ILS L’APPELAIENT TOUS JULES
ILS L’ONT PARFOIS SURNOMMÉ JULES, POUR « JULES VERN ». D’AUTRES FOIS, ILS L’ONT APPELÉ HARRY, COMME « HARRY COTTER ». LES JOUEURS QUI ONT CROISÉ LA ROUTE DE L’ENTRAÎNEUR NÉO-ZÉLANDAIS, À CLERMONT, ONT AUSSI APPRIS À L’AIMER, POUR CE QUE SON MANAGEMENT DE
La voix est rauque de trop de luttes, les mains calleuses, le regard de glace. Deux billes bleues qui vous scrutent, vous dépouillent et vous sondent. Une oeillade, déstabilisante au premier abord et sur laquelle il a appris à jouer, au fil du temps. La première fois qu’Aurélien Rougerie a croisé Cotter, c’était en 2006 sur le parking du Michelin. « Je l’ai appelé coach. Il m’a appelé captain. » Mario Ledesma, lui, l’a pris pour « un cow-boy ». Alexandre Audebert ? Il ne lui avait pas encore serré la main que le Néo-Zélandais lui exposait déjà son point de vue sur « un détail technique », une vétille du système défensif que le fermier de Te Puke souhaitait alors mettre en place, à l’ASMCA. « Je me suis dit : il n’est pas venu pour visiter le Puy de Dôme, celui-là. » Avant même de poser le pied à ClermontFerrand,Vern Cotter savait déjà quel mal rongeait ce club. Au sujet de l’ASM, l’ancien numéro 8 du FC Lourdes avait même mené son enquête : Fontès, Lhermet, Marocco ou Garuet lui avaient tous livré un diagnostic similaire, que synthétise ainsi Audebert : « Nous étions des enfants gâtés. Il y avait, à Clermont, de belles structures, de bons joueurs. Mais nul ne se mettait en danger. On réagissait comme des fonctionnaires.Tant que le salaire tombait en fin de mois… »
SON AUSTÉRITÉ EST UN FARD
Au départ, le plan de Cotter était simple : de cette meute désinvolte et bohème, il ferait des machines. « Je pensais qu’une amélioration rapide passerait avant tout par le physique. La stratégie, les lancements de jeu, tout ça viendrait plus tard. » Alors il les a fait suer. Sang et eaux. Très vite, Sébastien Bourdin, un ancien champion de lutte, reconnu comme une pointure dans le milieu de la préparation physique, est devenu son « bras droit ». « Il a construit une équipe à son image, lâche Audebert. Une équipe dure au mal, laborieuse, besogneuse. D’autres se construisent sur leur seul talent. Nous, on a grandi sur du travail. »
Avant que ses joueurs ne s’approprient totalement le projet de jeu,Vern Cotter dut asseoir son autorité, faire la guerre aux inconscients qui mangeaient la peau du poulet, aux insensés qui profitaient d’une halte sur une aire d’autoroute pour déguster une glace : « Les deux premières années furent très rudes, poursuit Audebert. Il ne nous passait rien. Personnellement, j‘avais toujours eu une approche militaire de ma préparation physique. Ça me confortait dans mes croyances. » Aujourd’hui,Vern Cotter le reconnaît lui-même : jouer ce rôle de monarque omnipotent fut assez traumatisant. « Et pour lui, et pour nous. » Ceux qui côtoient Cotter savent donc que son austérité est un fard. En coulisses, Jules (pour Jules Vern…) est un être délicieux, espiègle, à l’écoute. Plus disert qu’on le croirait au départ. Plus bavard que ne le laisseraient penser ses apparitions rarissimes dans les médias. On peut parler de beaucoup de choses, avec Cotter. Des saveurs si particulières d’un château Pétrus, de surf, de pêche à la langouste, de politique, de religion… De tout, sauf de son club, dont il protège les secrets de vestiaire avec acharnement, mais non sans ironie. Souvenirs de conversations téléphoniques. « Vous cherchez un talonneur ? J’ai lu ça dans Midi Olympique. - On parle de Benjamin Kayser. - Merde, un tunnel… Rappelez-moi à l’intersaison, cher Monsieur ! » Un peu plus tard, un soir d’avril. « Avez-vous trouvé quelqu’un pour remplacer Thibault Privat ? - Secret-défense. - Un indice ? - Oh Flowers of Scotland, when will we see… » Tombé dans le piège tendu par le chasseur de cerfs, persuadé que Richie Gray, et pas Nathan Hines, signerait tôt ou tard à l’ASMCA, on raccrochait…
Reste que Cotter, qui se présente luimême en « globe Cotter », est viscéralement attaché à la France. Il y a joué, y est revenu pour entraîner à Clermont. « J’ai toujours su que ma femme et mes enfants pourraient se plaire en France. » Ils y sont restés huit ans. Il a aussi souffert de l’éloignement, lors de ses trois années en Écosse. Celui avec la France, pas la Nouvelle-Zélande. « Édimbourg ? Ouais, c’est plutôt chouette. Les Écossais sont des gens adorables. Ma famille se sent bien ici. Moi c’est plus dur… » confiaitil voilà trois ans, au détour d’un coup de fil informel. « J’avais déjà vécu cette sensation de manque en tant que joueur, quand j’étais reparti en Nouvelle-Zélande. C’est votre quotidien, vous ne réalisez pas la qualité de votre vie, en France. Les plaisirs de la table, les copains, le climat, le temps que vous prenez pour vivre… ». Il est donc revenu. À Montpellier depuis huit mois, Cotter rentrera pour la première fois à Clermont, ce dimanche, dans un cadre officiel. La boucle sera bouclée.