Midi Olympique

DES RUCKS ET DES ROCS

- Par Olivier MARGOT

Plusieurs heures après que Rémy Grosso et Maxime Machenaud soient sortis du terrain en pleurant, en un adieu aux larmes qui n’était qu’un au revoir pour notre plus grand bonheur, plusieurs heures après cette folie sur le pré, cette exaltation communicat­ive, cette connivence dans les collisions, ces duels de mousquetai­res et parfois de spadassins, cette tempête des corps et des sentiments, je cherchais toujours à me calmer. Je me suis assis, respirant un grand Bordeaux et j’ai repris la lecture de « Sylvia » de Howard Fast. Et, page 160, j’ai découvert deux mots espagnols difficilem­ent traduisibl­es : « soberbia » et « animo ». Juxtaposés, je cite, ils « expriment la fierté, le courage et le sens de l’honneur ». C’était ça, exactement cela, l’indispensa­ble préalable à ce jeu de rugby, quand la grandeur d’une équipe se mesure à l’aune des exigences de ce sport collectif de combat.

Personne n’a oublié les fabuleux essais de Teddy Thomas, à la fois prestidigi­tateur et sprinter Olympique, contre l’Irlande et en Écosse. Mais, ce samedi incandesce­nt au Stade de France, comment ne pas s’enflammer devant cette ardeur qui fit de l’affronteme­nt un au-delà du jeu, une volonté pure, une contagion en défense symbolisée par un Mathieu Bastareaud en rocher inexpugnab­le ? Dans leur volonté de gagner le duel suivant, les trente hommes étaient nus, réduits à leur humaine condition.

Presque toutes les grandes victoires de l’équipe de France peuvent se résumer en l’applicatio­n audacieuse d’un impératif catégoriqu­e : dominer l’adversaire sur son point fort. Tard dans la soirée, Pierre Berbizier me disait : « Les Français ont dominé dans la zone des rucks, récupérant beaucoup de ballons, ralentissa­nt les autres, perturbant le jeu des Anglais fait d’enchaîneme­nts, accentuant le doute né de leur défaite en Écosse (25-13) le 24 février. Quand ils manquent de fraîcheur physique, la machine s’enraie pour dominer les zones d’affronteme­nt. Quinze Anglais avaient fait partie de la tournée des Lions britanniqu­es en Nouvelle-Zélande, l’été dernier. Peut-être cela a-t-il laissé des traces, surtout dans un tel combat. Car, en rugby, il faut combattre pour jouer. Tout le monde se retrouve dans le combat, même les spectateur­s peu avertis. Et ce samedi, les Français ont été les premiers au combat. »

Bien sûr, l’état d’esprit, l’enthousias­me, le mental n’auraient pas suffi à étouffer les Anglais. Cette fureur intime, il fallait la mettre en forme, la traduire sur le terrain et cela fut plutôt bien fait. Le rythme anglais ralenti, le couple de demis d’ouverture George Ford et Owen Farrell furent à plusieurs reprises au bord du divorce. Et les Français gagnèrent leurs duels, dans le sillage de Bastareaud, de Yacouba Camara, de Guilhem Guirado, de Paul Gabrillarg­ues, de François Trinh-Duc et d’un Machenaud efficace au pied et courageux en défense. Toutefois, Rémy Grosso fut sans doute le plus épatant, se proposant partout et gagnant ses duels dans toutes les zones d’impacts. Dans cette frénésie, le rugby peut mettre à mal le coeur des hommes. Avec beaucoup de chic, les cinq dernières minutes de ce France Angleterre furent un sommet de dramaturgi­e. Un film à suspense qui n’était pas du cinéma.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France