« RAPPORT DE FORCE »
Chaque début de Tournoi donne un aperçu des forces en présence, un prébilan qui autorise des paris sur la réussite des uns et des autres dans cette compétition. À deux ans de la Coupe du monde au Japon toutes les nations européennes sont engagées dans leur projet à long terme avec le même encadrement sauf… La France qui, à mi-parcours, a changé de staff. Là où les autres nations s’inscrivent - avec des succès divers - dans la continuité du processus de travail, la France s’est appuyée sur la formule chère aux politiciens « le changement, c’est maintenant ». Je soutiens que Guy Novès a été débarqué à un moment où il devenait urgent de le maintenir, malgré des résultats aléatoires. Ces derniers peuvent certes justifier une mise à l’écart mais la continuité dans le processus de développement et d’évolution d’un groupe est un facteur essentiel. Le succès ne tient pas de la magie : son émergence renvoie au travail produit en amont, à ce qui doit être modifié dans le présent pour tenter d’aller vers un avenir ensoleillé. Il y a beaucoup de facteurs impalpables, progressivement maîtrisés si le staff bénéficie du temps utile et de la confiance de sa gouvernance. Dans le cas inverse, il est vain de parler d’esprit d’équipe, de plaisir du jeu, de culture et de style. Contre l’Irlande, au regard de la pauvreté de la production française, peut-on dire que la victoire (on y était presque) aurait pu contribuer à renforcer les notions de plaisir et surtout de confiance, qui semble dramatiquement manquer à ce collectif. À voir ! Quand la qualité du jeu ne suit pas, les émotions procurées par la victoire sont illusoires. Le « peu importe la manière » ne saurait me satisfaire ; il induit une conception du jeu qui inhibe les initiatives et conduit le collectif à sortir de la quête du jeu d’excellence. Il faut refuser le sacrifice de la recherche du meilleur jeu aux seules fins de résultats.
La tâche de Jacques Brunel ne s’avère pas simple. Contre l’Irlande, la France est passée à côté de la victoire d’abord parce qu’elle n’a jamais eu l’esprit au jeu. L’indigence offensive des Bleus ne résidait pas dans leur incapacité à le faire mais bien dans le blocage mental engendré par la peur d’un résultat défavorable. En se focalisant sur la seule défense, le collectif limite son horizon tactique et, mentalement, accepte son infériorité. Les bonnes équipes combinent les jeux offensifs et défensifs nécessitant pour les joueurs une part d’autonomie à l’égard du système. Les Tricolores, dans leur quête de victoires, devront construire un jeu s’appuyant sur d’autres références que le nombre de placages. Obliger les adversaires à s’investir défensivement renverserait favorablement les rapports de force…