VERS UNE LONGUE ENQUÊTE
QUE SIGNIFIE CETTE SÉRIE DE PERQUISITIONS ET QUELLES PEUVENT EN ÊTRE LES SUITES ? TOUR D’HORIZON DE CE QUI ATTEND DÉSORMAIS LA FFR.
OÙ EN EST-ON DE L’ENQUÊTE ?
En août dernier, le ministère des Sports ouvre une enquête, confiée à l’inspection générale de la Jeunesse et des Sports, sur les pressions supposées de Laporte en faveur du club de Montpellier. Le 4 décembre, le Ministère a transmis son dossier au Parquet National Financier, estimant qu’il y avait suffisamment d’éléments. Les perquisitions menées mardi montrent que l’enquête a commencé. « On est encore au stade de l’enquête préliminaire », rappelle Maître Simon Le Reste, avocat d’affaires et Docteur en droit du sport. « L’avocat de Bernard Laporte a affirmé qu’il s’agissait d’un « passage obligé dans toute enquête financière en France ». En effet, c’est une procédure plutôt classique quand une enquête est ouverte, notamment pour des infractions financières. Et dans ce cas, les perquisitions se font très vite pour éviter que les éventuels éléments de preuves disparaissent. » « Je rejoins ses propos, poursuit Antoine Semeria, avocat au Barreau de Paris, spécialisé dans le droit du sport. C’est une procédure logique, qui s’inscrit dans la recherche d’éléments de preuve. Le parquet a estimé que ces perquisitions étaient utiles à la manifestation de la vérité. Je pense d’ailleurs qu’il a misé sur un effet de surprise en choisissant le début du rassemblement du XV de France. »
QUE CHERCHAIENT LES ENQUÊTEURS ?
Une trace écrite. « Ils ne pourront pas retracer une conversation téléphonique entre Altrad et Laporte par exemple mais s’il y a délit, des gens sont dans la confidence. Dans ce genre de cas, et cela se vérifie, il y a toujours quelqu’un qui a la mauvaise idée d’écrire les choses », explique Simon Le Reste. Concrètement, les enquêteurs vont éplucher les dossiers version papier mais aussi numérique, notamment les boîtes e-mail, pour essayer de trouver quelque chose de probant. « Le fait de corruption est très difficile à prouver, tempère Antoine Semeria. C’est peutêtre même le plus dur. Car il faut remonter à la genèse de l’histoire pour déterminer le lien de causalité. Or, généralement, ce sont des accords oraux. » Parmi les faits plaidant contre Bernard Laporte figurent les démissions de membres de la commission de discipline de la LNR, qui auraient reçu des instructions de la part du président de la FFR. « Ces derniers pourraient être prochainement entendus », indique Antoine Semeria.
ET ENSUITE ?
Une fois le gros travail d’analyse effectué, le parquet a plusieurs choix. Il peut classer le dossier sans suites s’il considère qu’il n’y a rien de répréhensible ou qu’il n’a pas trouvé de preuves suffisantes. Il peut au contraire renvoyer directement Laporte et/ou Altrad devant le tribunal correctionnel s’il considère qu’il dispose d’éléments suffisants pour le faire. Si les choses sont plus complexes, il va ouvrir une information judiciaire pour pouvoir aller plus loin dans ses investigations. Une enquête approfondie et indépendante sera alors menée par un juge d’instruction, qui va procéder à des diligences, convoquer les parties, éventuellement les mettre en examen, en garde en vue etc. « Pour ouvrir une instruction, il faut des indices graves et concordants », stipule Antoine Semeria. L’avocat poursuit : « À l’issue de l’enquête préliminaire, le Parquet aura le choix de classer le dossier sans suite ou bien au contraire d’engager des poursuites. Dans ce dernier cas, il est possible qu’un juge d’instruction soit saisi dans le cadre d’une information judiciaire. Si une telle instruction est ordonnée eu égard à la gravité et/ou complexité de l’affaire, la procédure pourrait alors être très longue. À son issue, il y aura non lieu ou bien au contraire renvoi du/des mis en examen devant le Tribunal correctionnel. Le fait que l’affaire soit médiatisée ne change rien en principe. » En cas d’instruction, le traitement de ces affaires est généralement compris entre douze et trente-six mois : « Bernard Laporte devrait donc pouvoir finir son mandat tranquillement. »
QUE RISQUENT LAPORTE ET ALTRAD ?
S’il s’agit d’un délit de favoritisme, la peine maximale s’élève à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Le trafic d’influence et la corruption passive sont visés à l’article 432-11 du code pénal, qui prévoit dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. La corruption active, de son côté, est visée à l’article 433-1 du code pénal, qui prévoit dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende. La question, dans ce cas, étant de savoir si Laporte aurait été à l’initiative de la corruption en faisant une proposition à Altrad (corruption active) ou si Altrad en était à l’origine (corruption passive).
EN CAS DE MISE EN EXAMEN, LAPORTE DEVRAIT-IL DÉMISSIONNER DE LA PRÉSIDENCE DE LA FFR ?
Rien ne l’y contraint. Quant à une éventuelle démission de son poste de président de la Fédération française de rugby, Bernard Laporte déclarait dans les colonnes du Parisien le 29 août 2017 : « Jamais. J’irai au bout de mes réformes, dans l’intérêt du rugby amateur et de l’équipe de France, même si cela dérange.»
LE CONTRAT ENTRE LA FFR ET ALTRAD POUR LE MAILLOT DU XV DE FRANCE PEUT-IL ÊTRE REMIS EN CAUSE ?
« À ce stade le contrat n’est pas remis en cause, précise Maître Le Reste. En effet, le nouveau partenariat résulte d’une décision collégiale du Comité directeur de la FFR dans le cadre d’un appel d’offres. Du reste, le groupe Altrad était le seul candidat à l’appel d’offres. Si les conditions de l’appel d’offres ne semblent pas, a priori, contestables, l’accord financier pourrait expliquer aux yeux du parquet les comportements délictueux, mais encore fautil parvenir à rapporter la preuve de ces comportements et c’est tout l’objet des perquisitions. »