UN ESSAI POUR LA POSTÉRITÉ
A 36 ANS, L’INTERNATIONAL TRICOLORE A ÉGALÉ LE RECORD D’ESSAIS INSCRITS DANS L’ÉLITE, JUSQU’ALORS DÉTENU PAR LAURENT ARBO. UN SOULAGEMENT ET UNE JUSTE RÉCOMPENSE POUR UN JOUEUR QUI N’A CESSÉ D’ÉCRIRE L’HISTOIRE DU RUGBY FRANÇAIS.
7 minute. Toulon tient le ballon depuis le coup d’envoi mais butte sur une défense agenaise bien en place. C’est alors le moment choisi par Vincent Clerc, parfaitement décalé par Anthony Belleau, pour se défaire de trois Agenais et inscrire son deuxième essai de la saison. Le centième en première division. « Je dis à Antho que je suis dans son dos, que je vois l’intervalle et il me sert parfaitement. Là je sais qu’il n’y a plus qu’à courir… » S’en suivent alors trente secondes de folie, dans un Mayol en furie. « C’est allé très vite, mais j’ai vu beaucoup de sourires et entendu de nombreuses félicitations. J’ai senti les joueurs vraiment contents pour moi. De cet essai, je garderai donc des visages, des sourires et du plaisir. » Un bonheur partagé avec ses coéquipiers, premiers supporters de leur « Chicken ». « Cet essai, on l’attendait tous ! Nous étions super heureux pour lui, souriait Lakafia après la rencontre. Toute l’équipe a fait un sprint pour venir le voir. Moi j’ai couru vingt mètres pour le féliciter. Juan (FernandezLobbe, N.D.L.R.) m’a dit qu’il avait sprinté cinquante mètres juste pour le serrer dans ses bras. C’était incroyable. C’est une reconnaissance pour sa belle carrière. » À Mourad Boudjellal de poursuivre. « Vous avez vu son visage ? On aurait dit un minot de 20 ans qui inscrivait son premier essai chez les « grands ». C’était magnifique. Cet essai, il en rêvait depuis son arrivée à Toulon. D’ailleurs, je vais voir si on peut le renommer « Vin100 ». ». Car bien plus que la simple ouverture du score, cette centième réalisation permettait à Vincent Clerc d’égaler le record détenu depuis 2006 par Laurent Arbo. À la 7e minute de ce Toulon-Agen, Vincent Clerc devenait ainsi le deuxième centenaire et le co-meilleur réalisateur de l’élite. Ça vous pose une légende.
« QUI SUIS-JE POUR NE PAS OFFRIR UNE BELLE SORTIE AU PLUS GRAND AILIER FRANÇAIS DE L’HISTOIRE ? »
Et si personne ne doutait véritablement de la capacité de Clerc a inscrire cet essai record, l’ailier aux 67 sélections a d’autant plus savouré ce centième essai, que tout aurait pu basculer en janvier 2017. Fraîchement revenu d’une opération au tendon d’Achille droit,Vincent Clerc est aligné à Clermont, pour son troisième match sous le maillot du RCT. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Le joueur sort boitant à la 71e minute, les yeux rougis. Il connaît son corps et comprend que c’est grave. Le verdict qui tombe dès le lendemain est sans appel : rupture totale du tendon d’Achille gauche. De son propre aveux, le légendaire ailier pense arrêter sa carrière. « Désormais, dans ma tête, je suis prêt à arrêter comme à continuer. Pour moi, c’est Toulon ou l’arrêt. » En pourparlers de longs mois avec Mourad Boudjellal, le joueur prolonge finalement le plaisir d’une saison. « Qui suis-je, moi, pour ne pas offrir une belle sortie au plus grand ailier français de l’histoire ? Je n’ai jamais joué au rugby, mais j’ai toujours respecté l’histoire de ce sport. Et Vincent en a écrit les grandes lignes. Alors oui, je l’ai récupéré en miettes après sa blessure. Mais du moment où il m’a dit qu’il n’était pas satisfait de sa sortie et qu’il voulait prolonger, la question ne s’est pas posée. »
« LE CENT-UNIÈME ESSAI ? IL EN RÊVE LA NUIT »
Après avoir considérablement mangé son pain noir,Vincent Clerc se voit offrir une dernière opportunité de profiter des terrains, de finir sur une bonne note et d’entrer un peu plus dans l’histoire. C’est désormais chose faîte. « Ce centième essai était un mélange de motivation et de frustration. Car on m’en parlait beaucoup et j’avais vraiment envie de scorer pour le RCT. Puis c’était également important de me libérer de ce poids. C’était un chiffre symbolique et il fallait rapidement passer à autre chose. » Quatre-vingt-dix-huit avec Toulouse et deux avec le RCT, qui font cent et gravent à jamais un nom dans les livres d’histoire… Tout est bien qui fini bien ? Pas vraiment, car il semble désormais difficile d’imaginer Vincent Clerc s’arrêter à une unité du record absolu. « Il répète qu’il préfère s’en détacher, mais n’en croyez pas un mot. Il ne le dira pas mais ce centunième essai, il en rêve la nuit. C’était une obsession pour lui d’égaler Laurent Arbo, et s’en est instantanément devenue une de le dépasser après son essai. Les compétiteurs ne s’arrêtent jamais. C’est un soulagement, mais il n’en est pas débarrassé. Pas tant que son nom ne sera pas seul en haut du tableau », concluait Mourad Boudjellal. Il reste donc cinq journées et d’éventuelles phases finales à l’ailier toulonnais pour inscrire son cent-unième essai dans l’élite. À ce moment-là,Vincent Clerc sera enfin seul au monde…