Midi Olympique

Conrad Smith : « Je considère que je vis ma dernière saison »

SON AVENIR, PAU, LES BLEUS, NONU ET LES SECRETS DES BLACKS, LE MAÎTRE À JOUER DE LA SECTION SE CONFIE...

- Propos recueillis par Simon VALZER simon.valzer@midi-olympique.fr

les conditions météorolog­iques ont été difficiles ces derniers jours dans toute la France. Aviez-vous déjà vu autant de neige par le passé ?

Non, c’est la première fois ! Il n’en tombe pas beaucoup en Nouvelle-Zélande. Franchemen­t, je n’avais encore jamais vu ma maison entièremen­t recouverte de neige… Quand j’ai ouvert les volets mercredi matin, mon fils n’en revenait pas. Et moi non plus d’ailleurs, c’est génial !

La Section paloise cumule six victoires consécutiv­es toutes compétitio­ns confondues. On dirait que l’hiver vous va plutôt bien…

Oui je reconnais, et je suis le premier étonné car j’ai toujours pensé que nous sommes une meilleure équipe quand le ballon est sec et le terrain dur. Il faut reconnaîtr­e que c’est faux, d’autant que cela s’est déjà produit l’année dernière. Je pense que le groupe progresse bien, et commence à jouer vraiment bien. Les joueurs ont confiance en eux, dans le projet et cela se voit au niveau des résultats. C’est un peu paradoxal en effet, car à cette période de l’année les équipes ont tendance à perdre confiance en leur jeu, ou à opter pour des tactiques plus directes. C’est dommage, car je trouve qu’elles se mettent des barrières en agissant de la sorte. Nous préférons rester sur ce que l’on sait faire. De toute façon, on ne sait pas jouer autrement alors on ne va pas essayer de pratiquer un rugby qui ne nous convient pas. On ne dispose pas d’une dimension physique suffisante pour le jeu frontal. Notre truc, c’est la passe, le jeu en profondeur… Nous n’avons pas d’autre option. On joue comme ça, point.

La Section est revenue est en course pour la qualificat­ion en Top 14, et disputera un quart de finale de Challenge Cup contre le Stade français. N’est-il pas risqué de jouer sur les deux tableaux ?

C’est vrai que cela nous change. Lors des deux dernières saisons, les week-ends de phases finales européenne­s étaient synonymes de repos pour nous. Cette année, nous allons devoir gérer une longue série de rencontres qui seront toutes plus importante­s les unes que les autres. Ce sera un grand défi pour le club, et nous aurons besoin d’un groupe de plus de 30 joueurs parfaiteme­nt homogène pour traverser cette période.

Sur quel point avez-vous le sentiment que la Section a progressé au cours des dernières saisons ?

Le staff est resté fidèle au même plan de jeu, et je pense que cela paie : c’est un plan de jeu ambitieux car nous voulons pratiquer un rugby attractif mais il est aujourd’hui parfaiteme­nt maîtrisé par l’équipe et les joueurs ont confiance en lui. Les joueurs ont également progressé sur leur technique individuel­le, et celle-ci facilite grandement la mise en place de notre plan. Enfin, je pense que nous avons aussi franchi un cap mental dans la préparatio­n de nos matchs à l’extérieur. Tout le monde a compris que notre réussite passerait par des victoires hors de nos bases, et c’est un défi que nous relevons aujourd’hui avec plaisir.

Voilà trois ans que vous vivez en France, aimez-vous votre nouvelle vie ?

Avec ma petite famille, nous adorons notre vie. Nous aimons la ville de Pau et la France, en général. Nous profitons de toutes les vacances pour découvrir un nouveau coin de votre pays. Nous avons visité Bordeaux, Toulouse, Biarritz… L’été dernier nous sommes allés dans le sud-est de la France et jusqu’en Italie. L’été d’avant, nous étions à Barcelone… C’est pour cette raison que je suis venu ici : je voulais découvrir l’Europe avec mon épouse. J’ignore encore ce que je ferai l’année prochaine, mais nous voulons rester en France pour encore quelques années au moins. Mon fils va à l’école ici et il parle déjà français mieux que moi, et ma fille est née ici. Nous ne sommes vraiment pas pressés de rentrer.

Vous ne semblez pas avoir le mal du pays…

Non, pas vraiment ! Nous ne sommes rentrés que deux fois au pays… Et puis les vacances du Top 14 tombent toujours sur l’hiver en Nouvelle-Zélande, donc cela ne donne pas vraiment envie. Cela reste mon pays, aucun doute là-dessus. Mais j’ai toujours voulu visiter l’Europe et je ne pouvais pas par le passé à cause de ma carrière internatio­nale. Alors, aujourd’hui, on en profite au maximum avec mon épouse. Je suis un peu plus vieux mais j’ai toujours une âme d’aventurier !

Parlons de votre avenir justement : allez-vous prolonger votre contrat avec Pau ?

(Il prend une grande respiratio­n) J’aimerais pouvoir le faire, mais… Je pense que je dois maintenant songer à ma vie après le rugby. Cela fait longtemps que je joue… J’aimerais cependant rester au club. Je n’ai rien signé encore, mais nous y réfléchiss­ons. Peut-être un peu d’entraîneme­nt, ou dans le domaine administra­tif puisque j’exerçais autrefois en tant qu’avocat en Nouvelle-Zélande. Je vais réfléchir à tout cela au cours des semaines à venir.

En avez-vous assez du rugby ?

Arrêter de jouer et démarrer une nouvelle vie est une décision difficile à prendre. Je me sens encore capable de jouer mais, dans le même temps, je me dis que je joue en profession­nel depuis 14 ou 15 ans… Il faudra bien que cela s’arrête un jour. Si une opportunit­é qui me permet de rester au sein du club se présente, je préfère saisir celle-ci plutôt que d’attendre une sale blessure ou de me faire entendre dire un jour par le coach que je ne suis plus assez bon. C’est une décision délicate, mais il faut savoir la prendre. Je préfère finir sur une bonne note que sur une blessure.

Vous vous voyez donc en entraîneur ?

Oui, même si je ne parle pas d’un poste à plein temps pour le moment. D’après ce que j’ai compris en échangeant avec les autres joueurs jeunes retraités, on a besoin de temps pour savoir ce que l’on va faire après le rugby. Je sens aujourd’hui que j’ai envie d’essayer d’entraîner, mais aussi de travailler dans le Droit, comme je le faisais à Wellington. J’ai quelques cordes à mon arc vous savez, et je pourrais même travailler en dehors du rugby.

Avez-vous utilisé vos compétence­s d’avocat en France ?

Pas vraiment encore non, mais je travaille avec l’associatio­n des joueurs internatio­naux qui est basée à Dublin (IRPA), et je commence aussi à échanger avec Provale (syndicat des joueurs), en France. Je m’intéresse à ce qu’ils font, et j’ai envie d’en découvrir davantage sur leur fonctionne­ment. C’est un côté du sport qui m’intéresse.

Travaillez-vous votre français ?

Oui, je progresse petit à petit. J’aime votre langue, j’ai toujours voulu l’apprendre même si je dois reconnaîtr­e qu’elle est très difficile. C’est une bonne compétitio­n avec mon fils ! Plus sérieuseme­nt, j’espère mettre à profit cet apprentiss­age dans un futur proche ; je dois gagner en confiance dans l’expression du français. Et je vous donne rendez-vous dans un an pour refaire cette interview intégralem­ent en français !

Le fait que votre ex-coéquipier Ma’a Nonu soit sur le point de prolonger son contrat avec le RCT ne vous donne pas envie de continuer à jouer ?

Vous savez, je connais très bien Ma’a et j’ai toujours su qu’il jouerait plus longtemps que moi. C’est un athlète incroyable, il adore le rugby, il ne parle que ça et il a toujours dit qu’il jouerait aussi longtemps que possible. Tout le monde est différent et, de toute évidence, je ne peux pas faire faire à mon corps les mêmes choses que lui. Je suis néanmoins heureux de le voir encore aussi bon aujourd’hui.

Combien de fois avez-vous joué l’un contre l’autre en France ?

Trois fois, il me semble… Oui c’est ça, trois fois déjà !

N’était-ce pas bizarre, après toutes ces années passées à jouer ensemble ?

Non, ça allait… Vous savez la semaine dernière j’ai joué contre Dan (Carter, N.D.L.R.). On s’y habitue. Quand je vois les autres jouer en face, j’ai juste envie de profiter du moment et de prendre du plaisir. Ça me rappelle les bonnes années, et puis on ne prend jamais vraiment cela au sérieux. Sur le moment chacun veut vraiment gagner mais à chaque fois, on en rigole après le match. Et puis, chaque affronteme­nt avec Ma’a a été… Comment dire… Intéressan­t !

Comment expliquez-vous que votre associatio­n sur le terrain a été aussi performant­e avec les All Blacks ? Étiez-vous amis en dehors du terrain ?

Nous le sommes devenus au fil des années oui, mais cela n’a pas été le cas au début. Les choses ont pris du temps car nous étions en concurrenc­e pour le même poste, en club comme en sélection. Au début, Ma’a jouait au poste de second centre, et Tana Umaga était un titulaire indiscutab­le en avec les Hurricanes et les Blacks. Donc, l’un d’entre nous était forcément frustré ! Et comme on était aussi compétiteu­r l’un que l’autre… Il a fallu trois ou quatre saisons pour que Ma’a s’installe en 12 et que l’on joue régulièrem­ent ensemble. À partir de là, on s’est découvert mutuelleme­nt et on a compris que nous étions deux féroces compétiteu­rs. En clair, on pouvait s’appuyer l’un sur l’autre. À chaque fois que l’un était moins bien, l’autre était là pour le motiver.

Que vous apportiez-vous mutuelleme­nt ?

De la motivation, du soutien. Si je n’étais pas bien, Ma’a trouvait toujours les mots pour me remettre dedans. Si je ne me sentais pas en forme, je le voyais se démener comme un diable sur le terrain, et cela me remotivait. Pareil pour lui. Il pouvait toujours compter sur moi.

Quand Nonu jouait à l’aile et Umaga au centre, vous êtes vous posé la question de votre gabarit ?

Je sais que je n’ai jamais eu un gabarit comme eux. Mais il y a toujours une place pour chacun au rugby. C’est ça la beauté de ce sport. Au fil de ma carrière, je n’ai jamais essayé de coller à la mode des centres imposants. J’ai toujours été conscient de mes forces et faiblesses. J’ai essayé de les travailler au mieux. On m’a toujours conseillé de cultiver mes points forts : c’est ainsi que l’on gagne en confiance, que l’on se sent bien et que l’on aide son équipe à gagner. C’est ce que j’ai fait.

Quelles étaient vos faiblesses, au juste ?

J’ai toujours été plus à l’aise en attaque qu’en défense. Chez moi, c’était plus naturel.

Encore aujourd’hui, j’adore courir avec le ballon, trouver des espaces, faire jouer mes partenaire­s… En revanche, la défense m’a toujours demandé beaucoup plus de travail. À mes débuts, les gens me voyaient aussi comme un mauvais défenseur en raison de mon gabarit limité.

Mais au fil des années j’y ai pris goût, notamment sur le côté tactique de la défense : analyser le jeu de l’adversaire la semaine avant le match, anticiper ce qu’il va faire sur le terrain… J’ai fini par adorer ça. Et cette faiblesse est devenue une force.

Comment travaille-t-on la technique individuel­le en Nouvelle-Zélande ?

Je pense que nous commençons à la travailler plus tôt et plus souvent qu’ici. Chez nous, on s’intéresse très tôt aux toutes petites habilités, comme la façon de porter le ballon, de le lâcher, de le recevoir, le positionne­ment des mains… On décortique la passe, en somme. Après, je reconnais que ce travail est aussi effectué en France, mais peut-être pas aussi tôt, ou aussi souvent…

Cette différence se constate au plus haut niveau, où l’on voit que les passes françaises sont moins précises que celles d’autres nations…

Ceci explique peut-être cela, en effet. À haut niveau aussi, on insiste beaucoup chez nous sur les « multi skills », par exemple qu’un bon pilier de mêlée soit aussi capable de faire la passe des deux côtés, ou qu’un ailier soit aussi performant au sol qu’un troisième ligne. Toutes les équipes ne sont pas à ce niveau, même s’il faut reconnaîtr­e que l’écart se resserre car toutes les nations travaillen­t ainsi. Les All Blacks ont toujours cherché le petit truc qui leur donne une longueur d’avance, donc ils doivent déjà plancher sur la suite !

Le Super Rugby vient de reprendre, êtes-vous toujours un supporter des Hurricanes ?

Bien sûr ! Je n’ai pas regardé le dernier match mais je suis les résultats. Je les ai récemment vus en Australie, quand nous avons pris part aux «Brisbane Tens» avec Pau. Cette équipe occupera à jamais une place spéciale dans mon coeur. J’y ai joué si longtemps. Depuis tout petit cette équipe me faisait rêver.

Où vous voyez-vous dans dix ans ?

Excellente question ! À vrai dire, je ne sais même où je serai dans cinq ans ! J’aimerais rester dans le domaine sportif. Pas forcément dans le rugby, mais je me verrais bien faire la promotion du sport, que ce soit en France ou en Nouvelle-Zélande. Je vois tellement de bénéfices à faire du sport que j’ai envie de partager cela, notamment avec les enfants. J’ai aussi pu me rendre compte des dérives du sport profession­nel et je serais aussi intéressé pour travailler là-dessus. Quand il est pratiqué et géré correcteme­nt, le sport profession­nel peut être très bénéfique pour tout le monde.

Dernière question : vivez-vous votre dernière saison en tant que joueur avec la Section paloise ?

Je ne peux vous donner une réponse ferme mais… Disons que je n’ai pas prolongé mon contrat et, dans ma tête, je considère que je vis ma dernière saison. Et, de toute évidence, vous comprenez bien que je suis en train de songer à faire autre chose l’année prochaine. Donc…

« À mes débuts, les gens me voyaient comme un mauvais défenseur… » Conrad SMITH Trois-quarts centre néo-zélandais de la Section paloise

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 ?? Photo Icon Sport ?? Du haut de ses 94 sélections (dont 90 titularisa­tions) avec les Blacks, Conrad Smith est un immense joueur. Altruiste, humble et intelligen­t, Smith aura marqué le rugby mondial.
Photo Icon Sport Du haut de ses 94 sélections (dont 90 titularisa­tions) avec les Blacks, Conrad Smith est un immense joueur. Altruiste, humble et intelligen­t, Smith aura marqué le rugby mondial.

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