard Laporte, semblait en tout point irréelle et, à bien des égards… Irréelle, parce que le XV de France, dans le building d’en face, préparait son premier match du Tournoi face à l’Irlande. Irréelle, parce que ce premier entraînement ouvert aux médias de l’ère Brunel devait être l’occasion de tourner une nouvelle page. Irréelle, parce les éclats de rire de Danty et Camara, résonnant sur le terrain du CNR, contrastaient sévèrement avec les mines tantôt fermées, tantôt ternes, de salariés tentant de vaquer à leur besogne quotidienne comme si de rien n’était. « Ca fait bizarre, confiait un autre employé. On se serait cru dans un film. On devait répondre à des dizaines de questions, contourner des rubans pour accéder ou pas à nos bureaux... » Un autre, joint mercredi midi par téléphone, allait plus loin: « Il y a de l’abattement. Les services sont ravagés. Tout ce que touche Serge Simon, il le casse. Au CNR, Sébastien Conchy (le directeur général) et lui cristallisent les rancoeurs. » Vérités ? Vengeances personnelles ? Blues de «camouïstes» ? Difficile à dire. Les départs -volontaires ou précipités- se sont néanmoins multipliés en un an dans tous les services. Ailleurs ? Les partenaires historiques de la FFR (Orange, GMF, la Société Générale...) s’inquiètent de la prédominance nouvelle du groupe Altrad et s’interrogent quant à la suite à donner à leur engagement.
Z’AVEZ PAS VU LA TAUPE ?
Alors, le climat est-il délètére au siège de la FFR ? Oui, si l’on en croit les personnes ayant bravé le silence. Pour elles, les absences de Bernard Laporte et de son bras droit Serge Simon au jour de la perquisition (l’un était à son domicile parisien, l’autre à Londres) ont renforcé le sentiment d’abandon dont elles auraient souffert depuis le début des affaires... Dernièrement, une cellule psychologique, joignable sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, a vu le jour au CNR de Marcoussis pour répondre aux besoins de ceux qui font le quotidien de la fédération. Ces derniers mois, une jeune femme du CNR aurait même pris un congé maladie de six mois après avoir été victime de harcèlement moral avant de déposer une main courante contre un élu fédéral pour harcèlement sexuel. Mercredi matin, un autre anonyme de Marcatraz avouait : « Ici, certains cherchent aussi la taupe. On se regarde tous en chiens de faïence ». La taupe, hein ? Si l’on se gardera d’évoquer une quelconque chasse aux sorcières, les dirigeants fédéraux se sont en effet mis en tête de tordre le cou à la personne bien informée, supposément localisée intra-muros et abreuvant certains médias d’informations allant à rebours -doux euphémisme- des intérêts fédéraux. Six mois après les premières révélations, force est de constater que la taupe court toujours. Mais ceux qui la cherchaient il y a encore quelques semaines ont désormais d’autres préoccupations en tête… S’il est difficile de mesurer ce qui sépare aujourd’hui le petit peuple du rugby français d’une fédération présumée innocente mais bel et bien placée entre les pognes de la justice, le climat qui entoure en ce moment l’épicentre de l’ovale hexagonal ne respire pas l’harmonie. À tel point que le soir où les hauts gradés de la FFR décidèrent de fêter la victoire de « France 2023 » sur les quais de Seine, près de Javel, très peu de salariés avaient ce soir-là répondu à la sollicitation de patrons ayant -justement ou injustement, d’ailleurs- réduit leurs invitations pour les matchs du XV de France à la portion congrue. À Marcoussis, le vaisseau amiral tangue, le XV de France lèche toujours ses plaies et Eliane Houlette, la magistrate ayant traité les affaires Guéant, Fillon et Cahuzac, a visiblement décidé de déployer les grands moyens pour faire la lumière sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’affaire Laporte ». On vit une époque formidable…