LE VENT SE LÈVE
Enlisé dans la mélasse d’un chantier dont il ne voyait ni le début ni la fin, le XV de France, au fil du temps, avait perdu son esprit de jouvence, son aura séditieuse, ses repères, sa culture. Il ne restait pas grand-chose d’un passé plus ou moins glorieux mais aux vertus identitaires résolument marquées. Ses maux, au demeurant, étaient assez clairement définis. Sa perte de confiance semblait cruelle. Son incapacité à se faire trois passes en suivant, à proposer une de ces animations offensives dont se rengorgent la plupart des équipes de bon niveau, confinait au malaise. Son manque d’appétence, sa perte de « grinta », relevait soit de la dépression nerveuse, soit d’une prétention top quatorzième proche de la suffisance, voisine de la bêtise. Tout cela mêlé laissait accroire à un manque de talent, à une perte de potentiel, à la fin des haricots. La victoire contre l’Angleterre, loin d’effacer l’ardoise, nous rassure au moins sur l’état d’esprit retrouvé. Admirables défensivement, toujours prêts à s’aider, à s’époumoner dans l’encouragement, à se multiplier, les Bleus ont démontré qu’ils étaient encore capables de se transcender, de se dépasser pour une cause commune. Cela n’a l’air de rien, mais c’est essentiel. Cela n’a l’air de rien, mais on n’y croyait plus. C’est l’essence même de ce sport collectif, la fondation indispensable à toutes tentatives de construction. On aime une équipe qui pareillement se donne. Ce comportement abolit, aux yeux du plus grand nombre, un passé lourd de déceptions, d’ambiguïtés, de désespérance. En cela, la victoire de samedi est assez formidable.
On voudrait qu’elle autorise un retour de confiance, qu’elle participe d’un renouveau. « Le vent se lève, il faut tenter de vivre…
», écrivait Paul Valery en point d’orgue de son « Cimetière marin ». On en est un peu là avec les Bleus. Le vent se lève… On voudrait en faire le prologue des sentiments, encore incertains, qui nous agitent à leur endroit. On revient de si loin. De tant de mélancolies. On voudrait tellement espérer. Alors oui, ce souffle nouveau doit nous aider à relever la tête. On ne bat pas l’Angleterre impunément. On ne réalise pas un match de ce tonneau sans que frémissent des désirs de reconquête.
Pour autant, ne rêvons pas. Rien n’est acquis. Tout est à reconquérir, à commencer par cette animation offensive qui nous fait défaut depuis 2003 au moins. Il arrive encore que l’on s’en sorte dans le désordre du jeu, recouvrant là quelques réflexes endémiques du rugby comme il vient. Un ballon de récupération, une avancée subite et l’illusion nous vient d’une équipe enfin joueuse, aguerrie. Et puis patatras ! Dans l’ordre du jeu, dans ses séquences ordonnées – joueurs arrêtés, passes approximatives, incapacité formelle à lire les positions adverses, à se trouver, à identifier des blocs de joueurs, à donner de la vitesse aux mouvements, on redevient misérables. D’une nullité même qui prêterait parfois à sourire. Une poule qui trouverait un couteau. On lit l’étonnement, la surprise, l’aveuglement sur les visages de joueurs subitement héritiers d’un ballon auquel ils n’étaient pas préparés. Question et non des moindres : comment peut-on être aussi organisés, précis, attentifs défensivement et aussi empêtrés offensivement ?
Reste la question des talents. Avons-nous les hommes à même de lutter à armes égales avec les meilleures nations ? Le match de samedi, à rebours, des dernières rencontres, semblerait dire que oui. Il démontre au moins une forme de tempérament. Mais quel bonheur ce serait de penser que oui, finalement, nos joueurs sont aussi bons que n’importe quels autres. Confirmation samedi à Cardiff ?