Midi Olympique

L’HYPER PRÉSIDENT

ENTRE LA RÉUSSITE D’UNE ÉQUIPE QUI A RETROUVÉ LES PREMIERS RÔLES (MALGRÉ LA DÉFAITE CONCÉDÉE FACE À LYON), ET LES ATTAQUES INTERNES LANCÉES PAR FIDUCIAL, L’HOMME FORT DU CLUB LE PLUS TITRÉ DE FRANCE VIT UNE RICHE ACTUALITÉ. À L’IMAGE DU CHEF D’ENTREPRISE

- Par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr

C’était fin mai, à Marseille, en marge des demi-finales du Top 14. Quelques jours avant son intronisat­ion, Didier Lacroix nous accordait son premier entretien de futur président du Stade toulousain. Sur la terrasse de la Villa Massalia, avec l’hippodrome au premier plan et la mer en toile de fond, l’ambiance est décontract­ée. Pendant près de deux heures, l’ancien flanker, autour d’un bon cru, n’élude aucune question. Toujours avec franchise, entre légèreté et fermeté. La discussion est libre et directe. Comme souvent avec lui. À la table de derrière, l’attendent ses meilleurs amis avec qui il est venu partager cette virée provençale. À son image, tel que l’illustre Philippe Jougla, membre du directoire toulousain qui le côtoie au quotidien : « J’apprécie son côté hédoniste. Didier est quelqu’un qui aime la vie, l’embrasse en permanence de toutes ses forces. Si j’imaginais son week-end idéal, ça commencera­it par un tour à la chasse et ça finirait aux arènes de Nîmes, avec un cigare à la bouche et une excellente bouteille de vin. Pourvu qu’il soit avec ses potes, même s’il a moins de temps à leur consacrer, il sait profiter des belles choses de l’existence. » Et lorsqu’on demande à Franck Belot, coéquipier sur le terrain devenu son associé à la tête de

« À la Une » il y a onze ans, les deux premiers mots qui lui viennent à la bouche à l’évocation de son ami de toujours, la réponse

fuse : « Fidélité et générosité. » Didier Lacroix est capable de donner. Beaucoup plus que la moyenne, ce qui lui confère une énergie admirée de tous. « C’est une centrale nucléaire, reprend Belot.

Avec lui, ça ne s’arrête jamais. Il me surprend encore. Sa capacité de travail sort de l’ordinaire. Il sait allier concentrat­ion et boulot à un rythme effréné. » Quitte à déborder et, parfois, à être dur à suivre. « Didier, c’est une grosse activité avec un peu de bazar », sourit l’ex-deuxième

ligne. Ce que reconnaît Jougla : « Il est protéiform­e et s’occupe de tellement de sujets à la fois. C’est ce qui lui donne cette facette un peu bordélique mais ça fait partie du personnage. Quand vous prenez un rendez-vous avec lui, vous savez qu’il aura trente minutes de retard. C’est le quart d’heure toulousain multiplié par deux (rires). On s’en amuse plus qu’autre chose. Il peut bien prendre certaines libertés avec son emploi du temps vu tout ce qu’il réalise ! »

« C’est une centrale nucléaire.

Avec lui, ça ne s’arrête jamais. Sa capacité de travail sort de l’ordinaire. » Franck BELOT

Ancien deuxième ligne du Stade toulousain et ex-associé de Lacroix à la tête de « À la Une »

« LE DIMANCHE, ALLEZ AU MARCHÉ »

En fait, Didier Lacroix demeure le joueur qu’il était. En tant qu’homme, entreprene­ur ou président de club. Un mec au sens du sacrifice et à la vitalité sans limite. Forcément légitime pour exiger une exemplarit­é à ses troupes.

« Son discours a été clair, nous confiait l’entraîneur principal Ugo Mola en août dernier. Il veut que notre équipe montre de l’enthousias­me et un comporteme­nt qui se rapproche de son état d’esprit. C’était loin d’être le meilleur joueur mais il laissait beaucoup sur le terrain. » Lacroix n’était pas ce que l’on appelle un garçon doué naturellem­ent. Ses plus de trois cents matchs sous le maillot stadiste, ses six Brennus ou son titre européen, il les doit avant tout à un goût inébranlab­le pour le combat qui en faisait un troisième ligne de devoir, guerrier de l’ombre précieux et respecté. « C’était un bon joueur de première division, pas plus, assure Belot. Je le dis sereinemen­t car j’étais dans le même cas. La différence, c’est qu’il est brillant dans sa vie profession­nelle. Là, c’est le haut niveau. Au-delà de la confiance, cela nous a rendus complément­aires dans ce domaine. Moi, j’étais besogneux sur le terrain et le suis resté. Lui, non. Dans les relations publiques, sur lesquelles je suis plus gêné, il est extraordin­aire. » Jusqu’à séduire son auditoire par son aisance et son

franc-parler. « C’est un rassembleu­r, affirme Jougla. Il génère de l’empathie, fédère les énergies autour de lui. Quand il est là, il emporte le morceau et emmène les autres dans son sillage. C’est dans ses gènes, il n’a pas à se forcer. Et c’est quelque chose de rare. La première fois que vous le rencontrez, vous sentez que c’est naturel, qu’il n’y a rien de calculé. C’est du pur feeling. Ceux qui le côtoient depuis peu de temps tombent tous sous son charme (sourires).»

Le président entraînant, qui mobilise et régénère. Parce que la proximité est son maître mot. Mola racontait aussi un secret de la prise de fonction de Lacroix : « La première chose que Didier a dite aux joueurs,

c’est : « Le dimanche, allez au marché. » C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’il est amené à jouer un rôle central dans le paysage hexagonal, quand on sait la nécessité pour ce sport de retrouver une identité. S’il fut nommé dans la commission chargée de porter les discussion­s entre la LNR et la FFR, ce n’est pas un hasard. L’aspect fédérateur, autant que celui de « président joueur », plaide en sa faveur. « Dans le regard que ses pairs portent sur lui, je ressens une double-crédibilit­é, note Jougla. Celle de remarquabl­e chef d’entreprise et celle de joueur dont tout le monde se souvient. Dans ce milieu, on ne la lui raconte pas (sourires). » « Il est le seul président, avec Vincent Merling, à avoir joué dans son club, ajoute Belot. Laurent Marti était un bon joueur, qui a évolué à Toulouse et Bergerac. Mais il n’y en a pas d’autres. Didier peut avoir une place particuliè­re car il maîtrise cet environnem­ent et veut exister à l’abri de la voie uniquement entreprene­uriale que prend le rugby. C’est son combat. Par exemple, il sait que Toulouse doit évoluer mais a envie, plus que tout, que le club reste lui-même, c’est-à-dire qu’il appartienn­e aux Toulousain­s et à la culture locale. Quelque part, cela va à l’encontre des modèles économique­s auxquels nous sommes désormais confrontés. »

« IL TRANSPIRE CE CLUB »

Voilà qui a permis de relancer un mythe en sommeil. Outre la réussite sportive d’une équipe exaltante, qui doit aussi au recrutemen­t de son prédécesse­ur et à l’ingrat renouvelle­ment mené par Mola et Pelous, la plus belle victoire de Lacroix est peut-être d’avoir redonné vie à Ernest-Wallon les jours de match. Mais si son dynamisme est salué, l’actualité du club -qui souffre depuis plusieurs saisons d’un déficit structurel- prouve qu’il ne suffit pas pour créer l’unanimité. Fiducial, principal actionnair­e privé, a récemment contesté la validité des comptes arrêtés au 30 juin. En clair, il serait soupçonné de « maquiller » les difficulté­s économique­s. Attaque sévère venue de l’intérieur, réponse tenace. Le joueur savait ramasser ou affronter la défiance. « Tous les ans, Guy Novès recrutait un mec plus talentueux pour prendre ma place, confessait­il un jour. Tous les ans, je débutais la saison sur le banc et la finissais titulaire. » Vertu ancrée en lui. « Il a la capacité à encaisser les coups discrèteme­nt pour offrir une image pleine d’entrain », explique Belot. Jougla va plus loin : « Quand je vois ce que nous subissons, surtout Didier qui est en première ligne, il faut avoir les reins solides pour ne pas céder à la panique. Il est courageux, qualité peu partagée de nos jours. Mais il m’arrive de lui dire : « Fais attention, ménage-toi sinon tu vas péter un câble ». » Sous l’armure, l’humain peut flancher. Jamais en public. « Dans l’intimité, il baisse parfois un peu les armes, admet

Belot. Ce sont des moments rares durant lesquels il a besoin de se ressourcer auprès de son fils. »

Impossible néanmoins de croire que Lacroix, en prenant la succession de René Bouscatel, n’était pas conscient que les luttes intestines finiraient par l’atteindre. Il s’y était préparé. Pour preuve, à l’heure où on l’interrogea­it en mai dernier sur les risques de conflit d’intérêts pour lui qui était à la tête de la régie publicitai­re du Stade toulousain, il assénait : « Des gens peuvent se

dire : « Didier Lacroix a des relations familiales et amicales au sein du club. » Bien sûr, je suis né dedans ! Le premier conflit d’intérêts, s’il avait dû exister, est de savoir si Jean Lacroix (son père et dirigeant historique, N.D.L.R.), s’est permis une influence auprès de Guy Novès pour qu’il me fasse jouer ? Je vous laisse l’annoncer à Guy. Je me suis construit sur le : « Il est en train de profiter du système. » Puis : « Il s’est gavé en étant commercial du club. Il va encore s’en servir. »

Cette menace est la plus protectric­e. »

Lacroix connaît mieux que personne les rouages internes du plus beau palmarès du rugby mondial. « Ce club, il l’a chevillé au corps, clame Belot. Chez les jeunes, notre génération était ultra-fan de la précédente qui jouait en équipe première. Le Stade nous a éduqués, fait rencontrer nos amis et relations profession­nelles. Dire que c’est une deuxième famille n’a rien de galvaudé. Dans une famille, on s’engueule des fois. Mais on a toujours eu l’impression que la mission était écrite pour lui. Dès 1986, quand il fut capitaine des cadets, on se foutait de lui : « Tu finiras président ici. » Il transpire ce club. Rien d’autre que le Stade toulousain ne l’aurait poussé à laisser tomber la moitié d’une boîte qui marche pour partir dans une galère où il manque du pognon. »

Lui se nourrit de ce genre de défis. Avec une obsession : les relever. Et la confidence de Lacroix pour élucider son propre personnage : « La phrase qui j’ai le plus entendu dans ma vie lors d’une première discussion, c’est : « Finalement, t’es moins con que tu n’en as l’air ».»■

« Tous les ans, Guy Novès recrutait un mec plus talentueux pour prendre ma place. Tous les ans, je débutais la saison remplaçant et la finissais titulaire. » Didier LACROIX

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 ?? Photos Midi Olympique ?? Didier Lacroix, ci-dessus, côté président du Stade toulousain et, ci-contre, côté joueur dans les années 1990 - 2000, lorsqu’il oeuvrait au coeur de la troisième ligne de son club de toujours.
Photos Midi Olympique Didier Lacroix, ci-dessus, côté président du Stade toulousain et, ci-contre, côté joueur dans les années 1990 - 2000, lorsqu’il oeuvrait au coeur de la troisième ligne de son club de toujours.

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