L’envie d’avoir envie
Il n’est jamais question de méchanceté, quand on parle du XV de France. De frustration et de lassitude, oui. Parfois d’une franche exaspération lorsque les déroutes s’enchaînent et que la manière dans la défaite, strict minimum, n’est même plus au rendez-vous. Mais il demeure cette envie, naïve, de croire en des lendemains meilleurs. Cette équipe de braves âmes en échec peut-elle soudainement éteindre Murrayfield, surclasser l’Italie à Marseille, surprendre l’Angleterre à Paris et exploser les Gallois au Millennium, dans un même élan, pour signer la plus grande surprise de l’histoire du 6 Nations ? Le coeur des Latins est ainsi fait qu’il se prend, parfois, à rêver de l’impossible. La réalité factuelle, elle, se fout pas mal de nos envies romantiques.
Puisqu’il est désormais à la barre du bateau bleu, Jacques Brunel n’est pas décidé à ranger les voiles. Dimanche dernier, sur le parvis de l’hôtel des Bleus, la moustache la plus célèbre du Gers maintenait son ambition initiale de « gagner le Tournoi ». Malgré le coup de poignard de Sexton, la veille. Porté par la corde émotionnelle, on s’est laissé aller à un « pourquoi pas... ». Problème : on a aussi visionné les autres matchs de ce premier week-end de Tournoi. On a vu les Gallois terriblement efficaces dans leur antre du Millenium, là où les Bleus se déplaceront en fin de compétition. On a constaté l’habileté des Écossais à déplacer le ballon et la facilité des Anglais à marquer en deux coups d’accélérateur. On a vu tout ce qui semble aujourd’hui inaccessible à nos Bleus. Et pour tout dire, l’heure incline à l’inquiétude. D’autant que l’enjeu est immense.
À Murrayfield, ce dimanche, les Bleus ne vont pas seulement disputer un match de rugby. Ils auront sur la table une bonne partie de leur saison. La victoire que tous attendent leur ouvrirait une fenêtre de communication positive, un frémissement de dynamique enthousiaste et le maintien en vie d’un objectif de victoire dans le Tournoi. Une défaite plongerait en revanche la prise de fonctions de Brunel dans le marasme de ses prédécesseurs, réduisant déjà à néant l’électrochoc espéré par le président Laporte. Au bout du chemin de croix ? Une terrible tournée en Nouvelle-Zélande, en juin, qui pourrait laisser le technicien gersois avec un bilan déjà catastrophique. Pire que celui de Guy Novès, qu’il a remplacé dans le chaos, officiellement pour un défaut de résultats. Novès lui-même était en retrait du bilan de son prédécesseur, Philippe Saint-André, qui fut très vite estampillé « pire sélectionneur de l’histoire ». Mea culpa.
Depuis dix ans et l’échec majuscule du Mondial 2007 sur nos terres, les générations passent, les sélectionneurs changent mais la dégringolade persiste. Pour l’infléchir, les Bleus ont un besoin urgent de gagner. Dès ce week-end en Écosse, et qu’importe la manière. Qu’importe le nombre de passes, le ratio de plaquages ratés, les statistiques de possession et les taux de réussite au pied. Il faut gagner, absolument, pour s’éviter un brasier sans précédent. La France est aujourd’hui la dixième nation du rugby mondial. Une réalité qui ignore le luxe de l’esthétique.