LA SALE HABITUDE
LES BLEUS ONT ENCORE SÉDUIT DANS LE COMBAT. LES BLEUS ONT ENCORE OFFERT DES POINTS TROP FACILEMENT. AU FINAL, LES BLEUS ONT ENCORE PERDU DE PEU... UNE SALE HABITUDE DE DÉFAITES ENCOURAGEANTES QUI DONNENT ENVIE DE CROIRE EN L’AVENIR. MAIS QUI NE L’ASSURENT
Le pire, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un grand pays de Galles. Ni d’un grand Millennium, pourtant promis si terrifiant par les anciens ayant déjà expérimenté sa fureur. Cette fois, rien de folichon. Les pyrotechniciens locaux, habituellement si dispendieux, avaient visiblement été frappés d’un grave épisode de flemme. Ou d’un fort élan d’anti-anglicisme primaire, quand tout l’avant-match fut consacré par le public à applaudir, les yeux rivés sur les écrans géants du stade, la défaite du XV de la Rose face aux Irlandais de Joe Schmidt. Public calme, lumières allumées, quelques tristes lasers seulement balayaient l’air à l’entrée des joueurs. Les traditionnelles langues de feu venaient bien lécher les travées du plus beau stade au monde, mais pas de quoi justifier un écroulement des âmes, comme en 2014. Et dans le camp français, l’idée naissait soudainement que ce match, promis comme une lucarne sur l’antre de Belzebuth, n’aurait en fait rien de si démoniaque.
DE LA GÉNÉROSITÉ, ET C’EST TOUT
Mais voilà, les Bleus ont encore perdu. « D’un point, donc frustrant », se contentait de donner Sébastien Vahaamahina, au moment d’évoquer son sentiment d’après-match. Le deuxième ligne clermontois est un homme de peu de mots. Quelques sourires embarrassés plus loin, quand on lui demandait quel bilan il tirait de ce Tournoi 2018, « Vahaa » cinglait encore : « Quatrièmes. » C’est sobre, efficace et si on fait l’effort de mettre des mots sur les sous-entendus, ça dit beaucoup de choses. Les Bleus sont proches mais n’y sont pas. Les Bleus y ont cru mais n’y sont pas parvenus. Les Bleus se sont envoyés, mais ils stagnent irrémédiablement dans le deuxième wagon mondial. Celui qui regarde les autres, plus forts, soulever les trophées. Cela bientôt six ans que ça dure, exception faite d’un podium, la saison dernière dans ce même Tournoi 2018, qui prend toute sa valeur avec le recul des mois qui suivirent.
Surtout, le court échec face aux Gallois nourrit encore un peu plus cette sale habitude des défaites encourageantes, pis-aller pour une équipe sans maîtrise, pas sans envie. Il y a de la générosité chez ces Bleus. Il y en a même énormément, ce qui n’est pas sans provoquer pour eux une forme d’affection. Mais il manque à peu près tout le reste. Le genre de constat dont on finit par se contenter, bien malheureusement, faute de moments de gloire véritable.
Samedi à Cardiff, il n’y avait pourtant vraiment pas de quoi s’en contenter. Les Gallois étaient dans un triste jour. Lisez plutôt : « Au moins, cette fois, ça n’a pas duré 100 minutes, comme l’an dernier. Et merci bien, les quatre-vingts minutes de cette purge austère nous ont largement suffi », écrivait ce samedi la presse galloise. Afin de poursuivre, en dézinguant leur équipe pourtant victorieuse : « Il ne faut rien enlever des efforts des joueurs, chaque minute, chaque action. Spécialement en termes d’engagement physique et de courage, en défense. Mais dès que le ballon se déplaçait sur plus de deux passes, il n’y avait plus que des fautes de mains, peu de courses tranchantes et pas d’inventivité. Où le pays de Galles va-t-il, en revenant à un jeu si conservateur après avoir pourtant assumé la révolution d’un jeu de passes, de vitesse et de passes après contact ? » Ce que ne savaient pas les observateurs gallois, c’est que la France a un super-pouvoir : celui de rendre le spectacle lent et l’adversaire mauvais. L’abaisser à son niveau, faute de pouvoir s’élever au sien. C’est une force, après tout, que de savoir amener l’adversaire sur son terrain de prédilection. Dans notre cas, celui d’un match construit autour d’un bras de fer hormonal. Un registre dans lequel nous sommes bien armés avec les Bastareaud, Vahaamahina ou Lauret. Des brontosaures du ruck, qui se construisent dans le fracas des corps. Ça peut marcher, ponctuellement, et cela aurait dû fonctionner samedi, avec un soupçon de réalisme en plus. Mais on s’ennuie ferme. Surtout, on ne devine rien de l’avenir.
OUVREUR, À QUI LE TOUR ?
Si ça n’a même pas suffi à Cardiff, c’est que les Bleus ont copieusement gâché toutes les munitions d’une deuxième mi-temps qu’ils ont pourtant nettement dominée. Et là, immédiatement, tous les regards se tournent vers l’ouvreur. C’est un classique. Il faut aussi dire que François Trinh-Duc y a mis du sien. Après la sortie écossaise de Belleau et les chisteras dans l’en-but de Beauxis, les Bleus ont expérimenté à ce poste le sacro-saint « jour sans » de FTD. Pas qu’on le découvre franchement : cela fait dix ans que le Kid du Pic Saint-Loup enchaîne un match convaincant avec une purge sans nom. Il avait été bon contre l’Angleterre ? Il a donc tout raté ou presque face au pays de Galles, en seconde période. De cette passe en-avant irréelle, sans aucune pression, à une pénaltouche nontrouvée. Du rebond défavorable qui amène un essai casquette à une pénalité décisive, facile et ratée.
Et soudain, alors qu’il se faisait contrer un nouveau jeu au pied, nous revenait cette prophétie : un jour de soleil en juin 2016, dans le chaud hiver de Tucuman au bord d’un terrain où s’entraînaient les Pumas, Juan Martin Hernandez confiait ceci, à propos de François TrinhDuc. « J’aime beaucoup François, je ne lui souhaite pas de mal. Mais il faut aussi regarder la situation en face : il est un grand joueur de bons matchs, mais un joueur neutre de grands matchs. Les grands ouvreurs sont ceux qui vous font gagner les grands matchs, sous pression. Citezmoi un grand match qu’il a fait gagner ? » Difficile de donner tort à quelqu’un qui, dans ce registre, a longtemps évolué aux côtés d’Agustin Pichot. Il en connaît forcément un rayon. Et on repense soudainement que, à ce poste si sensible d’ouvreur, Camille Lopez manque à l’appel. Que l’an dernier, il avait fait gagner à Clermont son quart et sa demi-finale de Champions Cup, qu’il avait été époustouflant en demi-finale de Top 14. Et que Camille Lopez, blessé, pourrait régler quelques soucis du XV de France lorsqu’il reprendra du service. Cet été, d’ailleurs les Bleus peuvent légitimement espérer disposer de toute une colonie de joueurs actuellement absents. Les hommes d’aujourd’hui auront, aussi, un vécu en commun supplémentaire. On se prendrait alors à espérer, presque à rêver. Avant de se souvenir que, cet été, c’est en Nouvelle-Zélande que les Bleus se rendront. Chienne de vie. Il faut vraiment y aller ? ■