BÉNÉVOLES
J’ai déjeuné, l’autre jour, avec deux dirigeants du Stade saint-gaudinois, le club de mon enfance, aujourd’hui rendu à la Fédérale 3 de ce jeu. L’un des deux entraînait déjà les juniors du club quand je n’étais que… minime. Enseignant à la retraite, passionné, il donne de son temps et de son énergie sans réserve ni calcul. Sa fidélité m’impressionne et, avec elle, la part d’abnégation, de courage, d’humilité qu’il lui faut pour s’occuper, dans l’ombre, d’un club en proie aux difficultés que l’on imagine : économiques, sportives, structurelles. « La forme d’une ville, écrivait Baudelaire, change plus vite hélas ! que le coeur
d’un mortel » et SaintGaudens est devenu ce bled du piémont pyrénéen, approximativement situé entre Tarbes et Toulouse, proche de la frontière espagnole, qui tente crânement de reprendre souffle dans un univers économique difficile et se modifie en conséquence. La reconnaissance des autres, singulièrement, n’est pas acquise à ces deux dirigeants qui portent, pourtant, l’essentiel des responsabilités communes. Pour un peu, ils en seraient plutôt à essuyer la jalousie et la bêtise des adeptes du « y’a qu’à, faut qu’on », toujours prompts à la critique. Ils ne s’en émeuvent pas. Le temps a patiné leur caractère. Ils ne recherchent rien sinon de tenter, un peu vainement sans doute, de rendre à ce club une once de l’affection qu’ils lui portent. On dirait des personnages de romans américains, perdus entre Nord Michigan et Montana, peints par Harrisson, ou Kasischke, qui regardent passer leurs semblables avec cette part de recul où se tient la sagesse. Ils aimeraient que je les aide à « monter » un débat susceptible d’attirer quelques partenaires potentiels. Leur angoisse ne repose plus vraiment sur les résultats sportifs du club, dont Alex Martinez, l’ancien fameux troisième ligne tarbais, kiné de profession à SaintGaudens, a repris l’entraînement de l’équipe Première aux côtés de Stéphane Ferrère, mais sur la difficulté à trouver des dirigeants. Aucun ne se presse à la porte. Le bénévolat fait peur et ils doivent assumer, jusqu’à plus d’heure, des tâches pour lesquelles ils n’étaient pas vraiment prêts. Leur problématique, ils le savent, est commune au plus grand nombre. C’est même la plaie du rugby français passé un certain étiage. On ne trouve plus de dirigeants bénévoles. Ni là, ni nulle part ailleurs. Ce serait la scie du vocabulaire de tous les dirigeants encore en place.
Leurs préoccupations qui sont, au vrai, celles du rugby de toujours, mais amplifiées par la modernité, me semblent à des années-lumière des empêchements de riches qui ombrent la vie des clubs professionnels. On en est réduit, ici, à s’empoisonner l’existence pour des problèmes de licences, d’accord du médecin, pour l’absence d’un éducateur (toujours bénévole) le mercredi après-midi auprès de l’école de rugby. Il manque toujours trois sous pour faire un euro. Mais le temps s’immobilise et les avatars de l’actualité tricolore semblent procéder d’un univers lointain et fantoche.
J’omets de leur parler de la télévision offerte par la Ligue et Canal qui, pour ce que j’en sais, finit presque toujours dans les salons des joueurs, la maison secondaire d’un président, très rarement dans les club-house. Ils s’en moqueraient sans doute. Ils en sont à penser que le sport français en général aborde une mutation capitale qui, faute d’aider les bénévoles, signe l’arrêt de mort du monde amateur. Tout est à repenser, à refonder, dans un système où les grilles anciennes de lecture sont frappées d’une obsolescence totale. Ils en sont donc à finir ce qu’ils avaient entrepris. Sans déplaisir, mais sans grande espérance. La suite appartiendra à d’autres. S’ils existent…