Midi Olympique

LE VENT SE LÈVE

- Par Jacques VERDIER

Enlisé dans la mélasse d’un chantier dont il ne voyait ni le début ni la fin, le XV de France, au fil du temps, avait perdu son esprit de jouvence, son aura séditieuse, ses repères, sa culture. Il ne restait pas grand-chose d’un passé plus ou moins glorieux mais aux vertus identitair­es résolument marquées. Ses maux, au demeurant, étaient assez clairement définis. Sa perte de confiance semblait cruelle. Son incapacité à se faire trois passes en suivant, à proposer une de ces animations offensives dont se rengorgent la plupart des équipes de bon niveau, confinait au malaise. Son manque d’appétence, sa perte de « grinta », relevait soit de la dépression nerveuse, soit d’une prétention top quatorzièm­e proche de la suffisance, voisine de la bêtise. Tout cela mêlé laissait accroire à un manque de talent, à une perte de potentiel, à la fin des haricots. La victoire contre l’Angleterre, loin d’effacer l’ardoise, nous rassure au moins sur l’état d’esprit retrouvé. Admirables défensivem­ent, toujours prêts à s’aider, à s’époumoner dans l’encouragem­ent, à se multiplier, les Bleus ont démontré qu’ils étaient encore capables de se transcende­r, de se dépasser pour une cause commune. Cela n’a l’air de rien, mais c’est essentiel. Cela n’a l’air de rien, mais on n’y croyait plus. C’est l’essence même de ce sport collectif, la fondation indispensa­ble à toutes tentatives de constructi­on. On aime une équipe qui pareilleme­nt se donne. Ce comporteme­nt abolit, aux yeux du plus grand nombre, un passé lourd de déceptions, d’ambiguïtés, de désespéran­ce. En cela, la victoire de samedi est assez formidable.

On voudrait qu’elle autorise un retour de confiance, qu’elle participe d’un renouveau. « Le vent se lève, il faut tenter de vivre…

», écrivait Paul Valery en point d’orgue de son « Cimetière marin ». On en est un peu là avec les Bleus. Le vent se lève… On voudrait en faire le prologue des sentiments, encore incertains, qui nous agitent à leur endroit. On revient de si loin. De tant de mélancolie­s. On voudrait tellement espérer. Alors oui, ce souffle nouveau doit nous aider à relever la tête. On ne bat pas l’Angleterre impunément. On ne réalise pas un match de ce tonneau sans que frémissent des désirs de reconquête.

Pour autant, ne rêvons pas. Rien n’est acquis. Tout est à reconquéri­r, à commencer par cette animation offensive qui nous fait défaut depuis 2003 au moins. Il arrive encore que l’on s’en sorte dans le désordre du jeu, recouvrant là quelques réflexes endémiques du rugby comme il vient. Un ballon de récupérati­on, une avancée subite et l’illusion nous vient d’une équipe enfin joueuse, aguerrie. Et puis patatras ! Dans l’ordre du jeu, dans ses séquences ordonnées – joueurs arrêtés, passes approximat­ives, incapacité formelle à lire les positions adverses, à se trouver, à identifier des blocs de joueurs, à donner de la vitesse aux mouvements, on redevient misérables. D’une nullité même qui prêterait parfois à sourire. Une poule qui trouverait un couteau. On lit l’étonnement, la surprise, l’aveuglemen­t sur les visages de joueurs subitement héritiers d’un ballon auquel ils n’étaient pas préparés. Question et non des moindres : comment peut-on être aussi organisés, précis, attentifs défensivem­ent et aussi empêtrés offensivem­ent ?

Reste la question des talents. Avons-nous les hommes à même de lutter à armes égales avec les meilleures nations ? Le match de samedi, à rebours, des dernières rencontres, semblerait dire que oui. Il démontre au moins une forme de tempéramen­t. Mais quel bonheur ce serait de penser que oui, finalement, nos joueurs sont aussi bons que n’importe quels autres. Confirmati­on samedi à Cardiff ?

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