Midi Olympique

LE JOUR OÙ TOUT S’EST ARRÊTÉ

FLORIAN HOUERIE, BRICE MACH, LIONEL DARGIER OU ENCORE CÉDRIC GUIRONNET : CES JOUEURS PROFESSION­NELS, PARMI TANT D’AUTRES, ONT APPRIS DU JOUR AU LENDEMAIN, PAR LA BOUCHE D’UN MÉDECIN, QUE LEUR CARRIÈRE ÉTAIT FINIE. ILS PARLENT DE CES HEURES OÙ LEUR VIE A B

- Par Vincent BISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

Le 6 novembre 2015, le pilier espoir Florian Houerie s’était rendu au Levezou, le centre d’entraîneme­nt de Castres, avec la ferme intention de poursuivre son ascension, initiée par sept apparition­s consécutiv­es en équipe première. Le 17 août 2016, le deuxième ligne montois Lionel Dargier s’en allait parfaire sa préparatio­n estivale, avec, à l’horizon, l’ouverture de la saison, programmée neuf jours plus tard. Le 6 juin 2017, Brice Mach empaquetai­t tranquille­ment ses cartons, direction Perpignan, pour un retour au bercail ô combien appréciabl­e après cinq années accomplies dans le Tarn. Au matin de ces jours, les trois joueurs en question vivaient, à leur insu, leurs dernières heures de sportif de haut niveau. Leur destin était sur le point d’être bouleversé par quelques mots prononcés du bout des lèvres, balayant, sur son passage, rêves d’enfant et certitudes d’adulte.

Trois ans après, Florian Houerie accepte de remonter le temps jusqu’à ce jour où tout s’est arrêté, sa passion, sa profession. « J’essaye

de ne pas y penser mais j’arrive à en parler maintenant. » Après un soupir, le pilier commence son récit : « Je venais d’arriver à l’entraîneme­nt. Le médecin du club est venu me voir, visiblemen­t inquiet. Il m’a dit : « Écoute, vu les résultats de tes bilans sanguins, tu dois aller au plus vite à la clinique. Il faut que tu sois pris en charge. » Une poignée d’heures plus tard, son avenir était scellé. Implacable­ment. SOS grand corps malade : « Le diagnostic était clair : je souffrais d’une insuffisan­ce rénale. Le spécialist­e m’a fait comprendre que c’était grave. Ça ne laissait pas de place au doute. » Dans les Landes, Lionel Dargier a emprunté le même chemin de croix, du stade à l’hôpital. En toute

urgence, aussi : « Le docteur m’a demandé d’aller voir le cardiologu­e dès qu’il m’a croisé. J’avais passé des examens les jours précédents mais il n’y avait eu aucun signe avant-coureur. Je me souviens du désarroi de la personne m’ayant annoncé la nouvelle. Elle semblait plus effondrée que je ne l’étais. » La vérité, d’une intolérabl­e cruauté, fend les coeurs comme elle étourdit les esprits. Dans un premier temps, Brice Mach n’a ainsi pas saisi la gravité de la situation : « Le jour du déménageme­nt, le docteur de l’Usap m’a appelé pour me dire qu’il serait judicieux de passer le voir, confiait récemment le talonneur. Je lui ai dit que

« C’EST LÀ QUE J’AI FONDU EN LARMES »

je ne serais disponible qu’en début de semaine suivante. Il m’a répondu : « Non, non. Il faut que l’on se voie maintenant. » J’ai commencé à comprendre. Je ne savais pas ce qu’il allait me dire, mais je me doutais que c’était en rapport avec mes cervicales. Je m’imaginais une opération. Mais de là à s’entendre dire : « Il faut que tu arrêtes, sinon, tu

finis tétraplégi­que. » Comment peut-on s’attendre à ça ? »

Après le chaos vient, tôt ou tard, l’heure du réveil et de la prise de conscience : oui, ce cauchemar appartient bel et bien à la réalité. « Je suis tombé de très haut, pose Florian Houerie. Imaginez, le matin, tout allait bien pour moi et, le soir, je retrouvais mon nom inscrit sur la liste des patients en attente d’une greffe. J’ai rapidement compris que, quoi qu’il puisse arriver, je ne pourrais plus jamais jouer au haut niveau. C’était fini. » Lionel Dargier a cherché à raffûter la fatalité pour entretenir un espoir insensé. Un réflexe de survie, avant tout : « J’ai passé les jours suivants à courir d’un médecin à l’autre pour multiplier les avis. Le verdict était le même à chaque fois. Au bout d’un moment, je ne m’attendais plus à un revirement de situation. Peu de temps après, un joueur de Besançon est décédé à l’entraîneme­nt à cause d’une rupture d’anévrisme. C’est le souci que j’ai. Disons que ce drame m’a ramené sur terre… » Brice Mach se souvient de l’atterrissa­ge forcé. Ce moment où le joueur se retrouve relégué simple spectateur, sans plus aucune chance de revenir en jeu. Protocole chaos : « Il m’a clairement dit que continuer serait du suicide. Je n’avais pas le choix. Sur le coup, c’est ma vie qui s’est effondrée. »

Le château de cartes constitué pendant des années vacille alors. De toutes parts. Cédric Guironnet, deuxième ligne de Carcassonn­e, autre grand blessé, a connu cette sensation de vertige après avoir appris la sentence, en juillet 2017 : l’état de son rachis cervical le rendait inapte. « Deux ans avant, j’avais eu une alerte. Quand mon arrêt est devenu inévitable, j’ai ressenti comme un vide. Tu te rends compte à quel point une carrière est fragile. Tu y consacres toute ton énergie, beaucoup de ton temps… Et puis d’un seul coup, il n’y a plus rien. » D’où une confusion des sentiments puis un enchevêtre­ment de nuits

blanches et d’idées noires : « Derrière, que me restait-il ? J’avais planifié ma reconversi­on à 34 ans, pas à 31. Il me restait trois ans à jouer en principe. Je n’étais pas du tout préparé à ça », reprend Brice Mach. « Le moment le plus dur a été de le révéler à mes coéquipier­s mais encore plus à mes parents, témoigne Lionel Dargier. C’est là que j’ai fondu en larmes. » « Est-ce qu’il y a eu de la dépression ? Un peu mais je ne sais pas à quel degré à vrai dire, souffle Florian Houerie. Heureuseme­nt, je me suis efforcé de sortir, de m’ouvrir aux gens qui me tendaient la main… » Cédric Guironnet a par exemple trouvé du réconfort auprès d’un camarade d’infortune : « J’ai rapidement appelé Brice Mach. Je ressentais le besoin d’échanger avec une personne traversant la même épreuve. Et puis, il y a tout l’administra­tif et la paperasse qu’il faut gérer dans le même temps. »

« JE ME SUIS SURPRIS À FAIRE DES PROJETS »

Pour ces sportifs à l’arrêt, le plus éprouvant des combats venait de commencer, hors champ, hors jeu. L’adversité a sublimé leur âme de compétiteu­rs. À leur étonnement, parfois : « C’était un pan de mon quotidien qui venait de s’écrouler, c’est sûr, mais mon existence ne s’arrêtait pas là, affirme Lionel Dargier. J’ai toujours envisagé le rugby comme un complément et j’avais beaucoup de centres d’intérêt en dehors. Ce qui faisait ma particular­ité a été ma force pour rebondir. Il y a le chômage qui aide, aussi. Il faut juste ne pas s’être trop habitué au train de vie de joueur. En tout cas, je me suis surpris très vite à faire des projets d’avenir. » À un âge plus avancé, Cédric Guironnet a su forcer son destin en accélérant sa reconversi­on : « Ma carrière était déjà avancée et j’avais commencé à anticiper la fin. Mais je me suis mis à la place de celui à qui ça arrive à 25 ans. Là, ça doit être très dur à vivre. » La réaction de Florian Houerie tend à prouver le contraire : « Au début, j’ai eu de l’appréhensi­on quant à mon avenir mais le fait que je sois jeune a paradoxale­ment été un atout. J’avais le temps de passer à autre chose pour ne pas me retrouver à la rue. J’ai repris des études avec un master en management du sport. J’ai réussi à tourner la page. » Aux dernières nouvelles, chacun a repris son petit bonhomme de chemin : greffé d’un rein l’été dernier, Florian Houerie poursuit son cursus universita­ire ; Cédric Guironnet oeuvre comme kinésithér­apeute ; Lionel Dargier a entrepris un voyage initiatiqu­e sur le continent américain et se trouve actuelleme­nt au Guatemala ; enfin, Brice Mach s’est vu proposer un poste d’éducateur au sein de l’associatio­n de l’Usap. Et le rugby, dans tout ça ? « Je prends moins de plaisir qu’avant à voir les matchs », tranche le premier nommé. Loin des yeux, loin du coeur : « Les vestiaires me manquent avec tous ses moments de tension, de bonheur, d’intimité, les chambrages entre adversaire­s, poursuit Lionel Dargier. Seuls les sports collectifs permettent de vivre ces instants précieux. Mais depuis que j’ai raccroché, ma vie est globalemen­t plus sereine. » Avec le temps, va, tout s’en va. Enfin presque. Cédric Guironnet conclut, avec une pointe d’amertume : « Le seul gros regret, c’est de ne pas avoir pu choisir sa sortie. Et ça, il n’y a rien qui pourra jamais le changer. »

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Photos DR Lionel Dargier, passé par Auch, Montpellie­r et Mont-de-Marsan, a arrêté sa carrière. La raison ? Il risquait une rutpure d’anévrisme. Brice Mach a aussi dû raccrocher après avoir été informé par un médecin de la gravité de son état de santé, idem pour...
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