Midi Olympique

ET APRÈS ?

- Par Benoît GUYOT

On ne pense jamais à l’arrêt. Tant que l’on joue, une seule chose occupe notre esprit : jouer pour être meilleur et être meilleur pour jouer. Tout ce qui concerne la suite passe bien après. On a beau entendre qu’un jour tout s’arrêtera, il est très difficile de s’y projeter, puisque cela signifie que ce pourquoi on travaille si dur aura pris fin. L’arrêt c’est un gouffre, et plus on s’en tient loin, mieux on est. Malheureus­ement cela nous tombera dessus tôt ou tard. Il fut un temps où l’après carrière ne posait aucun problème tant il existait une continuité avec ce qu’il s’était passé pour le joueur lorsqu’il jouait. Les liens noués localement permettaie­nt de rapidement retomber sur ses pieds. Les choses sont bien différente­s aujourd’hui, notamment à cause de la mobilité parfois exacerbées des joueurs actuels. Les carrières sont également plus courtes, ce qui laisse moins de temps pour voir venir les choses. La carrière d’un joueur de rugby profession­nel est tout ce qu’il y a de plus incertain, tant dans le bon, lorsque l’on gravit les échelons, que dans le mauvais lorsque l’on se retrouve blessé ou simplement mis de côté. N’ayant jamais réellement espéré pouvoir faire de mon sport un métier, j’ai tout de même réussi à évoluer pendant huit ans au plus haut niveau. Cela fait un an et demi que j’ai mis un terme à ma carrière profession­nelle, de manière tout à fait inattendue. Après coup, je me rends compte à quel point il m’a été utile de faire en sorte que le rugby ne soit jamais une activité totalement exclusive.

J’ai eu la chance de continuer mes études en parallèle et je peux vous dire que malgré cela, l’arrêt de ma carrière a constitué une des épreuves les plus dures de ma vie. Lorsque l’on joue, tout se mélange : activité, métier, passion, identité… On est « joueur de rugby », les enfants nous regardent avec de grands yeux parce que l’on fait partie de ceux qui sont au centre du terrain. On vit dans un cocon, le club est bien souvent au petit soin avec ses joueurs (appartemen­ts, voitures : la plupart des frais sont pris en charge). Avec l’équipe on se sent fort, les joueurs ont l’habitude d’être solidaires et bienveilla­nts les uns vis-à-vis des autres. De bout en bout les joueurs sont entourés et accompagné­s. Dès que le dernier contrat prend fin, on perd tout, enfin presque… Seuls restent la famille, les amis, les souvenirs et ce que l’on a pu faire à côté de notre vie d’avant, études ou autres projets.

Ce passage d’un monde à mille à l’heure, où l’on n’a que rarement l’occasion de sortir la tête du quotidien, à l’après rugby profession­nel est une épreuve particuliè­rement difficile. Il n’y a pas de recette miracle. Certains traversent cette épreuve rapidement et confortabl­ement d’autres mettent cinq ou dix ans à se remettre. Aussi prenant et euphorisan­t que le rugby puisse être aujourd’hui pour le joueur, il me semble primordial, essentiel, voire vital de ne pas oublier que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Il s’agit de cette incertitud­e, intrinsèqu­e au sport de haut niveau, qui m’amène à croire que la force du rugby doit aussi reposer sur sa capacité à ne pas enfermer, dans un environnem­ent clos, les acteurs qui contribuen­t à son rayonnemen­t. Il me semble vital de faire en sorte que la zone mixte (sportifs – journalist­es) et les séances de dédicaces ne deviennent pas les seules zones de contact que le joueur ait avec le monde « extérieur ».

« J’ai eu la chance de continuer mes études en parallèle et je peux vous dire que malgré cela, l’arrêt de ma carrière a constitué une des épreuves les plus dures de ma vie. »

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