Midi Olympique

BRUNEL LE COUP DE GUEULE

UNE SEMAINE APRÈS L’ÉCHEC DES BLEUS À ÉDIMBOURG, SECOUÉ PAR LES AFFAIRES, JACQUES BRUNEL TAPE DU POING SUR LA TABLE. POUR LAVER L’AFFRONT, IL ATTEND UN SUCCÈS FACE À L’ITALIE.

- Propos recueillis par Nicolas AUGOT, envoyé spécial nicolas.augot@midi-olympique.fr

Comment se sont passées les retrouvail­les à Aix-en-Provence ?

C’est une histoire compliquée. On est là aujourd’hui pour préparer un match en cinq jours, alors que certains sont encore en train de jouer. On les voit en ce moment à la télévision. Ils vont arriver dans la nuit. Il va leur falloir du repos et il va nous rester très peu de temps pour préparer ce match contre l’Italie.

Comment l’homme, Jacques Brunel, a vécu cette semaine si particuliè­re ?

Je l’ai très mal vécu… Parce que les événements, quand on les subit, c’est toujours très difficile. Là, on a subi les événements du lundi matin jusqu’au lundi soir. Depuis, j’entends plein de choses : tout dépend du management, il faut être strict, il faut être ceci ou cela. Pour moi, il n’y a pas à être strict. Je ne vais changer ma façon de faire et mettre un flic derrière chaque porte. J’estime que les mecs sont adultes et responsabl­es. Si je n’accepte pas ça, je ne peux pas envisager d’avoir une relation constructi­ve avec les garçons. Pour moi, c’est une relation qui doit être naturelle, de confiance. Je ne changerai pas et je répète que je ne mettrai pas un flic derrière chaque porte. Chaque mec doit être conscient de la situation dans laquelle il est, de l’honneur qu’il a et de la fierté de porter ce maillot. Donc, des exigences qui vont avec. Ces exigences, certains ne les ont pas assumées puisqu’ils ont dérogé à leurs obligation­s, en faisant des excès.

Et quel est le sentiment du sélectionn­eur ?

J’ai donc subi toute la journée de lundi. Ce qui m’a amené à réfléchir. J’ai mal vécu de subir la situation, donc : que vaisje faire ? Aujourd’hui, j’entends un peu partout des gens qui donnent des leçons sur l’attitude que l’on doit avoir, sur le respect. Ils ont raison mais ils oublient que dans chaque génération ces choses-là se sont produites. On les a cachées, on les a laissées dans un coin. On en avait conscience et personne n’avait jamais rien dit. Moi, aujourd’hui, j’ai sorti sept joueurs de l’équipe de France. Ça ne s’est jamais produit, jamais. Donc, si quelqu’un a cherché à préserver l’identité de l’équipe de France et ce qu’elle doit représente­r, je pense que c’est moi, contrairem­ent à tous ceux qui aujourd’hui racontent des histoires, qui en ont caché ou qui n’ont rien fait. Chaque génération a eu ses excès. Aujourd’hui, on ne peut plus se le permettre. J’ai enlevé sept joueurs. C’est important dans notre situation avant un match où nous avons peu de temps de préparatio­n. Ce n’était pas évident à faire. Le sélectionn­eur pouvait se préserver, dire que l’on commençait à constituer un groupe, une équipe, à avoir une certaine cohérence après des tâtonnemen­ts. Nous avions déjà eu peu de temps pour construire un staff, donc, changer le groupe maintenant, ça pouvait être délicat. On aurait pu préserver tout ça. On ne l’a pas fait parce que l’on a préservé l’identité de l’équipe de France plutôt que sa constructi­on.

Entre les blessés et ce fait divers, vous vous retrouvez avec la moitié des joueurs présents sur votre première liste qui ne sont plus là aujourd’hui. Est-ce que vous recommence­z à zéro ?

Non, nous ne recommenço­ns pas à zéro. Il me semble qu’on a réussi pendant deux matchs à constituer quelque chose en peu de temps, avec un staff et des joueurs nouveaux, notamment les jeunes que nous avions appelés. On a réussi, à travers cette histoire à mettre en place une relation et une attitude qui sont différente­s. Si on a fait ça, on a déjà construit. Bien sûr, nous avons besoin d’autres choses et notamment de victoires. Nous sommes la vitrine du rugby français et celle-ci se construit à travers des victoires mais ce début de Tournoi n’est pas du temps perdu.

Pourquoi ?

Ça fait partie de la constructi­on d’un groupe, d’une façon de vivre et d’être. Aussi de l’image que l’on veut donner du rugby. Le résultat importe beaucoup car le public, chaque supporter, est fier de voir son équipe gagner. Mais il y a aussi des valeurs qu’elle peut représente­r, autant sur le terrain qu’en dehors. Si on a préservé ça, pour moi, c’est déjà beaucoup.

Avez-vous dit à des joueurs qu’ils vous ont trahi ?

Je ne me sens pas trahi. Je me répète mais je ne mettrai jamais un flic derrière chaque porte, parce que j’estime qu’un garçon sélectionn­é en équipe de France a un privilège. Ce privilège, c’est l’image qu’il représente à l’extérieur et les contrainte­s qui vont avec. Il faut qu’il les accepte. La contrainte, quand tu as perdu, c’est d’avoir la délicatess­e d’être un peu énervé, d’être frustré et rester tranquille dans son coin pour évacuer tout ça.

Pensez-vous que ces exclusions sont un signe fort pour le futur ou la mise en place d’une charte est nécessaire ?

C’est un signe fort car je sais que je vais avoir peu de temps pour reconstrui­re quelque chose. C’est fort dans la symbolique car ça n’a jamais été fait. Je pense que tout est clair. Enfin, pour moi, ça l’est. Je ne peux pas imaginer qu’une situation identique se reproduise.

En début de semaine, les managers du Top 14 ont salué votre décision. Pourtant la plupart des joueurs exclus ont joué ce week-end avec leur club. Êtesvous déçu ?

Non je ne suis pas déçu. J’ai pris une résolution par rapport à un contexte bien précis, que je connais. Après chacun gère la situation dans son club. Chacun fait à sa façon et je n’ai pas à intervenir dans les choix des uns ou des autres. Je respecte les choix de tout le monde. Moi, j’ai fait les miens et je ne me permettrai pas de porter un jugement sur les autres.

Avez-vous discuté de cette histoire avec votre capitaine Guilhem Guirado ?

Guilhem a été affecté. Je sais qu’il peut avoir des relations amicales avec les gens que j’ai écartés. Il n’est pas insensible à cette décision et il la comprend. L’équipe de France doit être irréprocha­ble.

Avec autant de changement­s, il va falloir lui retrouver des joueurs sur lesquels s’appuyer…

Parmi les joueurs appelés, beaucoup ont de l’expérience. On va me demander : pour combien de temps sont exclus les joueurs ? Moi je dis ils sont exclus pour le temps que les autres, ceux qui les ont remplacés, leur laisseront. C’est la règle. Si ceux qui ont pris leur place n’ont pas l’ambition, la déterminat­ion de vouloir s’implanter dans cette équipe, alors peut-être que les exclus reviendron­t. Mais si les nouveaux leur prennent la place, il faudra les déloger.

Comment retrouver une osmose dans un groupe mêlant des joueurs déjà présents en Écosse et d’autres qui remplacent les exclus ?

Ce sont des joueurs qui se connaissen­t. On va pouvoir créer assez vite quelque chose de cohérent, un collectif. On sort de deux matchs où nous avons senti des choses intéressan­tes sur lesquelles on peut s’appuyer mais, à côté de ça, nous avons des faiblesses. La première : notre possession de balle sur le premier match et nous l’avons en partie rectifiée. La deuxième, c’est l’indiscipli­ne. Ce sont deux matchs que l’on peut gagner mais que l’on perd parce que nous n’avons pas su préserver le score. Face à l’Écosse et l’Irlande, nous ne sommes pas si loin que ça. Maintenant, il nous faut gommer ces imperfecti­ons qui nous ont privés de victoire.

À l’image de chisteras dans vos vingt-deux mètres ?

Non ce n’est pas ça. Je retiens que l’on donne douze points faciles sans que l’on soit en danger, sans que l’adversaire nous ait acculés sur notre ligne. On donne des points trop facilement sur des fautes stupides. Après, sous la pression, que l’on ait tenté ces gestes… Mais ce sont surtout les points que l’on a donnés qui font la différence.

Vous êtes en tête deux fois et vous perdez en fin de match. Est-ce un manque de confiance ?

Non, car face à l’Irlande, c’est un scénario improbable avec beaucoup de choses qui ne se reproduiro­nt pas demain. Face à l’Écosse, c’est différent. On a manqué de « self control », de pertinence. En faisant des fautes stupides, nous avons perdu le contrôle du match, en redonnant le ballon en permanence aux Écossais.

Après deux matchs, on a un peu de mal à cerner le jeu tricolore…

Quelles options peut-on prendre ? Quelles ambitions peut-on avoir ? Si ce n’est avoir le jeu le plus complet possible, le plus imprévisib­le possible, le plus entreprena­nt possible. C’est ce jeu-là que l’on veut. Mais cela suppose d’avoir des conditions, des joueurs et un contexte qui soit favorable. Il faut revenir sur le contexte dans lequel je me trouve. On a eu trois semaines pour préparer un staff, une équipe et, par rapport à la liste initiale, nous avons déjà perdu huit joueurs sur blessure. ? Cela a entraîné des changement­s de charnière. C’est un contexte particulie­r auquel il faut s’adapter. Ce n’est pas une excuse mais un constat. Trois semaines de préparatio­n et déjà huit joueurs en moins après la première semaine. Si on rajoute les sept exclus après l’Écosse, c’est aujourd’hui la moitié de l’équipe qui est différente.

Craignez-vous cette confrontat­ion face à l’Italie ?

Au-delà du match face à l’Italie qui arrive, l’équipe de France se doit de revenir dans les meilleures nations du monde. C’est l’objectif. Je ne sais pas si on y arrivera demain mais ça doit être notre quête. On a rivalisé avec l’Irlande qui est la troisième nation mondiale, puis on a rivalisé avec l’Écosse. Maintenant, on doit concrétise­r.

Mais le prochain match, c’est le rendez-vous à ne pas manquer pour éviter la cuillère de bois…

Oui, c’est un constat. Aujourd’hui, on n’a pas gagné. On est donc toujours en passe d’être au fond du classement. On fera le point à la fin du Tournoi. Nous n’avons joué que deux matchs. Bien sûr on les a perdus mais on pense que nous ne sommes pas loin des meilleurs. On parle de l’Irlande comme d’une candidate au Grand Chelem et pourtant, nous n’étions pas loin de battre cette équipe. Cela fait tout relativise­r.

Mathieu Bastareaud était présent dans votre première liste. Va-t-il devenir un de vos hommes de base ?

Il était dans la liste initiale car nous pensions qu’il pouvait avoir un rôle important dans cette équipe. Il n’a pas pu être là dès le début pour les raisons que l’on connaît (suspendu pour propos

homophobes, N.D.L.R.). Il revient. Il a joué samedi et ça s’est plutôt bien passé. On va voir comment il se comporte, comment il se situe, commet il se sent physiqueme­nt. Mais oui, c’est un élément important.

Quelles vont être vos priorités cette semaine ?

Les joueurs qui vont arriver vont devoir très vite prendre des repères. On va aller sur du travail relativeme­nt simple en essayant de progresser un peu chaque semaine. Notre cheminemen­t est celui-là : partir de basiques en y apportant petit à petit de la variété, de l’alternance. Mais notre préoccupat­ion c’est de construire un groupe dans un contexte où nous avons perdu cinq, puis trois, puis sept joueurs.

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Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany
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